Cour d’appel administrative de Paris, le 19 mars 2025, n°24PA00558

Par un arrêt en date du 19 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris a été amenée à se prononcer sur la recevabilité d’une requête d’appel en matière fiscale. En l’espèce, une société avait fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de rappels de taxe sur la valeur ajoutée à la suite d’une vérification de comptabilité. Le tribunal administratif de Paris, saisi par la société, avait rejeté sa demande de décharge par un jugement du 6 décembre 2023, après avoir constaté un non-lieu partiel. La société a alors interjeté appel de ce jugement. Devant la cour, l’administration fiscale a opposé une fin de non-recevoir, arguant que la requête d’appel se contentait de reproduire à l’identique les écritures présentées en première instance. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si une requête qui ne contient aucune critique du jugement attaqué, mais se limite à réitérer les moyens antérieurs, peut être considérée comme recevable. À cette question, la cour administrative d’appel de Paris répond par la négative, en jugeant que la requérante « s’est bornée à reproduire intégralement et exclusivement le texte de son mémoire de première instance ». Cette décision, qui applique une règle de procédure bien établie (I), constitue un rappel exigeant sur la nature même du débat contentieux en appel (II).

I. L’application rigoureuse d’une irrecevabilité de principe

La solution retenue par la cour administrative d’appel de Paris repose sur une interprétation stricte des conditions de recevabilité d’une requête, fondée à la fois sur les textes (A) et sur une caractérisation factuelle précise du défaut de motivation (B).

A. Le fondement textuel et jurisprudentiel de l’exigence de motivation en appel

La décision commentée s’ancre dans les dispositions de l’article R. 411-1 du code de justice administrative, qui impose que toute requête contienne « l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge ». Si ce texte ne détaille pas la nature de l’argumentation requise en appel, la jurisprudence constante a pallié ce silence. Il est en effet de principe qu’une requête d’appel doit comporter une critique du jugement de première instance et ne saurait se limiter à la simple reproduction des moyens développés devant les premiers juges. Cette exigence découle de l’effet dévolutif de l’appel, qui a pour objet de déférer à la cour la connaissance des points du litige qui ont été tranchés en première instance, et non de réitérer un débat à l’identique. Le juge d’appel n’est pas saisi du litige initial, mais bien de la contestation de la décision rendue par le tribunal.

B. La caractérisation d’un défaut de critique du jugement

En l’espèce, la cour prend soin de motiver sa décision d’irrecevabilité en se livrant à une analyse concrète de la requête soumise. Elle constate que la société « s’est bornée à reproduire intégralement et exclusivement le texte de son mémoire de première instance, dont sa requête d’appel ne diffère que par une référence au jugement attaqué dans le propos introductif et par la présentation à la Cour de conclusions tendant à l’annulation de ce jugement ». Par cette formulation, la cour souligne que l’appelante n’a fourni aucun effort pour contester le raisonnement suivi par le tribunal administratif. Le simple fait de viser le jugement et de demander son annulation ne constitue pas une critique en soi. Il est impératif que l’argumentaire s’attache à démontrer en quoi les premiers juges auraient commis une erreur de droit, une erreur d’appréciation des faits ou un vice de procédure. L’absence totale de discussion des motifs du jugement est ici fatale.

En déclarant la requête irrecevable, la cour administrative d’appel ne se contente pas de sanctionner un manquement formel ; elle réaffirme la logique fondamentale de la voie de recours.

II. La portée pédagogique d’une solution classique

Bien que cette décision ne constitue pas un revirement de jurisprudence, elle revêt une portée pédagogique certaine, en ce qu’elle tend à préserver l’office du juge d’appel (A) tout en adressant un avertissement clair aux justiciables et à leurs conseils (B).

A. La préservation de l’office du juge d’appel

Cette solution garantit la bonne administration de la justice et la fonction même du second degré de juridiction. Admettre une requête qui ne critique pas le jugement reviendrait à obliger le juge d’appel à statuer une seconde fois sur les mêmes arguments, sans que le raisonnement des premiers juges ne soit examiné. Cela transformerait l’appel en une simple seconde chance, plutôt qu’en une voie de réformation ou d’annulation d’une décision de justice supposément erronée. La fermeté de la cour permet ainsi de concentrer le débat d’appel sur sa finalité véritable : le contrôle de la régularité et du bien-fondé d’un jugement. Elle évite l’engorgement des prétoires par des recours qui ne respectent pas les règles essentielles du dialogue processuel entre les différents niveaux de juridiction.

B. Un avertissement adressé aux parties et à leurs conseils

Au-delà de son aspect technique, l’arrêt constitue un rappel à l’ordre quant à la diligence attendue des parties dans l’exercice des voies de recours. La simplicité avec laquelle il est aujourd’hui possible de copier et coller des écritures ne doit pas faire oublier la spécificité de la procédure d’appel. La décision souligne implicitement que le rôle d’un avocat ou d’un représentant légal ne se limite pas à transmettre des documents, mais consiste à construire une argumentation pertinente et adaptée à chaque étape de la procédure. En sanctionnant sévèrement la passivité de la société requérante, la cour administrative d’appel de Paris rappelle que l’appel est un acte de contestation réfléchi qui exige un travail d’analyse critique de la décision contestée. Cette rigueur, bien qu’elle puisse paraître sévère pour le justiciable qui perd son droit à un double examen, est le garant de la cohérence et de l’efficacité du système juridictionnel.

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Hassan KOHEN
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