Cour d’appel administrative de Paris, le 18 juillet 2025, n°24PA02807

Par un arrêt en date du 18 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’un refus de renouvellement de titre de séjour fondé sur une menace à l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré régulièrement en France en 2012 et titulaire d’un titre de séjour en qualité de conjoint de Français depuis 2016, avait sollicité le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle. Le préfet de la Seine-Saint-Denis avait rejeté sa demande par un arrêté du 5 avril 2024, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français sans délai et d’une interdiction de retour de trois ans, au motif que sa présence constituait une menace pour l’ordre public. Un second arrêté du 2 mai 2024 avait ensuite assigné l’intéressé à résidence. Saisi par ce dernier, le premier vice-président du tribunal administratif de Montreuil avait rejeté sa demande par une ordonnance du 10 juin 2024, la jugeant manifestement irrecevable. Le requérant a interjeté appel de cette ordonnance. Se posait alors, d’une part, la question de la régularité de l’ordonnance de rejet pour irrecevabilité, dès lors que le requérant était assigné à résidence et que des dispositions spécifiques régissent la production des pièces dans un tel cas. D’autre part, et sur le fond, il convenait de déterminer si des faits pénaux anciens et isolés suffisaient à caractériser une menace actuelle à l’ordre public justifiant un refus de séjour, au regard des éléments d’intégration de l’intéressé. La cour administrative d’appel a annulé l’ordonnance, la jugeant irrégulière au motif qu’il incombait à l’administration, et non au requérant assigné à résidence, de produire les décisions contestées. Statuant par la voie de l’évocation, elle a ensuite annulé les arrêtés préfectoraux, considérant que le préfet avait commis une erreur dans l’application des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en retenant l’existence d’une menace à l’ordre public.

Cette décision rappelle avec fermeté les règles procédurales protectrices applicables au contentieux des étrangers (I), avant de livrer une illustration classique du contrôle de proportionnalité exercé sur la notion de menace à l’ordre public (II).

I. La sanction d’une procédure de première instance irrégulière

La cour administrative d’appel a d’abord censuré le recours par le premier juge à une procédure de rejet sommaire, estimant qu’elle méconnaissait les règles applicables. Cette censure se justifie par le fait que le juge a fait une application erronée des pouvoirs qu’il tire de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (A), en ignorant la primauté d’une règle de procédure spécifique au contentieux des étrangers assignés à résidence (B).

A. Le cadre strict du rejet des requêtes par ordonnance

L’article R. 222-1 du code de justice administrative permet à certaines formations de jugement de rejeter par ordonnance les requêtes « manifestement irrecevables ». Cet outil de bonne administration de la justice vise à écarter sans instruction approfondie les recours qui ne respectent pas les conditions de forme ou de délai. Le premier juge a estimé que la non-production de l’intégralité des arrêtés attaqués par le requérant constituait une telle irrecevabilité manifeste, justifiant le rejet de sa demande.

Toutefois, la cour administrative d’appel rappelle que ce pouvoir ne peut être exercé que « lorsque la juridiction n’est pas tenue d’inviter leur auteur à les régulariser ou qu’elles n’ont pas été régularisées ». L’emploi de cette procédure était donc conditionné à l’absence d’une règle dérogatoire imposant une autre solution. Or, en l’espèce, une telle règle existait et aurait dû conduire le juge à écarter l’application de ce mécanisme de rejet sommaire.

B. La règle spécifique de production des décisions en cas d’assignation à résidence

Le contentieux des mesures d’éloignement, lorsqu’il s’accompagne d’une privation de liberté telle que l’assignation à résidence, est soumis à des règles procédurales dérogatoires. L’article R. 776-18 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige, disposait clairement que dans une telle hypothèse, « Les décisions attaquées sont produites par l’administration ». Cette disposition renverse la charge de la production de la décision attaquée, qui pèse habituellement sur le requérant. Elle se justifie par la vulnérabilité de l’étranger dont la liberté de circulation est entravée et qui peut rencontrer des difficultés matérielles pour rassembler toutes les pièces de son dossier.

La cour en déduit logiquement que « dès lors qu’il appartenait à l’administration de produire les décisions contestées, sa demande ne pouvait être rejetée comme irrecevable au motif qu’il ne les avait pas produites dans leur intégralité ». Le premier juge a donc commis une erreur de droit en se fondant sur une irrecevabilité qui ne pouvait être opposée au requérant. L’annulation de l’ordonnance était par conséquent inévitable, permettant à la cour de statuer elle-même sur le fond du litige.

II. Le contrôle restreint de la menace à l’ordre public

Après avoir réglé la question de procédure, la cour, statuant par évocation, s’est livrée à un examen au fond de la légalité du refus de séjour. Elle a estimé que la décision du préfet reposait sur une appréciation erronée de la menace à l’ordre public. Son raisonnement met en lumière l’insuffisance de faits anciens et isolés pour fonder une telle menace (A) et la nécessité de mettre ces faits en balance avec les facteurs d’intégration de la personne (B).

A. L’exigence d’une menace actuelle et d’une gravité suffisante

Pour justifier sa décision, le préfet s’était fondé sur une inscription au fichier de traitement des antécédents judiciaires pour des faits de recel datant de 2015 et sur une condamnation de 2021 pour des violences conjugales. La cour procède à un examen détaillé de ces éléments. Concernant les faits de 2015, elle relève que le préfet « n’apporte toutefois aucune précision sur la teneur exacte des faits », ce qui empêche d’en apprécier la gravité, et souligne leur ancienneté.

Quant à la condamnation pour violences, si la cour en reconnaît la gravité, elle note qu’elle remonte à quatre ans avant la décision attaquée et qu’elle présente « un caractère isolé ». Ce faisant, le juge administratif rappelle que la menace à l’ordre public doit être appréciée à la date de la décision. Elle ne saurait se déduire automatiquement de l’existence d’antécédents pénaux, qui doivent présenter un certain degré de gravité et conserver une pertinence actuelle pour justifier une mesure aussi radicale qu’un refus de renouvellement de séjour.

B. La mise en balance avec les éléments d’intégration

L’appréciation de la menace à l’ordre public ne se fait pas in abstracto, mais au travers d’un bilan global de la situation de la personne. La cour administrative d’appel applique cette méthode de manière rigoureuse. Elle oppose aux antécédents de l’intéressé ses « facteurs d’insertion en France ». Elle constate ainsi de manière positive que l’étranger « travaille sous couvert d’un contrat à durée indéterminée depuis 2018 ».

C’est au terme de cette mise en balance que la cour conclut à une « inexacte application des dispositions de l’article L. 412-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Le caractère relativement ancien et isolé des faits reprochés ne pesait pas suffisamment lourd face à une intégration professionnelle stable et durable pour constituer une menace à l’ordre public faisant obstacle au renouvellement du titre de séjour. La décision illustre ainsi le contrôle de proportionnalité que le juge exerce sur les décisions de l’administration, garantissant que l’atteinte portée à la situation personnelle de l’étranger ne soit pas excessive au regard des faits qui lui sont reprochés.

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