Par un arrêt en date du 19 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les obligations du service public de l’éducation à l’égard d’un élève en situation de handicap. En l’espèce, la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées avait reconnu la nécessité pour un jeune enfant de bénéficier d’une aide humaine mutualisée pour sa scolarisation pour une durée de trois ans. Face au silence de l’administration scolaire valant décision implicite de rejet, la représentante légale de l’enfant a saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de ce refus et l’exécution de la décision de la commission. En cours d’instance, et à la suite d’une ordonnance du juge des référés suspendant le refus et enjoignant un réexamen, l’administration a procédé à une affectation partielle d’un accompagnant. Le tribunal administratif a alors considéré que la demande était devenue sans objet et a prononcé un non-lieu à statuer. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant que son litige n’était pas éteint. Se posait alors aux juges d’appel une double question. D’une part, il s’agissait de déterminer si l’exécution partielle et provisoire d’une demande, résultant uniquement d’une injonction du juge des référés, prive d’objet un recours en annulation contre la décision de refus initiale. D’autre part, il convenait d’apprécier si le défaut de mise en œuvre puis l’application tardive et incomplète d’une décision de la commission spécialisée caractérisaient une méconnaissance par l’État de son obligation de garantir le droit à l’éducation. La cour administrative d’appel a répondu par la négative à la première question et par l’affirmative à la seconde. Elle a jugé que des mesures prises à titre provisoire en exécution d’une ordonnance de référé ne sauraient rendre un recours sans objet, annulant ainsi le jugement de première instance. Évoquant l’affaire, elle a ensuite annulé la décision de refus de l’administration, considérant que le défaut d’effectivité de l’aide constituait une faute engageant le service public, et a enjoint à l’administration de prendre les mesures nécessaires pour assurer un accompagnement effectif de l’élève.
La solution retenue par la cour administrative d’appel clarifie d’abord la portée des mesures d’exécution provisoires sur la persistance de l’intérêt à agir dans un contentieux en annulation (I). Elle réaffirme ensuite avec force le caractère contraignant de l’obligation incombant à l’État d’assurer la scolarisation effective des élèves en situation de handicap (II).
I. La confirmation de l’intérêt à agir en dépit d’une exécution provisoire
La cour administrative d’appel censure le raisonnement des premiers juges en distinguant nettement une mesure d’exécution provisoire d’un retrait de l’acte contesté (A), garantissant ainsi l’effectivité du droit au recours (B).
A. La nature provisoire de l’exécution ordonnée en référé
Le juge d’appel prend soin de souligner que l’intervention de l’administration n’était pas spontanée mais la conséquence directe d’une ordonnance de référé. Il en déduit qu’une telle mesure « revêt par sa nature même un caractère provisoire ». Cette analyse est fondamentale car elle refuse d’assimiler une exécution contrainte et temporaire à une satisfaction pleine et entière de la demande de l’administré. En effet, la décision administrative prise pour se conformer à une injonction du juge des référés n’a pas vocation à régler définitivement la situation mais seulement à prévenir un préjudice grave et immédiat durant le temps de l’instance au fond. Elle ne saurait donc être interprétée comme un acquiescement de l’administration ou comme un retrait de sa décision initiale de refus. La cour considère donc que la décision implicite de rejet attaquée n’a été « ni retirée, ni abrogée », ce qui laissait entier le litige quant à sa légalité. Le recours conservait par conséquent tout son objet, qui est de faire trancher par le juge de l’excès de pouvoir la conformité au droit de cette décision.
B. La préservation de l’effectivité du contrôle juridictionnel
En jugeant que le litige n’était pas devenu sans objet, la cour préserve l’accès au juge et l’utilité du recours pour excès de pouvoir. Admettre la solution inverse reviendrait à permettre à une administration de se soustraire au contrôle de légalité de ses décisions par des manœuvres dilatoires. Il lui suffirait de prendre des mesures partielles ou provisoires après l’introduction d’un recours pour faire obstacle à un jugement au fond qui pourrait constater son illégalité et, le cas échéant, prononcer une annulation rétroactive. Une telle situation porterait une atteinte substantielle au droit à un recours juridictionnel effectif. La position de la cour garantit que l’administré qui a subi une décision illégale a le droit d’obtenir une censure juridictionnelle de cet acte, indépendamment des mesures palliatives prises en cours de procédure. Cette annulation du jugement de première instance pour erreur de droit permet alors à la cour d’évoquer l’affaire et de se prononcer sur le fond du litige.
II. La sanction de la carence de l’État dans son obligation de scolarisation
Après avoir réglé la question de procédure, la cour examine la légalité du refus initial de l’administration et constate un manquement à ses obligations, fondé sur la force obligatoire des décisions de la commission spécialisée (A) et sur le défaut d’effectivité de l’aide (B).
A. Le caractère contraignant des décisions de la commission des droits et de l’autonomie
Le juge rappelle le cadre juridique applicable, notamment les articles du code de l’éducation et du code de l’action sociale et des familles. Il ressort de ces textes que la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées est compétente pour évaluer les besoins d’un élève et déterminer les mesures de compensation nécessaires, y compris la nature et les modalités d’une aide humaine. Si l’autorité administrative dispose d’un pouvoir d’organisation du service, elle est tenue d’exécuter les décisions de cette commission qui s’imposent à elle. En l’espèce, la commission avait « estimé que la situation du jeune […] justifiait qu’une aide humaine mutualisée lui soit apportée ». Le refus implicite de l’administration de mettre en œuvre cette décision, puis son exécution très partielle, contrevient donc directement aux prescriptions légales et réglementaires. La cour souligne ainsi que le droit à l’éducation des enfants handicapés n’est pas une simple faculté laissée à l’appréciation de l’administration mais une obligation précise dont les modalités sont définies par un organisme spécialisé.
B. La caractérisation du manquement par le défaut d’effectivité de l’aide
La cour ne se contente pas d’une appréciation formelle mais procède à une analyse concrète de la situation de l’enfant. Elle constate que l’accompagnement, en plus d’être partiel, a été inexistant pendant une longue période et a de nouveau cessé à la rentrée scolaire suivante. Le juge en conclut que la seule production d’un avenant à un contrat de travail « n’a pas suffi en l’espèce à assurer l’exécution de la décision de la CDAPH ». Il affirme ainsi qu’il « appartenait aux services compétents de l’éducation nationale de s’assurer du caractère effectif de cette aide ». L’obligation du service public n’est donc pas seulement une obligation de moyens, consistant à recruter un personnel, mais bien une obligation de résultat, celle de garantir que l’élève bénéficie réellement et continûment du soutien auquel il a droit. Le constat de cette carence conduit logiquement la cour à qualifier l’inaction de l’administration de méconnaissance des « obligations qui lui incombent », justifiant l’annulation de la décision de refus et l’injonction de prendre les mesures nécessaires pour assurer un accompagnement effectif jusqu’au terme prévu par la commission.