Par un arrêt en date du 19 mars 2025, la cour administrative d’appel a précisé l’étendue du droit d’être entendu dont bénéficie un étranger en situation irrégulière avant le prononcé d’une mesure d’éloignement. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré sur le territoire français plusieurs années auparavant et se déclarant père d’un enfant, faisait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 11 mars 2024. Cet arrêté portait obligation de quitter le territoire français sans délai, fixait le pays de renvoi et était assorti d’une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à l’annulation de cette décision. Par un jugement du 3 mai 2024, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant notamment l’irrégularité du jugement de première instance pour omission de statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d’être entendu. Il soutenait au fond que cette même garantie procédurale avait été violée par l’administration, et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La question de droit qui se posait à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’omission par le premier juge de répondre à un moyen opérant entachait son jugement d’irrégularité. D’autre part, et de manière plus substantielle, il convenait de déterminer si le droit d’être entendu impose à l’administration de recueillir les observations de l’étranger de manière distincte sur chaque mesure composant la décision d’éloignement, et notamment sur l’interdiction de retour sur le territoire. La cour administrative d’appel a d’abord annulé le jugement du tribunal administratif pour irrégularité, constatant l’omission de statuer. Statuant ensuite par la voie de l’évocation, elle a jugé que le droit d’être entendu n’imposait pas une consultation spécifique sur l’interdiction de retour, dès lors que l’étranger a pu présenter ses observations sur l’irrégularité de son séjour et la perspective de son éloignement. En conséquence, la cour a rejeté la requête au fond.
Cette décision permet de clarifier le périmètre des garanties procédurales offertes à l’étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement (I), tout en confirmant une approche pragmatique du contrôle exercé par le juge sur l’appréciation de l’administration (II).
I. La clarification de la portée du droit d’être entendu en matière d’éloignement
La cour administrative d’appel définit le contenu du droit d’être entendu de manière globale (A), ce qui conduit à une appréciation restrictive de l’étendue de cette garantie procédurale dans le cadre d’une décision d’éloignement complexe (B).
A. L’exercice du droit d’être entendu comme préalable global à la mesure d’éloignement
L’arrêt commenté rappelle que le droit d’être entendu constitue une garantie fondamentale pour l’administré faisant l’objet d’une décision défavorable. Ce droit implique que l’autorité compétente mette l’intéressé en mesure de présenter utilement son point de vue sur les éléments de fait et de droit qui fondent la décision envisagée. En matière de droit des étrangers, il s’agit principalement pour la personne en situation irrégulière de faire valoir toute circonstance personnelle ou familiale susceptible de justifier que l’administration renonce à prononcer une mesure de retour. La cour précise toutefois que cette garantie s’apprécie au regard de la procédure dans son ensemble.
La principale contribution de cet arrêt réside dans la dissociation qu’il opère entre le droit d’être entendu et la pluralité des mesures pouvant composer un arrêté d’éloignement. Le juge administratif considère que la garantie est respectée dès lors que l’étranger a pu être entendu sur « l’irrégularité du séjour ou la perspective de l’éloignement ». Il en déduit qu’il n’est pas nécessaire pour l’administration d’engager un dialogue contradictoire spécifique sur chaque composante de sa décision, telle que l’interdiction de retour sur le territoire français. La cour énonce ainsi clairement que le droit d’être entendu « n’implique toutefois pas que l’administration ait l’obligation de mettre le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision lui faisant interdiction de retour sur le territoire français qui est prise concomitamment à une mesure d’éloignement ». Cette approche unitaire de la garantie procédurale s’inscrit dans une logique de simplification et d’efficacité de l’action administrative.
B. Une appréciation factuelle de la satisfaction de la garantie
Pour juger si le droit d’être entendu a été respecté en l’espèce, la cour se livre à une analyse concrète des pièces du dossier. Elle relève qu’un procès-verbal établi le jour de l’édiction de l’arrêté contesté atteste que l’intéressé a été interrogé par un officier de police judiciaire. Au cours de cet entretien, il a pu s’exprimer sur sa situation administrative, le rejet de sa demande d’asile, sa situation irrégulière qu’il a reconnue, et son souhait de demeurer en France. Ces éléments suffisent, selon les juges, à établir que le requérant a bien « été mis à même de présenter, de manière utile et effective, ses observations ».
