Par un arrêt rendu le 19 juin 2025, la cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les conditions de mise en œuvre du recours en rectification d’erreur matérielle. En l’espèce, une société d’assurance avait obtenu, par un précédent arrêt de la même cour en date du 13 décembre 2024, la décharge de cotisations supplémentaires d’imposition au titre des exercices 2013 et 2014. Toutefois, le dispositif de cet arrêt mentionnait une décharge au titre de l’« impôt sur le revenu », alors que le litige portait sur des cotisations d’« impôt sur les sociétés ». Saisie par l’administration fiscale, la cour était donc invitée à corriger cette discordance. La société contribuables’y opposait, estimant que cette erreur n’avait pas exercé d’influence sur le jugement de l’affaire. Se posait ainsi la question de savoir si une erreur de plume dans le dispositif d’un arrêt, substituant un impôt à un autre, constitue une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire au sens de l’article R. 833-1 du code de justice administrative. La cour administrative d’appel de Paris y répond par l’affirmative, considérant que la mention d’un impôt erroné vicie le dispositif et justifie sa rectification. Elle procède en conséquence au remplacement des termes litigieux pour assurer la parfaite cohérence de sa décision.
La solution retenue par la cour administrative d’appel illustre la nécessaire correction des erreurs affectant la substance même d’une décision juridictionnelle (I), garantissant ainsi la pleine effectivité et la sécurité juridique du jugement rendu (II).
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I. La caractérisation d’une erreur matérielle justifiant rectification
La cour justifie sa décision en identifiant d’abord une discordance manifeste entre l’objet du litige et les termes du dispositif (A), avant de confirmer que cette erreur exerce bien une influence sur la solution retenue (B).
A. La constatation d’une discordance entre la volonté du juge et l’énoncé du dispositif
Le recours en rectification d’erreur matérielle prévu à l’article R. 833-1 du code de justice administrative vise à purger une décision des erreurs qui ne résultent pas d’une appréciation juridique mais d’une simple inadvertance. En l’occurrence, l’arrêt initial du 13 décembre 2024 avait analysé un litige exclusivement fiscal portant sur des rappels d’impôt sur les sociétés. Les motifs de cette décision, en annulant le jugement de première instance et en examinant le bien-fondé de l’imposition, démontraient sans équivoque que la volonté des juges était de prononcer une décharge relative à cette nature d’impôt.
Pourtant, le dispositif de l’arrêt prononçait la décharge de cotisations supplémentaires d’« impôt sur le revenu ». Cette substitution de termes crée une contradiction flagrante entre le raisonnement des juges et la portée concrète de leur décision. La cour relève ainsi que « le dispositif de l’arrêt est effectivement entaché d’une erreur en tant qu’il prononce la décharge des cotisations supplémentaires « d’impôt sur le revenu » alors qu’il aurait dû prononcer la décharge des cotisations supplémentaires « d’impôt sur les sociétés » ». Cette dissonance objective constitue le fondement de l’erreur matérielle, distincte de l’erreur de droit qui, elle, ne peut être corrigée que par l’exercice des voies de recours ordinaires.
B. L’affirmation de l’influence de l’erreur sur le jugement de l’affaire
La recevabilité du recours en rectification est subordonnée à une seconde condition : l’erreur doit être « susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire ». La société contribuable soutenait que cette condition n’était pas remplie. Selon son argumentation, l’intention du juge étant claire au vu des motifs, l’erreur de plume dans le dispositif n’aurait pas réellement altéré la portée du jugement. La cour écarte ce raisonnement, considérant implicitement que l’influence de l’erreur s’apprécie au regard des conséquences qu’elle engendre sur l’intelligibilité et la force exécutoire de la décision.
En visant un impôt différent de celui qui faisait l’objet du litige, le dispositif devenait inapplicable et créait une incertitude juridique. Il ne s’agissait pas d’une simple coquille, mais d’une altération de la substance même de la condamnation prononcée. Une telle erreur exerce donc nécessairement une influence sur le jugement, car elle le prive de son effet utile et est source de nouvelles difficultés d’exécution. En reconnaissant cette influence, la cour administrative d’appel adopte une lecture pragmatique de la condition posée par le code de justice administrative, attachant plus d’importance à la cohérence et à la portée pratique de sa décision qu’à l’intention supposée des parties ou du juge.
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II. La rectification, garantie de la cohérence et de l’effectivité de la décision
En procédant à la correction, la cour assure la mise en conformité de sa décision avec les motifs qui la fondent (A) et réaffirme par là même l’office du juge dans la préservation de l’intégrité de l’acte juridictionnel (B).
A. Le rétablissement de la concordance entre les motifs et le dispositif
La rectification opérée par la cour de Paris permet de restaurer la cohérence interne de l’arrêt du 13 décembre 2024. Le principe de sécurité juridique exige qu’une décision de justice soit claire, précise et exécutoire. Or, la contradiction entre des motifs visant l’impôt sur les sociétés et un dispositif statuant sur l’impôt sur le revenu rompait cet équilibre. Une telle décision était, en pratique, privée de portée, l’administration fiscale n’étant pas en mesure d’exécuter une décharge sur un impôt qui n’avait jamais été réclamé.
En remplaçant les mots « impôt sur le revenu » par les mots « impôt sur les sociétés », la cour ne modifie pas le sens de sa décision initiale ; elle le révèle et le rend effectif. Cette intervention technique est fondamentale, car elle assure que la solution dégagée par le juge à l’issue de son raisonnement trouve une traduction correcte et sans ambiguïté dans la formule exécutoire. Elle garantit ainsi aux justiciables une décision dont la portée est certaine, évitant les contestations ultérieures sur son interprétation ou son exécution.
B. La confirmation d’une conception rigoureuse de l’office du juge de la rectification
Au-delà du cas d’espèce, cette décision illustre la fonction essentielle du recours en rectification : préserver l’autorité de la chose jugée en assurant la fiabilité matérielle de la décision qui la contient. Le juge de la rectification n’est pas un juge d’appel ou de cassation ; il ne réexamine pas l’affaire au fond. Son office se limite à corriger les scories qui affectent la décision, afin que celle-ci reflète fidèlement ce qui a été jugé. En l’espèce, la cour administrative d’appel a exercé cet office avec rigueur.
Elle refuse de minimiser l’impact d’une erreur de plume et affirme que la précision terminologique dans le dispositif d’un arrêt de justice est une condition de sa validité et de son effectivité. Cette solution, bien que technique, a une portée significative. Elle rappelle que la justice ne se contente pas de trancher des litiges, mais qu’elle doit également produire des actes juridictionnels irréprochables dans leur forme, afin de ne laisser place à aucune incertitude. La rectification n’est donc pas une simple faculté, mais un devoir pour le juge lorsque l’intégrité de sa décision est en cause.