Par un arrêt en date du 17 janvier 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé. En l’espèce, une ressortissante ivoirienne, entrée en France en 2021, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en raison d’une pathologie nécessitant une prise en charge médicale. Elle a produit à l’appui de sa demande des certificats médicaux attestant la nécessité d’un suivi régulier.
Le préfet a opposé un refus à cette demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Sa décision se fondait sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), lequel concluait que, malgré la gravité de l’état de santé de l’intéressée, un traitement approprié était effectivement disponible dans son pays d’origine. Saisi par la requérante, le tribunal administratif de Paris a confirmé la décision préfectorale par un jugement du 16 mai 2024. La ressortissante a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation portée sur sa situation.
Il revenait ainsi à la cour administrative d’appel de déterminer si des certificats médicaux attestant de manière générale qu’un traitement ne peut être délivré dans le pays d’origine suffisent à établir l’illégalité d’un refus de séjour fondé sur un avis contraire et circonstancié du collège de médecins de l’OFII.
La cour rejette la requête, considérant que les éléments produits par la requérante ne sont pas suffisamment probants pour remettre en cause l’avis de l’OFII. Elle juge que les certificats, par leur caractère général, n’apportent pas la preuve précise de l’indisponibilité du traitement spécifique suivi par l’intéressée dans son pays d’origine. Cette décision souligne la rigueur de l’appréciation du juge administratif face aux pièces médicales fournies par le demandeur, consolidant ainsi la place centrale de l’avis de l’OFII. L’analyse de cet arrêt révèle une application stricte des exigences probatoires (I), dont la portée pratique soulève néanmoins des interrogations quant à l’effectivité du droit pour les étrangers malades (II).
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I. L’affirmation d’une exigence probatoire renforcée en matière de soins à l’étranger
La décision de la cour administrative d’appel confirme avec fermeté la prééminence de l’avis émis par le collège de médecins de l’OFII (A) et, par conséquent, le caractère insuffisant de pièces médicales jugées trop générales pour contester cet avis (B).
A. La prévalence de l’avis du collège de médecins de l’OFII
Le juge administratif réaffirme ici le rôle central de l’avis du collège de médecins de l’OFII dans l’appréciation de la situation médicale d’un étranger. Le préfet, en se fondant sur cet avis pour refuser le titre de séjour, a suivi la procédure prévue par les textes. La cour, en validant ce raisonnement, confère une autorité déterminante à cette expertise institutionnelle. Elle relève que le préfet s’est « approprié les motifs » de l’avis, faisant de ce dernier le pivot de sa décision.
Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence constante qui accorde un poids considérable à l’analyse technique de l’OFII. Le juge n’exerce qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation sur cette expertise. Pour renverser la présomption de régularité qui s’attache à l’avis, le requérant doit donc apporter des éléments particulièrement solides et précis, capables de démontrer une lecture erronée de sa situation par les médecins de l’Office. La solution retenue montre que le simple fait de produire une opinion médicale divergente n’est pas, en soi, suffisant.
B. L’insuffisance des attestations médicales générales
Le cœur du raisonnement de la cour réside dans le rejet des preuves apportées par la requérante. Celle-ci produisait plusieurs certificats de son médecin traitant, ainsi que des articles de presse. Or, la cour écarte ces documents au motif de leur manque de précision. Elle juge que les certificats médicaux, « établis dans des termes identiques et très généraux », ne permettent pas de remettre en cause l’avis du collège de médecins de l’OFII.
La critique de la cour est double. D’une part, les certificats affirment l’indisponibilité du traitement sans fournir de détails sur la prise en charge spécifique dont bénéficie la patiente. D’autre part, ils n’explicitent pas en quoi ce traitement précis serait inaccessible en Côte d’Ivoire. La cour exige ainsi une démonstration circonstanciée, qui va au-delà d’une affirmation générale, même émanant d’un professionnel de santé. Le requérant doit fournir des « indications précises sur le traitement qu’elle suit en France et son indisponibilité en Côte d’Ivoire ». Cette exigence place de fait sur l’étranger une charge probatoire très lourde, qui confine à une expertise sur l’état du système de santé de son pays d’origine.
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II. Une solution classique aux implications pratiques discutables
Cet arrêt, en se conformant à une ligne jurisprudentielle bien établie, aboutit à une solution juridiquement orthodoxe mais qui marginalise les autres droits invoqués (A) et interroge sur la capacité réelle de l’étranger à satisfaire la charge de la preuve (B).
A. La neutralisation des autres fondements juridiques
La requérante invoquait plusieurs autres moyens, notamment une atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour écarte cet argument de manière concise, en relevant que l’intéressée est « célibataire et sans charge de famille » et ne justifie pas de liens personnels « suffisamment anciens, stables et intenses » en France. Cette motivation, bien que classique, illustre une approche cloisonnée où l’examen de la situation médicale prime et semble absorber l’analyse des autres aspects de la vie personnelle de l’étranger.
De plus, la cour déclare « inopérants » les moyens tirés de la méconnaissance d’autres dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, au motif que la demande initiale au préfet ne reposait pas sur ces fondements. Cette application stricte du principe de la liaison du contentieux, si elle est procéduralement rigoureuse, empêche un examen global de la situation de l’individu et peut paraître particulièrement sévère pour des personnes souvent peu informées des subtilités du droit des étrangers.
B. Le poids de la charge probatoire pesant sur l’étranger
En exigeant une preuve si détaillée de l’indisponibilité d’un traitement à l’étranger, la décision soulève la question de l’équilibre des armes. L’OFII, en tant qu’organe spécialisé, dispose de moyens et d’informations pour évaluer les systèmes de santé étrangers. L’étranger, lui, est isolé et souvent vulnérable. Lui demander de documenter précisément l’absence d’une molécule ou d’un protocole dans son pays d’origine peut constituer une tâche extrêmement ardue, voire impossible.
La solution retenue, si elle est cohérente avec l’économie générale du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, risque de rendre le droit au séjour pour raisons de santé difficilement effectif. Elle place l’étranger dans une position où il doit contester une expertise institutionnelle avec des moyens qui ne sont pas les siens, en apportant une contre-expertise de fait. Cette jurisprudence, en privilégiant une approche administrative rigoureuse, pourrait ainsi limiter la portée protectrice d’une disposition pourtant conçue pour des situations d’une « exceptionnelle gravité ».