Par une décision en date du 17 juillet 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un ensemble de mesures d’éloignement prises par l’autorité préfectorale à l’encontre d’un ressortissant étranger. Cet arrêt offre un éclairage sur les conditions d’appréciation du caractère définitif d’une décision de la Cour nationale du droit d’asile et sur l’articulation entre les pouvoirs de police administrative et le respect de la présomption d’innocence.
En l’espèce, un individu de nationalité irakienne s’était vu reconnaître le statut de réfugié en 2017, obtenant ainsi une carte de résident. Un an plus tard, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a mis fin à ce statut, une décision confirmée en 2022 par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) au motif d’une clause d’exclusion prévue par la convention de Genève. Sur le fondement de cette fin de statut, le préfet de police a, par un arrêté du 28 mai 2024, retiré sa carte de résident, l’a obligé à quitter le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour de cinq ans.
L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Paris, qui a annulé l’arrêté préfectoral le 17 septembre 2024. Les premiers juges ont estimé que la décision de l’OFPRA mettant fin au statut de réfugié ne pouvait être considérée comme définitive, l’administration n’apportant pas la preuve de la notification de l’arrêt de la CNDA à l’intéressé. Le préfet de police a interjeté appel de ce jugement, soutenant la légalité de sa décision. L’étranger, quant à lui, a maintenu que la décision de la CNDA ne lui avait jamais été notifiée et a soulevé, à titre subsidiaire, une atteinte au principe de la présomption d’innocence, arguant que les poursuites pénales engagées contre lui pour des faits de terrorisme et de crimes de guerre faisaient l’objet d’un réquisitoire de non-lieu.
La question de droit soumise à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si un extrait de base de données informatique administrative suffit à établir le caractère définitif d’une décision de la CNDA, condition nécessaire au retrait d’un titre de séjour. D’autre part, il appartenait aux juges de vérifier si l’autorité administrative pouvait légalement fonder une obligation de quitter le territoire et une interdiction de retour sur la menace à l’ordre public constituée par des poursuites pénales graves, mais non encore jugées, sans méconnaître la présomption d’innocence.
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative à ces deux interrogations. Elle juge que l’extrait de la base de données de l’OFPRA, qui mentionne la date de notification, « fait foi jusqu’à preuve du contraire » et que l’étranger ne rapportait pas cette preuve. La cour valide ainsi la légalité du retrait du titre de séjour. Elle estime ensuite que la gravité exceptionnelle des faits reprochés dans le cadre de l’information judiciaire justifiait, à la date de l’arrêté, de considérer l’intéressé comme une menace pour l’ordre public, sans que cela ne constitue une violation de la présomption d’innocence. Par conséquent, elle annule le jugement de première instance et rejette la demande de l’étranger. Cette solution clarifie la portée probante des informations issues des systèmes informatisés de l’administration (I) tout en affirmant une conception autonome de la notion de menace à l’ordre public par rapport à l’issue d’une procédure pénale (II).
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I. La force probante reconnue aux données numériques administratives
La cour administrative d’appel, en infirmant le jugement de première instance, consacre la valeur probatoire d’un relevé informatique pour attester du caractère définitif d’une décision juridictionnelle administrative, conditionnant la légalité d’une mesure de police. Elle établit une présomption de notification difficile à renverser (A) en se montrant peu réceptive aux arguments tirés d’erreurs matérielles affectant le document (B).
A. Le renversement de la charge de la preuve de la notification
Le tribunal administratif avait placé la charge de la preuve sur l’administration, estimant qu’il lui incombait de démontrer que la décision de la CNDA était bien devenue définitive faute d’exercice des voies de recours. Or, une telle preuve passe par la démonstration d’une notification régulière de la décision, point de départ du délai de pourvoi en cassation. En appel, la cour renverse cette perspective en s’appuyant sur les dispositions de l’article R. 532-57 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Ce texte dispose que « La date de notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile qui figure dans le système d’information de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (…) fait foi jusqu’à preuve du contraire ». La production par le préfet d’un relevé de la base de données « TelemOfpra » mentionnant une date de notification suffit donc à établir une présomption simple. Dès lors, il n’appartient plus à l’administration de prouver la régularité de la notification, mais à l’administré de démontrer que la date indiquée est erronée ou que la notification n’a jamais eu lieu. La cour estime que les allégations de l’intéressé ne constituent pas une telle preuve contraire, validant ainsi l’action du préfet.