Cette approche factuelle montre que la satisfaction du droit d’être entendu ne dépend pas d’une procédure formalisée à l’excès. Un entretien mené par les services de police, dont la teneur est consignée par écrit, peut suffire à purger l’obligation procédurale de l’administration. La circonstance que des considérations humanitaires peuvent, selon la loi, justifier de ne pas prononcer une interdiction de retour ne crée pas une obligation pour l’administration d’inviter l’étranger à s’exprimer spécifiquement sur ce point. Il appartient à l’intéressé de faire valoir de sa propre initiative l’ensemble des arguments qu’il juge pertinents lors de l’échange global sur sa situation, la cour considérant que cette occasion unique suffit à garantir ses droits.
Après avoir ainsi écarté le moyen tiré de la violation du droit d’être entendu, la cour examine les autres critiques formulées à l’encontre de l’arrêté, confirmant par là même le pouvoir de contrôle étendu du juge administratif dans ce contentieux.
II. La confirmation d’une approche pragmatique du contrôle de l’administration
L’arrêt illustre le mécanisme de l’évocation, qui permet au juge d’appel de statuer directement au fond après avoir censuré le jugement de première instance pour un motif de régularité (A). Sur le fond, il confirme la prévalence des considérations d’ordre public dans la balance des intérêts effectuée par le juge (B).
A. L’articulation entre l’annulation pour vice de forme et le rejet au fond par évocation
La première étape du raisonnement de la cour consiste à constater l’irrégularité du jugement rendu par le tribunal administratif. Il est de jurisprudence constante qu’une juridiction administrative commet une erreur de droit si elle omet de statuer sur un moyen soulevé devant elle qui n’est pas inopérant. En l’espèce, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu était opérant et nécessitait une réponse. L’annulation du jugement était donc inévitable.
Cependant, cette annulation procédurale ne profite pas au requérant. Faisant usage de son pouvoir d’évocation, la cour administrative d’appel se saisit de l’entier litige et statue elle-même sur la demande d’annulation de l’arrêté préfectoral. Ce mécanisme, qui vise à assurer une bonne administration de la justice en évitant un renvoi de l’affaire devant les premiers juges, conduit ici à un examen complet des arguments du requérant. L’arrêt démontre ainsi que le succès d’un moyen de pure procédure en appel n’emporte pas nécessairement une issue favorable sur le fond. La cour, après avoir sanctionné le premier juge, se substitue à lui et procède à l’analyse de fond que ce dernier aurait dû mener.
B. La prévalence des motifs d’ordre public sur les éléments de vie privée et familiale
Dans le cadre de son contrôle sur le fond, la cour examine l’argument tiré d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Pour ce faire, elle procède à une mise en balance des intérêts en présence. D’un côté, le requérant invoque son ancienneté de présence sur le territoire depuis 2014, une intégration professionnelle passée et sa qualité de père d’un enfant né en France.
De l’autre côté, la cour retient plusieurs éléments à charge : le fait que l’intéressé soit célibataire et ne vive pas avec la mère de son enfant, l’absence de preuve qu’il contribue effectivement à l’éducation de ce dernier, et l’existence d’attaches familiales dans son pays d’origine. À cela s’ajoute le fait qu’il s’était déjà soustrait à une précédente mesure d’éloignement. Dans ces conditions, la cour estime que la décision d’éloignement ne constitue pas une ingérence disproportionnée dans sa vie privée et familiale. Cet examen confirme que si la présence d’un enfant sur le territoire constitue un élément d’appréciation important, il n’est pas en soi dirimant, surtout lorsque le lien de filiation ne s’accompagne pas d’une vie familiale établie et d’une contribution avérée à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. La décision d’éloignement, justifiée par l’irrégularité du séjour et le comportement passé du requérant, est ainsi jugée conforme aux exigences conventionnelles.