Par un arrêt en date du 19 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger. Cette décision illustre la mise en balance, opérée par le juge administratif, entre la protection de l’ordre public et le respect du droit à la vie privée et familiale, ainsi que le contrôle qu’il exerce sur les sanctions administratives complémentaires comme l’interdiction de retour sur le territoire.
Un ressortissant angolais, déclarant être présent sur le territoire national depuis 2002, a fait l’objet, le 26 mars 2024, d’un arrêté préfectoral l’obligeant à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire. Cette décision était assortie d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de cinq ans. Ces mesures ont été prises consécutivement à son interpellation dans le cadre d’une enquête pour des faits d’escroquerie en bande organisée, d’usage de faux et d’aide au séjour irrégulier, l’intéressé ayant par ailleurs un casier judiciaire portant mention de plusieurs condamnations, dont une peine de huit ans d’emprisonnement pour des faits de nature criminelle.
L’étranger a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande d’annulation de cet arrêté, laquelle fut rejetée par un jugement du 28 novembre 2024. Il a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision d’éloignement reposait sur une erreur d’appréciation de la menace qu’il représenterait pour l’ordre public et portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il contestait également la légalité et la durée de l’interdiction de retour prononcée à son encontre.
Il appartenait ainsi à la juridiction d’appel de déterminer si une vie privée et familiale ancienne et établie sur le territoire national pouvait faire obstacle à une mesure d’éloignement motivée par une menace grave pour l’ordre public, caractérisée par un lourd passé judiciaire et des poursuites pénales en cours. Se posait également la question de la proportionnalité de la durée de l’interdiction de retour au regard de l’ensemble de la situation personnelle et du comportement de l’intéressé.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’intéressé n’est pas disproportionnée au regard de l’intensité de la menace pour l’ordre public que sa présence constitue. Elle valide en conséquence la durée de cinq ans de l’interdiction de retour, la jugeant justifiée par la gravité des faits criminels passés, le comportement de l’intéressé et ses manquements antérieurs à des mesures d’éloignement. L’arrêt confirme ainsi la primauté de l’impératif de sauvegarde de l’ordre public dans la mise en balance avec le droit au respect de la vie privée et familiale (I), justifiant par voie de conséquence le prononcé d’une interdiction de retour d’une durée significative (II).
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I. La confirmation de la primauté de l’ordre public dans l’appréciation de la légalité de l’obligation de quitter le territoire
La cour administrative d’appel valide la décision d’éloignement en s’appuyant d’abord sur une appréciation rigoureuse de la menace à l’ordre public, ce qui lui permet ensuite de procéder à un contrôle de proportionnalité concret où les intérêts de l’État l’emportent sur la situation personnelle de l’étranger.
A. Une caractérisation incontestée de la menace à l’ordre public
Le juge administratif fonde son raisonnement sur la matérialité et la gravité des faits reprochés au requérant. Pour écarter le moyen tiré de l’erreur d’appréciation, il procède à un inventaire détaillé et factuel des antécédents de l’intéressé. La cour relève ainsi qu’il a été « condamné à six reprises à des peines d’emprisonnement depuis le 12 décembre 2005, notamment pour des faits de vol, escroquerie, usage et recel de faux documents administratifs, et en 2007 à 8 années d’emprisonnement pour des faits de viol commis en réunion et d’arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire ». L’accumulation de condamnations pour des infractions de nature variée, dont certaines d’une gravité criminelle, suffit à établir le fondement de l’appréciation de l’autorité préfectorale. De surcroît, la cour prend en considération l’interpellation récente pour des faits graves, qui démontre la persistance et l’actualité de la menace que l’individu représente pour la sécurité publique. Cette méthode d’analyse, qui s’attache à des éléments objectifs et documentés, ancre la décision dans une base factuelle solide et rend la critique de l’appréciation préfectorale difficilement soutenable.
B. Un contrôle de proportionnalité concret au détriment du droit à la vie privée et familiale
Face à une menace pour l’ordre public ainsi établie, l’invocation du droit au respect de la vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, est soumise à un contrôle de proportionnalité strict. La cour reconnaît l’existence d’une telle vie, notant que le requérant « établit qu’il mène en France, au moins depuis 2017, une vie privée et familiale avec sa concubine, en situation régulière en France, et leurs trois enfants mineurs scolarisés ». Cependant, elle procède à une mise en balance des intérêts en présence. La décision énonce clairement que « l’atteinte portée à cette vie privée et familiale par la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français n’est pas disproportionnée au regard de la menace que constitue, à la date de cette décision, la présence de [l’intéressé] sur le territoire français ». Cette solution réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle le droit à la vie privée et familiale n’est pas absolu et peut être restreint pour des motifs légitimes, notamment la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. L’intensité et la gravité de la menace pour l’ordre public constituent le facteur déterminant de la balance, reléguant au second plan l’ancienneté du séjour et l’intensité des liens familiaux, aussi réels soient-ils.
II. Les conséquences logiques de la menace à l’ordre public sur la décision d’interdiction de retour
La validation de l’obligation de quitter le territoire fonde logiquement celle de l’interdiction de retour qui l’accompagne. La cour justifie cette mesure complémentaire en se référant à son caractère quasi automatique dans une telle situation, puis en vérifiant que sa durée a été fixée de manière proportionnée.
A. Une interdiction de retour légalement attachée à l’absence de délai de départ volontaire
La décision d’interdiction de retour sur le territoire français découle directement du choix de l’administration de ne pas accorder de délai de départ volontaire. L’article L. 612-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose en effet que dans ce cas, l’autorité administrative assortit l’obligation de quitter le territoire d’une telle interdiction. La menace à l’ordre public justifiant le refus d’un délai de départ, elle entraîne mécaniquement le prononcé d’une interdiction de retour. La seule exception prévue par les textes concerne l’existence de « circonstances humanitaires », mais la cour estime implicitement qu’elles ne sont pas constituées en l’espèce, eu égard au profil pénal du requérant. Le juge se borne ici à vérifier la correcte application de la loi, confirmant que le prononcé de l’interdiction de retour n’était pas une faculté mais une obligation pour l’administration dans le cas d’une procédure d’éloignement sans délai. Le moyen du requérant contestant le principe même de cette interdiction était donc voué à l’échec.
B. Une appréciation de la proportionnalité de la durée de l’interdiction
Si le principe de l’interdiction de retour est légalement fondé, sa durée relève de l’appréciation de l’autorité administrative, sous le contrôle du juge. L’article L. 612-10 du même code liste les critères à prendre en compte : la durée de présence, la nature et l’ancienneté des liens avec la France, l’existence de précédentes mesures d’éloignement et la menace pour l’ordre public. En l’espèce, la cour juge que la durée de cinq ans, qui est la durée maximale pour les cas non aggravés de menace à l’ordre public, n’est pas disproportionnée. Pour ce faire, elle s’appuie non seulement sur les antécédents judiciaires déjà exposés, mais ajoute un élément comportemental décisif. Elle souligne que l’intéressé « a fait l’objet de deux décisions d’obligation de quitter le territoire français auxquelles il n’a pas déféré en 2013 et 2020 ». Ce manquement répété à ses obligations démontre un refus de se soumettre aux lois de la République et renforce la justification d’une mesure destinée à prévenir son retour. L’arrêt démontre ainsi que la durée de l’interdiction de retour est appréciée au regard de l’ensemble de la situation de l’étranger, incluant non seulement sa dangerosité mais aussi son comportement passé face aux décisions administratives.