La Cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 19 juin 2025, précise les conditions de preuve relatives à la communauté de vie des époux. Un ressortissant ivoirien, marié à une française depuis 2019, a sollicité la délivrance d’une carte de résident après trois années de séjour régulier en France. Le préfet de Seine-et-Marne a rejeté cette demande et a assorti sa décision d’une obligation de quitter le territoire français en juillet 2023. Le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté le 7 novembre 2024 au motif que la rupture de la vie commune n’était pas démontrée. Le représentant de l’État soutient en appel que les témoignages de l’épouse et une main courante établissent avec certitude la cessation de la cohabitation. La juridiction d’appel doit déterminer si des déclarations unilatérales suffisent à renverser la présomption de communauté de vie pour refuser un titre de séjour. Les juges parisiens considèrent que ces éléments de preuve sont suffisants pour établir la fin de la vie familiale à la date de l’arrêté contesté. Cette solution conduit à l’annulation du premier jugement et nécessite d’analyser la force probante de la rupture (I) avant d’envisager ses conséquences juridiques (II).
I. La remise en cause de la présomption de communauté de vie
L’administration peut écarter le droit au séjour si elle démontre que l’exigence de vie commune, pourtant présumée par le code civil, n’est plus remplie.
A. La portée de la présomption de cohabitation effective
L’article 215 du code civil impose aux époux une obligation de communauté de vie dont découle une présomption légale au profit du demandeur étranger. Le juge rappelle que « si l’administration entend remettre en cause l’existence d’une communauté de vie effective, elle supporte la charge d’apporter tout élément probant ». Cette règle protège le conjoint contre des refus arbitraires en obligeant le préfet à fournir des indices sérieux de séparation avant de rejeter la demande. Le tribunal administratif de Melun avait estimé que la seule production d’une main courante ne permettait pas de renverser cette protection juridique attachée au lien matrimonial. Cependant, la cour administrative d’appel adopte une position plus souple quant à la nature des preuves admissibles pour caractériser la fin de l’union conjugale.
B. L’admission de témoignages unilatéraux comme éléments de preuve
Pour infirmer le jugement, la cour relève que l’épouse a informé les services préfectoraux de l’absence de vie commune par un courrier explicite et détaillé. Le dépôt d’une main courante mentionnant l’intention de divorcer constitue également un élément suffisant pour établir la réalité de la rupture du lien affectif. Les juges estiment que « le préfet doit être regardé comme rapportant la preuve qu’à la date de la décision, la communauté de vie avait cessé ». Cette appréciation souveraine des faits permet de valider le raisonnement préfectoral sans exiger de constatations matérielles supplémentaires comme des enquêtes de voisinage poussées. La reconnaissance de cette rupture entraîne l’inapplicabilité des dispositions protectrices prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers en France.
II. Les incidences de la rupture sur la légalité du refus de séjour
La constatation de la fin de vie commune prive le requérant de son droit à la carte de résident et autorise légalement son éloignement du territoire.
A. L’échec de la demande de délivrance d’un titre de séjour permanent
L’article L. 423-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers subordonne la carte de résident à une communauté de vie effective et ininterrompue. Faute de remplir cette condition essentielle, la décision de refus ne méconnaît pas les dispositions législatives relatives au droit au séjour des conjoints d’étrangers. L’intéressé ne peut plus se prévaloir de son mariage pour obtenir la pérennité de son installation malgré la durée de son séjour régulier en France. La cour écarte également le moyen tiré de l’atteinte à la vie familiale car le requérant n’a pas d’enfant et exerce une activité professionnelle limitée. L’absence de liens personnels effectifs sur le territoire justifie alors la priorité donnée au contrôle de l’immigration sur le maintien du droit au séjour.
B. La validation de la mesure d’éloignement et de ses conséquences
L’obligation de quitter le territoire français est légale dès lors que l’étranger ne remplit plus les critères de protection contre les mesures administratives d’éloignement. L’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers ne s’applique pas si la communauté de vie a cessé avant le délai requis. Le refus de séjour n’étant pas illégal, le moyen tiré de l’exception d’illégalité à l’encontre de la mesure d’éloignement doit être écarté par la juridiction. La cour confirme ainsi que la décision fixant le pays de renvoi est juridiquement fondée en l’absence de risques personnels avérés dans le pays d’origine. Ce jugement souligne la rigueur avec laquelle le juge administratif contrôle la réalité de la vie commune pour l’octroi de droits au séjour durables.