Cour d’appel administrative de Paris, le 19 mars 2025, n°23PA03795

Par un arrêt en date du 19 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur la qualification fiscale des sommes versées par une association à but non lucratif à l’un de ses membres bénévoles. En l’espèce, une association sportive avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a remis en cause son caractère désintéressé. L’administration a notifié à un membre bénévole de cette association des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, considérant que des sommes perçues de l’organisme constituaient des revenus distribués. Le contribuable soutenait pour sa part que ces versements correspondaient au remboursement de frais qu’il avait engagés pour le compte de l’association.

Le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 22 juin 2023, a rejeté la demande du contribuable tendant à la décharge de ces impositions. Ce dernier a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la régularité de la procédure d’imposition que le bien-fondé des redressements. Il avançait notamment que les sommes ne pouvaient être qualifiées d’occultes dès lors que leur bénéficiaire était parfaitement identifié, et que l’administration n’avait pas mis en œuvre la procédure spécifique prévue à l’article 117 du code général des impôts.

Il convenait donc pour la Cour de déterminer si des versements, dont le bénéficiaire est identifié, peuvent néanmoins être qualifiés d’avantages occultes au sens de l’article 111 du code général des impôts lorsqu’ils sont présentés sans justification probante comme des remboursements de frais.

La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la dissimulation ne porte pas nécessairement sur l’identité du bénéficiaire mais peut résider dans la nature même du versement, lorsque celui-ci n’est pas inscrit en comptabilité de manière à révéler sa véritable nature d’avantage sans contrepartie. Elle confirme ainsi que des sommes versées à une personne identifiée peuvent constituer des avantages occultes imposables, faute pour le contribuable de prouver la réalité et le montant des frais qu’elles sont censées compenser.

Cette décision réaffirme une conception extensive de la notion d’avantage occulte (I), dont la qualification entraîne des conséquences significatives tant pour le bénéficiaire que pour l’organisme distributeur (II).

I. La réaffirmation d’une conception extensive de l’avantage occulte

La Cour confirme une interprétation jurisprudentielle constante qui privilégie la substance sur l’apparence, en jugeant que la dissimulation de la nature réelle d’un versement suffit à le qualifier d’occulte (A) et en rappelant que la charge de la preuve de la réalité des frais incombe exclusivement au contribuable (B).

A. Le caractère occulte apprécié au regard de la nature de la distribution

Le requérant soutenait que la qualification de rémunération ou d’avantage occulte supposait que l’identité du bénéficiaire ne soit pas révélée par l’organisme payeur. Or, en l’espèce, les chèques avaient été émis à son nom et il ne contestait pas les avoir encaissés, rendant son identification certaine. L’argumentation visait à écarter l’application de l’article 111, c) du code général des impôts, en se fondant sur une lecture littérale de la doctrine administrative qui évoque les bénéficiaires dont l’identité n’est pas connue.

La Cour écarte ce raisonnement en jugeant que les versements, bien qu’adressés à une personne identifiée, revêtaient un caractère occulte. Elle précise en effet que les sommes en cause « n’ont pas été explicitement inscrites dans la comptabilité de l’association dans des conditions permettant d’identifier leur caractère d’avantage consenti sans contrepartie ». La dissimulation ne réside donc pas dans l’anonymat du bénéficiaire, mais dans le travestissement comptable de l’opération. En enregistrant les paiements comme des remboursements de frais, l’association a masqué leur véritable nature de libéralité taxable. Cette solution s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence du Conseil d’État, pour qui un avantage est occulte dès lors qu’il n’apparaît pas avec sa qualification véritable dans les écritures de l’entreprise.

B. L’exigence probatoire stricte pesant sur le bénéficiaire de l’avantage

Pour se défendre, le contribuable a admis avoir perçu les sommes mais a soutenu qu’elles couvraient des frais de déplacement engagés pour l’association. À l’appui de ses dires, il produisait un tableau récapitulatif annuel mentionnant des dates, des motifs et des distances. L’administration fiscale, puis les juges du fond, ont estimé ces éléments insuffisants pour justifier la réalité des dépenses alléguées.

La Cour confirme cette analyse en soulignant « l’absence de production, notamment, de tickets de péage ou d’achat de carburant, et à tout le moins de justification de l’utilisation par M. B… de son véhicule personnel ». Elle rappelle ainsi une règle fondamentale en matière fiscale : il appartient à celui qui se prévaut de frais déductibles ou de remboursements non imposables d’en établir la matérialité et le montant exact par des pièces justificatives précises et concordantes. Un document établi par le contribuable lui-même, sans être corroboré par des pièces probantes émanant de tiers, est dépourvu de force probante suffisante. La décision réitère donc la rigueur attendue du contribuable dans la justification de ses frais, faute de quoi les sommes perçues sont réputées constituer un avantage imposable.

II. Les conséquences en cascade de la qualification d’avantage occulte

La qualification d’avantage occulte emporte des effets qui dépassent la seule imposition du bénéficiaire. Elle affecte directement le statut de l’organisme distributeur (A) et rend inopérante l’invocation de certaines garanties procédurales par le contribuable redressé (B).

A. La remise en cause du caractère désintéressé de la gestion de l’association

Le requérant tentait de soutenir que l’association, en tant qu’organisme à but non lucratif dont la gestion est désintéressée, ne pouvait être à l’origine de distributions taxables. Cet argument repose sur le principe selon lequel de tels organismes, lorsqu’ils remplissent les conditions posées par la loi et la doctrine, ne sont pas soumis aux impôts commerciaux et, par extension, leurs flux financiers ne relèvent pas de la logique de distribution de bénéfices.

La Cour balaie cet argument par un raisonnement pragmatique et quelque peu circulaire. Elle déduit du versement même des remboursements de frais non justifiés que la gestion de l’association ne pouvait être regardée comme désintéressée. Autrement dit, le fait de procurer un avantage injustifié à un membre, fût-il bénévole, est en soi un acte caractéristique d’une gestion intéressée. La Cour juge ainsi que « sa gestion ne peut par suite être regardée comme désintéressée ». Cette approche illustre comment la constatation d’un avantage occulte suffit à faire basculer l’appréciation du caractère désintéressé d’un organisme, avec pour conséquence potentielle son assujettissement aux impôts commerciaux, indépendamment de toute autre considération sur sa gestion globale.

B. L’autonomie de la procédure d’imposition du bénéficiaire

Le contribuable arguait d’un vice de procédure, l’administration n’ayant pas préalablement invité l’association à révéler l’identité des bénéficiaires des distributions, comme le prévoit l’article 117 du code général des impôts. Cette procédure vise à permettre à l’administration d’appliquer une amende à la personne morale si elle refuse de communiquer les informations demandées. Pour le requérant, l’absence de cette étape viciait l’imposition établie à son nom.

La Cour rejette fermement ce moyen en opérant une distinction claire entre les procédures. Elle rappelle que l’abstention de mettre en œuvre la procédure de l’article 117 prive seulement l’administration de la possibilité de sanctionner l’entité distributrice par une amende. En revanche, cette abstention est « sans influence sur la régularité de la procédure d’imposition suivie à l’égard des personnes physiques que l’administration estime pouvoir considérer, compte tenu des renseignements dont elle dispose, comme bénéficiaires des distributions ». L’arrêt souligne ainsi l’autonomie des voies de droit dont dispose l’administration : elle peut choisir de poursuivre directement le bénéficiaire qu’elle a identifié par ses propres moyens, sans être tenue d’actionner au préalable le mécanisme de sanction à l’encontre de la société ou de l’association distributrice.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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