B. L’appréciation restrictive des erreurs factuelles affectant la preuve
Pour tenter de combattre la présomption, l’étranger soulevait une incohérence factuelle dans le relevé informatique produit. Ce dernier mentionnait comme dernière adresse connue un établissement pénitentiaire, alors que l’intéressé avait été libéré plusieurs années auparavant. Il en déduisait que la base de données n’était pas fiable et, par conséquent, que la date de notification qu’elle contenait était également sujette à caution.
La cour écarte cet argument de manière catégorique. Elle considère que l’éventuelle erreur d’adresse « n’est toutefois pas de nature à remettre en cause le fait que la CNDA est réputée lui avoir notifié sa décision à l’adresse que M. D… E… lui avait alors indiquée ». Ce faisant, elle opère une dissociation entre les différentes informations contenues dans la base de données. L’erreur sur une information secondaire, comme l’adresse, est jugée sans incidence sur la fiabilité de l’information principale, à savoir la date de notification de la décision juridictionnelle. Cette approche pragmatique renforce considérablement la portée de la présomption, en immunisant la preuve de la notification contre des contestations fondées sur des erreurs matérielles périphériques.
Une fois la légalité du retrait du titre de séjour ainsi établie sur une base procédurale solide, la cour se devait d’examiner la validité des autres mesures d’éloignement, qui reposaient sur une appréciation substantielle de la situation de l’intéressé.
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II. L’autonomie de la police administrative face à la procédure pénale
La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’examen des mesures d’obligation de quitter le territoire et d’interdiction de retour, que le préfet a justifiées par la menace à l’ordre public. La cour valide ce motif en se fondant sur la gravité des poursuites pénales visant l’étranger (A), adoptant par là même une interprétation stricte du champ d’application du principe de présomption d’innocence en droit administratif (B).
A. La caractérisation de la menace à l’ordre public indépendamment de la condamnation pénale
L’étranger soutenait qu’en l’absence de condamnation pénale et au vu d’un réquisitoire de non-lieu postérieur à l’arrêté, il ne pouvait être considéré comme une menace pour l’ordre public. La cour rejette cette analyse en se plaçant à la date de la décision préfectorale. Elle relève qu’à ce moment, l’individu était mis en examen pour des faits « d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste » et de « crimes de guerre ».
La cour juge que « eu égard à la nature et à l’extrême gravité des faits reprochés », le préfet a pu légalement estimer que le comportement de l’intéressé représentait une menace pour l’ordre public. Cette motivation démontre l’autonomie de l’appréciation de l’autorité de police administrative. Celle-ci n’a pas à attendre l’issue d’une procédure pénale pour agir. Elle peut fonder sa décision sur les éléments objectifs d’une instruction en cours, dès lors que les faits qui la justifient sont d’une gravité suffisante pour laisser craindre un risque pour la sécurité et la tranquillité publiques. Le but préventif de la police administrative justifie une action fondée sur un risque plausible, et non sur une culpabilité avérée.
B. Une conception stricte de la présomption d’innocence en matière administrative
L’argument central de l’étranger consistait à invoquer la violation de la présomption d’innocence, garantie par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La cour y répond en délimitant le périmètre de ce principe. Elle considère que le préfet, en procédant au retrait du titre de séjour, puis en ordonnant l’éloignement, « pouvait légalement, sans méconnaître le principe de présomption d’innocence », prendre ses décisions.
Cette affirmation réitère une jurisprudence constante selon laquelle la présomption d’innocence, principe cardinal de la procédure pénale, ne fait pas obstacle à ce que l’administration prenne des mesures de police fondées sur le comportement d’une personne, y compris lorsque ce comportement fait l’objet de poursuites pénales non définitives. La décision administrative ne se prononce pas sur la culpabilité de l’individu, mais évalue les conséquences de sa présence sur le territoire national. En se fondant sur la seule existence de poursuites pour des crimes d’une gravité exceptionnelle à la date de sa décision, l’administration n’a pas traité l’étranger en coupable, mais a agi au nom de la protection de l’ordre public, une finalité distincte et autonome de celle de la justice pénale.