Cour d’appel administrative de Paris, le 17 juillet 2025, n°24PA04376

La Cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt rendu le 17 juillet 2025, a statué sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français. Une ressortissante étrangère conteste le rejet de sa demande d’admission exceptionnelle au séjour ainsi que la mesure d’éloignement prise consécutivement par l’autorité préfectorale compétente. L’intéressée, entrée sur le territoire national en 2018, soutenait résider en concubinage avec un compatriote titulaire d’une carte de résident et être mère de trois enfants mineurs. Par un jugement du 26 septembre 2024, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 25 janvier 2023. La requérante a alors interjeté appel devant la juridiction parisienne en invoquant notamment une méconnaissance de son droit d’être entendue et une atteinte disproportionnée à sa vie familiale. Elle arguait également de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée et d’un défaut d’examen sérieux de sa situation personnelle par les services de la préfecture. Le litige soulevait la question de savoir si la procédure spécifique d’éloignement prévue par le droit spécial des étrangers exclut les garanties procédurales générales du droit administratif. La juridiction d’appel confirme la solution des premiers juges en validant la primauté du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

I. La primauté de la procédure spéciale du droit des étrangers sur le droit administratif commun

A. L’exclusion explicite du régime contradictoire de droit commun prévu par le code des relations entre le public et l’administration

La Cour administrative d’appel de Paris rappelle que le code de l’entrée et du séjour des étrangers définit l’intégralité des garanties applicables aux mesures d’éloignement. Elle précise que « le législateur a entendu déterminer l’ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l’intervention et l’exécution des décisions portant obligation de quitter le territoire ». Cette affirmation permet d’écarter l’application des dispositions générales du code des relations entre le public et l’administration concernant la procédure contradictoire préalable aux décisions individuelles. Le juge administratif considère que l’existence d’une procédure contradictoire particulière dans le droit des étrangers rend inopérant le recours aux principes généraux de l’administration. Par suite, l’absence d’un échange contradictoire spécifique avant le prononcé de la mesure de retour ne constitue pas une irrégularité procédurale entachant la validité de l’acte. Cette solution consacre l’autonomie du contentieux des étrangers par rapport au droit administratif général afin de garantir l’efficacité des mesures de police des étrangers.

B. La mise en œuvre du droit d’être entendu à travers la procédure de demande de titre de séjour

Le droit d’être entendu, principe général du droit de l’Union européenne, n’impose pas à l’autorité administrative d’organiser une audition spécifique sur la mesure d’éloignement elle-même. La Cour juge que la présentation d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour permet à l’intéressée de faire valoir utilement son point de vue sur sa situation. La requérante a « nécessairement été mise en mesure de présenter des arguments, oralement ou par écrit, sur son identité, son pays d’origine » ainsi que sur sa vie privée. Dès lors que l’administration dispose des éléments relatifs à la situation personnelle et familiale, le droit d’être entendu est considéré comme respecté par le juge d’appel. L’autorité préfectorale n’est pas tenue de solliciter de nouvelles observations avant de prendre une décision de retour consécutive au refus du titre de séjour sollicité. Cette interprétation limite l’exigence procédurale à la possibilité pour l’étranger de porter à la connaissance de l’administration les motifs susceptibles de justifier son maintien sur le territoire.

II. Une appréciation stricte des conditions de fait relatives à la vie privée et familiale

A. La preuve de la filiation et la délimitation temporelle de l’examen de la situation personnelle

La juridiction administrative exige des éléments probants de nature à établir la réalité des liens familiaux invoqués pour bénéficier de la protection de la convention européenne. La Cour relève que la requérante ne démontre pas le lien de filiation entre son concubin et son premier enfant malgré la production d’actes d’état civil. Elle considère qu’un acte de naissance rédigé en langue étrangère demeure insuffisant pour établir une paternité si les conditions de sa validité ne sont pas démontrées. En outre, le juge précise que la légalité d’une décision administrative s’apprécie à la date de sa signature par l’autorité préfectorale compétente pour agir. Par conséquent, « la naissance, le 18 février 2024, de l’enfant est sans incidence sur le droit au respect de la vie privée » car elle est postérieure. Le contrôle juridictionnel se cristallise ainsi sur les éléments de fait existant au moment où le préfet a statué sur la demande de titre de séjour.

B. L’absence d’obstacle à la reconstitution de la cellule familiale dans le pays d’origine

Le juge administratif estime que l’éloignement de la requérante ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée si la cellule familiale peut se reconstituer ailleurs. La Cour souligne que l’entrée en France est récente et que l’intéressée n’établit pas être dépourvue d’attaches familiales ou sociales dans son pays de naissance. Elle observe qu’il n’existe aucun « élément de nature à faire obstacle à la reconstitution de la cellule familiale issue de son union » en Turquie avec son concubin. Ce dernier possédant la même nationalité que la requérante, le retour de l’ensemble de la famille vers leur pays d’origine commun apparaît juridiquement envisageable. Par suite, la mesure d’éloignement ne méconnaît ni l’intérêt supérieur des enfants ni le droit au respect d’une vie familiale normale garanti par les stipulations conventionnelles. L’erreur manifeste d’appréciation est également écartée au regard des conditions précaires du séjour et de l’absence d’intégration durable démontrée par les pièces produites.

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Hassan KOHEN
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