Par un arrêt en date du 17 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les conditions d’indemnisation d’un accident médical non fautif au titre de la solidarité nationale. En l’espèce, un patient a subi en mars 2014 une intervention chirurgicale sur le canal lombaire au sein d’un établissement hospitalier parisien. Les suites de cette opération ont été marquées par la survenue d’un hématome postopératoire compressif, une complication rare qui a nécessité deux reprises chirurgicales et a laissé au patient d’importantes séquelles, notamment des troubles moteurs et neuro-périnéaux. Après qu’une expertise judiciaire a conclu à une prise en charge conforme aux règles de l’art, excluant ainsi toute faute de l’établissement, le patient a saisi le Tribunal administratif de Paris d’une demande d’indemnisation dirigée contre l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux. Par un jugement du 2 novembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande. Le patient a alors interjeté appel de cette décision, sollicitant l’allocation d’une provision et, à titre subsidiaire, l’organisation d’une nouvelle expertise au motif que la première aurait méconnu le principe du contradictoire. Il appartenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si l’indemnisation au titre de la solidarité nationale est due lorsque le dommage, bien qu’anormal, n’atteint pas le seuil de gravité légalement requis, et si une demande d’expertise complémentaire peut être accueillie en l’absence d’allégation démontrant son utilité au regard de ce seuil. La Cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que le requérant « n’établit ni même n’allègue qu’il remplirait la condition de gravité ouvrant droit à indemnisation de ses préjudices au titre de la solidarité nationale ». La décision confirme ainsi la stricte application des critères d’indemnisation des accidents médicaux non fautifs (I), tout en tirant les conséquences procédurales de leur non-respect (II).
I. La confirmation d’une application rigoureuse des conditions d’indemnisation
La Cour examine successivement les deux conditions cumulatives posées par le code de la santé publique pour l’engagement de la solidarité nationale. Si elle admet sans difficulté le caractère anormal du dommage subi par le patient, elle constate en revanche que le critère de gravité, tel qu’interprété strictement, fait défaut.
A. La reconnaissance d’un accident médical au caractère anormal
L’ouverture du droit à réparation au titre de la solidarité nationale suppose, en l’absence de faute, qu’un dommage directement imputable à un acte de soins présente un caractère anormal. En l’espèce, les juges d’appel relèvent que la complication subie par le patient, un hématome postopératoire, constitue un « accident médical non fautif ». La Cour souligne que cette complication est « connue mais rare (de l’ordre de 1% selon l’expert) ». Cette faible probabilité de survenance suffit à remplir la condition d’anormalité du dommage, conformément à une jurisprudence constante qui considère qu’un risque faible, lorsqu’il se réalise, rend le dommage anormal au regard de l’évolution prévisible de l’état de santé du patient. La reconnaissance de ce premier critère ne faisait d’ailleurs l’objet d’aucune contestation entre les parties. Toutefois, la seule reconnaissance du caractère anormal du dommage ne suffit pas à ouvrir droit à réparation.
B. Le défaut manifeste du critère de gravité
La Cour fonde son rejet sur le non-respect de la seconde condition, tenant à la gravité du préjudice. Elle rappelle les seuils fixés par l’article D. 1142-1 du code de la santé publique, notamment un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 24 %. Or, il résulte de l’instruction que le taux de déficit fonctionnel permanent du requérant imputable à l’accident n’est que de 12 %. Les autres critères alternatifs de gravité, tels que l’arrêt des activités professionnelles ou l’inaptitude définitive à exercer son activité, ne sont pas davantage remplis, le patient étant déjà à la retraite. La Cour note également qu’il ne fait état d’aucun « troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence ». Même en considérant la contestation du patient sur l’origine de ses troubles sexuels, la Cour souligne qu’il « ne soutient pas, en tout état de cause, qu’à supposer imputables à l’aléa thérapeutique, ces troubles seraient à l’origine d’un déficit fonctionnel permanent égal ou supérieur à 24% ». Cette application littérale des textes démontre que le mécanisme de solidarité nationale, bien que visant à indemniser les aléas les plus graves, laisse sans réparation des préjudices significatifs mais situés en deçà des seuils réglementaires. Ayant constaté que la condition de gravité faisait défaut, la Cour tire logiquement les conséquences de cette analyse sur les demandes subsidiaires du requérant.
II. Le rejet pragmatique des demandes procédurales accessoires
La Cour administrative d’appel déduit de l’absence de satisfaction des conditions de fond une fin de non-recevoir pour les demandes d’instruction complémentaires. Ce faisant, elle adopte une approche pragmatique qui rejette toute mesure jugée inutile pour la solution du litige, renforçant par la même occasion la charge argumentative pesant sur le demandeur.
A. L’inutilité de la mesure d’expertise complémentaire
Le requérant sollicitait, à titre subsidiaire, une contre-expertise, arguant que le premier rapport était irrégulier pour ne pas avoir respecté le principe du contradictoire. Il reprochait à l’expert de s’être fondé sur un courrier de 2012 qui n’avait pas été soumis au débat contradictoire. La Cour écarte ce moyen en le jugeant inopérant. Elle estime qu’il n’est pas établi que l’expertise se serait déroulée dans des conditions irrégulières. Plus fondamentalement, elle considère que le requérant « n’établit pas l’utilité d’une nouvelle expertise ». En effet, la contestation du patient portait sur l’imputabilité de certains troubles, mais n’avançait aucun élément permettant de penser que ces troubles, une fois reconnus, permettraient de franchir le seuil de gravité légal. Une nouvelle expertise, même si elle lui avait donné raison sur l’origine des préjudices contestés, n’aurait pu modifier l’issue du litige. Ce raisonnement, fondé sur l’économie procédurale, montre la volonté du juge de ne pas ordonner des mesures d’instruction coûteuses et longues lorsque leur résultat est dépourvu de portée pratique sur la solution juridique.
B. L’illustration de la charge argumentative pesant sur le demandeur
Au-delà du simple rejet d’une mesure d’instruction, cette décision illustre la charge qui pèse sur le demandeur dans le contentieux de la responsabilité médicale. Il ne suffit pas d’invoquer un préjudice et une irrégularité procédurale ; il faut encore articuler ses moyens de manière à démontrer en quoi ils sont pertinents au regard des conditions légales applicables. Le requérant a concentré son argumentation sur l’imputabilité de ses troubles, sans expliquer comment la reconnaissance de cette imputabilité lui permettrait de satisfaire au critère de gravité de l’article D. 1142-1 du code de la santé publique. En rejetant la demande d’expertise au motif que le patient « n’indique pas quelles conséquences la prise en compte des problèmes sexuels qu’il impute à cet accident aurait pour l’indemnisation de ses préjudices », la Cour rappelle que le juge n’a pas à pallier les carences de l’argumentation des parties. Le requérant se devait de construire un raisonnement complet, démontrant que la mesure d’instruction sollicitée était non seulement justifiée par une irrégularité, mais aussi et surtout susceptible d’influer sur le bien-fondé de sa prétention principale.