Cour d’appel administrative de Paris, le 17 janvier 2025, n°23PA03353

La Cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 17 janvier 2025, se prononce sur la légalité du maintien d’un arrêté d’expulsion. Un ressortissant étranger, entré en France en 1997, a subi de nombreuses condamnations pénales pour vols, violences et infractions routières entre son arrivée et 2016. Malgré une exécution initiale de la mesure d’éloignement, l’intéressé est revenu sur le territoire national dès 1998 pour y fonder un foyer stable. Marié à une ressortissante française depuis 2002 et père de deux enfants, il a sollicité en 2021 l’abrogation de l’arrêté d’expulsion pris en 1997. Le préfet de police a opposé un refus à cette demande en février 2022, décision dont l’intéressé a obtenu l’annulation devant le premier juge. La juridiction d’appel est ainsi saisie de la question de savoir si le maintien de l’expulsion méconnaît le droit au respect de la vie privée. La Cour confirme l’annulation en relevant que l’insertion du requérant et l’ancienneté de ses fautes privent la mesure de son caractère nécessaire et proportionné. L’étude portera d’abord sur la protection d’une vie privée et familiale solidement établie avant d’envisager l’absence de menace contemporaine pour la sûreté publique.

I. La protection d’une vie privée et familiale solidement établie

A. L’ancrage durable des liens matrimoniaux et parentaux

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris met en lumière la profondeur des attaches familiales constituées par l’intéressé au cours de ses années de présence. La juridiction constate que le requérant est « marié à une ressortissante française depuis l’année 2002, avec laquelle il a eu deux filles », nées sur le sol national. Cette union ancienne confère au droit au respect de la vie privée une consistance particulière que l’autorité administrative ne peut ignorer sans motif impérieux. Le juge privilégie la protection de la cellule familiale stable sur la persistance d’une mesure d’éloignement dont les fondements factuels sont devenus particulièrement lointains. Cette stabilité résidentielle et affective s’accompagne d’une intégration économique qui renforce encore davantage le droit au maintien de l’intéressé sur le territoire national.

B. L’effectivité d’une insertion sociale et professionnelle réussie

L’insertion professionnelle du ressortissant étranger constitue un second pilier justifiant l’abrogation de l’arrêté d’expulsion dont il faisait l’objet depuis la fin des années quatre-vingt-dix. La Cour relève l’existence d’une « activité de commercial sous couvert d’un contrat à durée indéterminée depuis le mois de décembre 2019 », exercée de manière régulière. Ce contrat pérenne témoigne d’une volonté de réinsertion réussie et d’une contribution active à la vie économique de la société au sein de laquelle il réside. Le juge administratif valorise ces efforts de stabilisation sociale qui contrastent avec le parcours de délinquance ayant motivé la mesure d’éloignement prise initialement par l’administration. Si la réalité de la vie familiale est établie, le juge doit toutefois examiner si le comportement passé justifie toujours une mesure restrictive de liberté.

II. L’absence de menace contemporaine pour la sûreté publique

A. La perte de virulence du passé pénal par l’écoulement du temps

La Cour administrative d’appel procède à une analyse rigoureuse de l’évolution du comportement de l’intéressé pour apprécier le maintien de la menace à l’ordre public. Elle souligne avec précision que « les dernières condamnations figurant sur son casier judiciaire se rapportent à des faits datant, pour les plus récents, de 2011 ». L’écoulement d’une période de plus de dix ans sans nouvelle infraction significative prive la mesure de sa justification principale liée à la sûreté nationale. Le juge refuse de s’appuyer sur une accumulation de délits anciens pour caractériser une dangerosité qui aurait persisté jusqu’au jour de la décision contestée. La neutralisation de la menace par le temps long constitue ainsi un élément central de la décision rendue en faveur du maintien de l’étranger.

B. L’invalidité du maintien de la mesure au regard du contrôle de proportionnalité

Le contrôle de proportionnalité conduit finalement la juridiction à rejeter la requête du préfet de police en confirmant l’annulation du refus d’abroger la mesure d’expulsion. Les magistrats considèrent que les infractions passées « n’étaient pas de nature à caractériser une menace grave et actuelle à l’ordre public » au moment du litige. Cette solution consacre la primauté des droits fondamentaux garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme sur la volonté répressive de l’administration. Le juge administratif s’assure que l’ingérence dans la vie privée demeure strictement nécessaire dans une société démocratique pour protéger les intérêts de la sécurité publique. L’arrêt confirme ainsi une jurisprudence protectrice qui exige une actualité de la menace pour justifier la pérennité de mesures d’éloignement particulièrement attentatoires aux libertés.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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