Par un arrêt en date du 18 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité de la procédure de modification d’un compte rendu d’entretien professionnel d’un agent de la fonction publique d’État. En l’espèce, une inspectrice divisionnaire des finances publiques, cheffe de poste dans un service des impôts des particuliers, a fait l’objet d’un entretien professionnel le 9 mars 2021 portant sur sa manière de servir au titre de l’année 2020. Un premier compte rendu lui fut communiqué via une application informatique dédiée, mais cette version fut ensuite modifiée par son supérieur hiérarchique direct avant que l’agente n’ait pu y apposer sa signature. Cette dernière, estimant la procédure irrégulière et l’évaluation entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, a saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation du compte rendu final. Le tribunal ayant rejeté sa demande par un jugement du 2 novembre 2023, la requérante a interjeté appel, soutenant que l’administration ne pouvait modifier un compte rendu déjà signé par le supérieur hiérarchique, que les modifications étaient infondées et que le principe du contradictoire avait été méconnu. La question soumise à la cour était de savoir si un supérieur hiérarchique direct pouvait légalement modifier, dans un sens défavorable à l’agent, un compte rendu d’entretien professionnel déjà signé par lui mais non encore visé par l’intéressée, et si les modifications ainsi apportées, reflétant des critiques sur la manière de servir de l’agent, étaient constitutives d’une erreur manifeste d’appréciation. La juridiction d’appel rejette la requête, considérant que la procédure de modification était régulière dès lors que l’agent n’avait pas encore signé le document, et que les appréciations portées sur sa valeur professionnelle n’étaient pas manifestement erronées au regard du contexte dans lequel elles s’inscrivaient.
La décision de la cour permet ainsi de préciser les conditions procédurales de l’établissement du compte rendu d’évaluation (I), avant de rappeler la portée limitée du contrôle exercé par le juge sur l’appréciation de la valeur professionnelle de l’agent (II).
I. La validation d’une procédure de modification contestée du compte rendu d’entretien
L’arrêt confirme la légalité de la procédure suivie par l’administration en reconnaissant d’une part la faculté pour le supérieur hiérarchique d’amender le projet de compte rendu (A), et en constatant d’autre part le respect subséquent du principe du contradictoire (B).
A. La faculté reconnue au supérieur hiérarchique d’amender le projet de compte rendu
La requérante soutenait que le compte rendu initial, une fois signé par son supérieur hiérarchique, ne pouvait plus être modifié. La cour écarte ce moyen en se fondant sur une lecture pragmatique des étapes de la procédure d’évaluation. Elle relève que si le document avait bien été signé par l’évaluateur, il n’avait cependant pas encore été retourné par l’agente. Pour la juridiction, cette absence de visa de l’intéressée prive le document de son caractère définitif. Le juge considère ainsi que « son responsable hiérarchique direct disposait de la possibilité de l’amender avant de le transmettre à nouveau à l’intéressée ». Cette solution consacre une interprétation souple de l’article 4 du décret du 28 juillet 2010. Le cycle de l’évaluation n’est complet qu’après la communication à l’agent, ses éventuelles observations, le visa de l’autorité hiérarchique et enfin, la notification au fonctionnaire qui le signe pour attester en avoir pris connaissance. Tant que cette dernière étape n’est pas franchie, le compte rendu demeure un document préparatoire, un projet susceptible d’ajustements par son auteur.
B. Le respect subséquent du principe du contradictoire
Conséquence logique de cette qualification de projet, la cour estime que la procédure contradictoire, dont la requérante invoquait la méconnaissance, a bien été respectée. Le juge d’appel observe que l’agente a été rendue destinataire de la version modifiée du compte rendu et a été mise en mesure de formuler des observations. Elle a d’ailleurs usé de cette faculté en précisant que sa signature ne valait pas approbation du contenu. Pour la cour, cette possibilité effective de commenter la version finale du document suffit à garantir le respect des droits de l’agent. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire est donc écarté. La procédure est jugée régulière dès lors que l’agent a pu prendre connaissance de l’ensemble des appréciations portées sur sa manière de servir et y répondre avant que le document ne soit versé à son dossier administratif.
Au-delà de la régularité formelle de la procédure, la requérante contestait également sur le fond la teneur des appréciations portées sur sa manière de servir.
II. Le contrôle restreint de l’appréciation de la valeur professionnelle
L’arrêt illustre le contrôle restreint que le juge administratif exerce sur l’évaluation des agents publics. La cour prend en considération le contexte professionnel particulier de l’évaluation (A) pour conclure à l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des qualités de l’agente (B).
A. La prise en compte d’un contexte managérial difficile
Pour écarter le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, la cour prend soin de contextualiser l’évaluation. Elle note que l’entretien est intervenu alors que la requérante était mise en cause dans le cadre d’un « droit d’alerte » syndical en raison de ses méthodes de gestion. Celles-ci étaient décrites comme étant à l’origine d’un « climat délétère et anxiogène dans le service ». Cette prise en compte des circonstances factuelles est déterminante dans le raisonnement du juge. Elle lui permet d’apprécier la pertinence des appréciations portées par le supérieur hiérarchique. Loin d’être infondées ou déconnectées de la réalité du service, les modifications apportées au compte rendu apparaissent comme une réponse de l’administration à une situation managériale jugée problématique, ce que le juge ne pouvait ignorer.
B. L’absence d’erreur manifeste dans l’évaluation des qualités professionnelles
Fort de cette contextualisation, le juge exerce son contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, lequel le conduit à ne censurer que les appréciations qui seraient manifestement erronées, illogiques ou disproportionnées. En l’espèce, la cour constate que le compte rendu litigieux « souligne, en des termes mesurés, le caractère trop directif du management de l’intéressée ». Il insiste notamment sur la nécessité de « progresser pour faire adhérer ses équipes » en usant de « diplomatie et du sens de l’écoute ». Le juge considère que ces appréciations, loin d’être excessives, sont nuancées et directement liées aux difficultés de management constatées. Dès lors, même si un avis favorable à une mutation avait été émis peu avant, cette circonstance n’est pas de nature à retirer tout crédit à l’évaluation critiquée. Le compte rendu n’apparaît donc pas entaché d’une erreur manifeste dans l’appréciation des capacités professionnelles de l’agente.