Cour d’appel administrative de Paris, le 16 septembre 2025, n°24PA02870

La Cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 16 septembre 2025, précise le régime juridique des enquêtes administratives de sécurité. Cette décision traite de la légalité d’un avis d’incompatibilité opposé à un candidat souhaitant exercer les fonctions de conducteur de transport public de personnes.

Le 5 juillet 2021, une société de transport sollicite le ministère de l’intérieur pour réaliser une enquête administrative sur un futur conducteur de bus. L’intéressé signe son contrat de travail dès le mois d’août sans attendre les résultats définitifs de cette procédure de vérification de sécurité. Le ministre émet finalement un avis d’incompatibilité le 4 octobre 2021, ce qui entraîne la rupture immédiate du contrat de travail par l’employeur. Le candidat évincé forme alors un recours gracieux qui est rejeté par l’administration le 4 novembre suivant, confirmant ainsi la position initiale.

Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Montreuil annule l’avis d’incompatibilité ainsi que le rejet du recours gracieux par un jugement du 30 avril 2024. Les premiers juges considèrent que l’administration a méconnu le principe du contradictoire en ne permettant pas à l’intéressé de présenter ses observations préalables. Le ministre de l’intérieur interjette appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris en soutenant que la procédure contradictoire n’est pas applicable. Les magistrats d’appel doivent donc déterminer si la délivrance d’un tel avis de sécurité impose le respect des dispositions générales du code des relations entre le public et l’administration.

La Cour administrative d’appel de Paris annule le jugement de première instance et rejette les conclusions du demandeur en validant la procédure suivie par le ministre. Elle juge que les impératifs de sûreté publique dispensent l’autorité administrative d’organiser un échange contradictoire avant l’émission d’un avis d’incompatibilité pour ces fonctions sensibles.

I. L’écartement de la garantie contradictoire au nom de la sûreté publique

L’arrêt précise l’articulation entre le droit commun de la procédure administrative et les dispositions spécifiques du code de la sécurité intérieure relatives aux enquêtes de sécurité.

A. L’éviction des dispositions générales du code des relations entre le public et l’administration

Le tribunal administratif avait fondé son annulation sur l’absence de procédure contradictoire préalable prévue par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration. La Cour infirme ce raisonnement en soulignant que les enquêtes administratives de sécurité répondent à des finalités particulières dérogeant aux garanties procédurales classiques de l’administration. Les juges considèrent que les enquêtes sont « justifiées par les exigences de la sûreté publique » compte tenu des risques présentés par les transports de personnes. Cette mission de protection de l’ordre public prime ainsi sur l’obligation d’information préalable de l’agent qui fait l’objet d’une mesure de vérification administrative.

B. L’absence d’obligation d’avertissement préalable de l’intéressé

La juridiction d’appel définit clairement que « la personne faisant l’objet d’une telle enquête n’a pas à être avertie » avant que l’autorité n’émette son avis. Cette solution jurisprudentielle garantit l’efficacité du contrôle administratif en permettant une évaluation rapide et non entravée de la moralité des agents occupant des postes sensibles. La Cour estime que la mise en œuvre d’un débat contradictoire nuirait à la portée des enquêtes effectuées pour des raisons de sécurité nationale. Le droit de l’intéressé de contester la décision s’exerce donc exclusivement a posteriori, par la voie des recours administratifs ou contentieux devant les juridictions compétentes.

II. La validation d’une appréciation souveraine portée sur le comportement individuel

Le juge administratif vérifie la matérialité des faits reprochés et la légalité des critères utilisés par l’administration pour fonder son avis d’incompatibilité motivé.

A. La prise en compte licite des faits antérieurs au recrutement

Le requérant contestait l’utilisation de faits anciens pour justifier une incompatibilité survenue alors qu’il occupait déjà son emploi au sein de l’entreprise de transport. La Cour rejette cet argument en affirmant qu’aucune disposition « ne fait obstacle à ce que l’administration prenne en compte des faits antérieurs au recrutement du salarié ». Les magistrats considèrent que le passé pénal ou comportemental est de nature à révéler une incompatibilité actuelle avec l’exercice de fonctions de sécurité. L’autorité administrative peut donc légalement puiser dans les antécédents de l’agent pour caractériser un risque de trouble à l’ordre public lors de ses missions.

B. La matérialité des faits justifiant la mesure de police administrative

L’avis s’appuyait sur de nombreux signalements pour usage de stupéfiants, port d’arme et violences, bien que ces faits n’aient pas systématiquement donné lieu à des condamnations. La Cour rappelle l’indépendance des procédures et juge que le ministre pouvait « s’appuyer sur l’ensemble de ces faits, sans attendre l’issue des poursuites judiciaires ». Les juges écartent également le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d’innocence car la décision contestée ne présente aucun caractère de sanction. L’accumulation de comportements contraires à la loi suffit à fonder légalement l’avis d’incompatibilité au regard des exigences de sécurité imposées aux conducteurs de véhicules publics.

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Hassan KOHEN
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