Par un arrêt en date du 18 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur la contestation par un contribuable des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à sa charge pour les années 2017 et 2018. L’affaire trouve son origine dans une vérification de comptabilité de l’activité professionnelle du requérant, avocat de profession, qui a conduit l’administration fiscale à rectifier son bénéfice non commercial et à taxer d’office son revenu global. Un jugement du tribunal administratif de Paris en date du 6 juin 2024 avait initialement rejeté la demande du contribuable tendant à la décharge de ces impositions. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens tenant tant à la régularité de la procédure qu’au bien-fondé des impositions. La cour a d’abord constaté que le jugement de première instance était entaché d’une omission à statuer, ce qui l’a conduite à annuler ledit jugement et à évoquer l’affaire pour statuer directement sur la demande initiale.
Face aux juges d’appel, le contribuable soutenait principalement qu’il devait bénéficier d’une imposition commune avec son épouse, arguant d’une réconciliation de fait malgré un jugement de séparation de corps. Il contestait également le calcul de l’impôt, la régularité des pénalités, ainsi que le respect des délais de prescription par l’administration fiscale. Se posait donc à la cour la question de savoir si une situation de fait, telle une réconciliation entre époux, pouvait primer sur une décision de justice actant une séparation de corps pour la détermination du régime d’imposition. De surcroît, les juges devaient apprécier la régularité de la procédure de rectification et de recouvrement menée par l’administration au regard des règles de procédure fiscale, notamment en matière de notification et de prescription.
La Cour administrative d’appel rejette l’ensemble des arguments du requérant. Elle juge que la séparation de corps, qui entraîne de plein droit une séparation de biens, impose une imposition distincte des époux, et qu’une simple réconciliation de fait, au surplus non prouvée, ne saurait modifier cette situation juridique. La cour valide par ailleurs la procédure de rectification et de recouvrement, estimant que l’administration avait respecté les formalités requises, notamment en interrompant valablement le délai de reprise et en notifiant les actes de procédure à l’adresse correcte du contribuable. La décision commentée présente ainsi l’intérêt de rappeler avec fermeté les principes régissant l’établissement de l’impôt (I), avant de confirmer la rigueur des règles applicables à son recouvrement (II).
I. La confirmation des principes régissant l’établissement de l’impôt
La décision de la cour administrative d’appel réaffirme avec clarté la prééminence de la situation de droit du contribuable sur les circonstances de fait pour la détermination des modalités d’imposition. Elle valide en outre la procédure de rectification suivie par l’administration en écartant les moyens tirés de la prescription et de l’irrégularité des pénalités.
A. Le rejet de la prise en compte d’une situation personnelle de fait
Le requérant sollicitait le bénéfice d’un quotient familial de deux parts, soutenant qu’il s’était réconcilié avec son épouse dont il était pourtant séparé de corps. La cour écarte fermement cet argument en se fondant sur une application stricte des dispositions combinées du code général des impôts et du code civil. En vertu de l’article 302 du code civil, « la séparation de corps entraîne toujours séparation de biens », situation qui impose une imposition distincte conformément à l’article 6 du code général des impôts. Les juges précisent qu’une telle situation juridique, issue d’un jugement de 2005, ne saurait être remise en cause par une simple circonstance de fait. En affirmant qu’une « telle circonstance est sans incidence sur la situation de droit résultant du jugement précité », la cour rappelle un principe fondamental du droit fiscal : l’imposition est établie sur la base de statuts juridiquement définis, et non sur des situations factuelles susceptibles de varier et difficiles à établir. Cette solution, classique, renforce la sécurité juridique en assurant la prévisibilité de la loi fiscale et en évitant que l’administration n’ait à se livrer à des enquêtes sur la vie privée des contribuables pour vérifier la réalité d’une vie commune.
B. La validation de la procédure de rectification
Le contribuable contestait également la régularité de la procédure d’imposition sur plusieurs points, qui sont tous rejetés par la cour. D’une part, le moyen tiré de l’expiration du délai de reprise de l’administration est écarté. Les juges rappellent que la notification d’une proposition de rectification, intervenue en l’espèce le 25 août 2020 pour des impositions dues au titre de 2017 et 2018, a pour effet d’interrompre la prescription de trois ans prévue à l’article L. 169 du livre des procédures fiscales. D’autre part, la cour valide l’application de la majoration de 40 % pour défaut de déclaration dans les trente jours suivant une mise en demeure. Contrairement aux allégations du requérant, l’administration produit la preuve de la notification de ces mises en demeure par un « accusé de réception signé de sa main ». Cette approche pragmatique souligne l’importance de la preuve matérielle dans le contentieux fiscal et la charge qui pèse sur le contribuable de conserver les documents afférents à sa situation. Enfin, la cour écarte l’argument relatif à une erreur dans l’application du barème de l’impôt, le contribuable s’étant fondé sur une base imposable et un barème erronés.
Une fois la régularité de l’assiette de l’impôt confirmée, il appartenait logiquement à la cour de se prononcer sur les contestations relatives aux modalités de son recouvrement.
II. L’application rigoureuse des règles de recouvrement de l’impôt
Après avoir validé le bien-fondé des impositions, la cour examine les moyens dirigés contre la procédure de recouvrement forcé. Elle confirme que la créance fiscale était bien exigible et que l’action en recouvrement de l’administration n’était pas prescrite.
A. L’exigibilité de la créance en dépit de la contestation de la notification
Le requérant soutenait que l’obligation de payer n’était pas née, faute d’avoir reçu les avis d’imposition préalablement à l’émission du commandement de payer. La cour rejette ce moyen en constatant que l’administration avait bien envoyé lesdits avis « à l’adresse exacte » du contribuable. La jurisprudence considère de manière constante que l’administration est réputée avoir satisfait à son obligation de notification dès lors qu’elle a expédié le pli à la dernière adresse connue du contribuable. Il appartient alors à ce dernier, s’il prétend ne pas l’avoir reçu, de faire état de « circonstance[s] particulière[s] qui expliquerai[en]t » cette non-réception. En l’absence de toute justification de ce type, la simple allégation de non-réception est inopérante. Cette solution est une juste application de la théorie du risque en matière de notification postale et vise à prévenir les manœuvres dilatoires des redevables. Elle assure ainsi l’effectivité du recouvrement de l’impôt, en ne faisant pas peser sur l’administration une obligation de résultat quant à la réception effective de ses envois.
B. L’écartement de la prescription de l’action en recouvrement
Enfin, la cour se prononce sur le moyen tiré de la prescription quadriennale de l’action en recouvrement, prévue par l’article L. 274 du livre des procédures fiscales. Le requérant arguait que la dette était prescrite au moment de l’émission de la mise en demeure valant commandement de payer du 3 février 2022. Le raisonnement des juges est ici d’une simplicité et d’une logique implacables. Ils relèvent que les impositions ont été mises en recouvrement le 30 septembre 2021. Le délai de prescription de quatre ans n’a donc commencé à courir qu’à compter de cette date. Par conséquent, au 3 février 2022, ce délai était très loin d’être expiré. La cour en conclut logiquement que « la dette fiscale dont le recouvrement était poursuivi (…) n’était pas atteinte par la prescription quadriennale ». Cet aspect de la décision, bien que reposant sur une simple computation de délais, illustre la faible consistance de l’argumentation du requérant et la rigueur avec laquelle la cour applique les règles de procédure fiscale, même les plus élémentaires.