Par un arrêt en date du 17 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Paris a partiellement réformé un jugement du tribunal administratif de Paris qui avait annulé plusieurs décisions préfectorales prises à l’encontre d’un ressortissant étranger. L’affaire concernait un individu entré régulièrement en France sous couvert d’un visa de court séjour, qui, quelques jours après son arrivée, s’est rendu auteur de violences sur sa compagne. En réaction, le préfet a pris trois mesures : l’abrogation de son visa, une obligation de quitter le territoire français sans délai, et une interdiction de retour sur le territoire pour trente-six mois. Le tribunal administratif de Paris, en première instance, avait annulé l’ensemble de ces actes, retenant une erreur d’appréciation du préfet quant à la menace pour l’ordre public. Saisie en appel par le préfet, la cour a dû se prononcer sur deux questions distinctes. D’une part, elle devait déterminer si un acte de violence isolé pouvait suffire à caractériser un trouble à l’ordre public justifiant l’abrogation d’un visa de court séjour. D’autre part, il lui appartenait de vérifier la légalité du fondement juridique retenu par l’administration pour prononcer l’obligation de quitter le territoire. La cour administrative d’appel a répondu positivement à la première question, validant l’abrogation du visa, mais a censuré la seconde mesure pour une erreur de droit, confirmant son annulation. La solution duale de cet arrêt conduit ainsi à examiner la consécration d’une appréciation extensive de la notion de trouble à l’ordre public (I), puis la sanction d’une application erronée du fondement légal de la mesure d’éloignement (II).
I. La validation de l’abrogation du visa fondée sur une conception extensive de l’ordre public
La cour administrative d’appel, en infirmant le jugement de première instance sur ce point, a d’abord confirmé qu’un acte de violence unique peut suffire à justifier l’abrogation d’un visa (A), avant de réaffirmer l’autonomie de l’appréciation administrative par rapport à la procédure pénale (B).
A. La caractérisation du trouble à l’ordre public par la nature de l’acte
Les juges du fond avaient initialement considéré que le préfet avait commis une erreur d’appréciation, en tenant compte du caractère réciproque des violences et de l’absence d’antécédents judiciaires pour l’intéressé. La cour d’appel adopte cependant une position plus rigoureuse en se concentrant sur la seule nature des faits commis par le ressortissant étranger. Elle estime en effet que « le préfet de police a pu légalement estimer que ce comportement, par sa nature, caractérise un trouble à l’ordre public ». Cette formulation met en lumière le fait que la gravité intrinsèque d’un acte de violence, en l’espèce sur sa compagne, est suffisante pour fonder une mesure de police administrative, indépendamment des autres circonstances. Le caractère isolé des faits ou l’existence de violences réciproques deviennent inopérants face à la matérialité d’un comportement jugé incompatible avec le respect de l’ordre public. La cour valide ainsi une approche qualitative, où la nature de l’acte l’emporte sur une analyse quantitative ou contextuelle du comportement de la personne.
B. L’autonomie de l’appréciation administrative face à la procédure pénale
La décision commentée renforce également le principe de l’autonomie du droit administratif par rapport à la procédure pénale. Le tribunal administratif avait relevé l’absence de condamnation définitive au moment de la décision préfectorale. La cour d’appel écarte cet argument en précisant que l’administration peut légalement agir sur la base de faits matériellement établis, notamment par les rapports des forces de l’ordre, sans devoir attendre l’issue d’un jugement correctionnel. Elle juge que l’abrogation du visa était justifiée « nonobstant les circonstances d’une part que le tribunal correctionnel n’avait pas encore rendu son jugement » et « d’autre part que ce jugement ne soit pas devenu définitif ». Cette solution réaffirme que la finalité de la police administrative, qui est préventive, n’est pas subordonnée à la finalité répressive de la justice pénale. L’autorité administrative dispose donc d’une marge d’appréciation propre pour évaluer la menace que représente un comportement pour l’ordre public, ce qui lui permet d’agir avec célérité.
II. La censure de la mesure d’éloignement fondée sur une erreur de droit
Si elle valide l’analyse du préfet sur le trouble à l’ordre public, la cour sanctionne en revanche l’instrument juridique utilisé pour prononcer l’éloignement (A), ce qui entraîne logiquement l’annulation des décisions subséquentes (B).
A. L’interprétation stricte du champ d’application de la base légale de l’éloignement
Le préfet avait fondé sa décision d’obligation de quitter le territoire sur les dispositions du 5° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte permet d’éloigner un étranger dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public et qui « ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois ». La cour, par une analyse rigoureuse du champ d’application de cette disposition, juge qu’elle n’était pas applicable à la situation de l’intéressé. En effet, ce dernier était entré en France seulement quelques jours avant la décision attaquée, sous couvert de son visa. La cour en déduit de manière lapidaire que « à la date de l’arrêté contesté, [l’intéressé] n’entrait pas dans le champ d’application des dispositions précitées ». En choisissant une base légale inadaptée, le préfet a entaché sa décision d’une erreur de droit. Cette censure rappelle l’obligation pour l’administration de fonder ses décisions sur la disposition législative ou réglementaire correspondant précisément à la situation de fait et de droit de l’administré, sous peine d’illégalité.
B. L’annulation par voie de conséquence des mesures accessoires à l’éloignement
L’illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français emporte des conséquences automatiques sur les autres mesures prises par le préfet. La cour juge ainsi que la décision principale étant illégale, il en va de même, « par voie de conséquence », pour les décisions refusant l’octroi d’un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français. Cette solution est une application orthodoxe de l’adage « l’accessoire suit le principal ». Les mesures relatives aux modalités d’exécution de l’éloignement et à ses effets futurs ne peuvent survivre à l’annulation de l’acte qui en constitue le fondement. La décision, sur ce point, est une décision d’espèce qui ne fait que tirer les conclusions logiques de l’erreur de droit commise par l’administration, illustrant la construction en cascade des actes administratifs dans le contentieux des étrangers et la fragilité de l’ensemble de l’édifice en cas de vice affectant sa base.