Cour d’appel administrative de Paris, le 19 mars 2025, n°24PA03528

Par un arrêt en date du 19 mars 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’appréciation de la menace à l’ordre public pouvant justifier un refus de renouvellement de titre de séjour.

En l’espèce, une ressortissante étrangère, présente en France depuis 2004 et titulaire de titres de séjour régulièrement renouvelés depuis 2007, a sollicité le renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle ainsi que la délivrance d’une carte de résident. Par un arrêté du 18 avril 2024, le préfet a rejeté ses demandes, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a prononcé à son encontre une interdiction de retour, au motif que sa présence constituait une menace pour l’ordre public. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 4 juillet 2024, annulé l’ensemble de ces décisions et enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que les premiers juges avaient inexactement apprécié la notion de menace à l’ordre public.

La question de droit soumise à la cour était donc de savoir si des faits anciens et isolés, ayant donné lieu à une condamnation pénale non privative de liberté, ainsi que des faits pour lesquels une relaxe a été prononcée, peuvent suffire à caractériser une menace actuelle et d’une gravité suffisante pour justifier un refus de renouvellement de titre de séjour.

La cour administrative d’appel rejette la requête du préfet. Elle confirme l’analyse des premiers juges en considérant que l’administration a commis une erreur d’appréciation. Pour la cour, les éléments invoqués par le préfet ne permettaient pas de considérer que la présence de la ressortissante sur le territoire constituait une menace pour l’ordre public au sens de l’article L. 412-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

La solution retenue par la cour conduit à examiner le contrôle exercé par le juge administratif sur la qualification de la menace à l’ordre public (I), avant d’envisager la portée d’une telle censure, qui réaffirme les limites du pouvoir d’appréciation de l’administration (II).

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**I. Le contrôle approfondi de la matérialité de la menace à l’ordre public**

La cour administrative d’appel exerce un contrôle rigoureux des faits invoqués par l’administration pour justifier sa décision, en exigeant que la menace soit à la fois réelle et actuelle (A) et qu’elle ne puisse reposer sur des faits pénalement non établis (B).

**A. L’exigence d’une menace réelle et actuelle**

Pour écarter la qualification de menace à l’ordre public, la cour se livre à une analyse concrète des éléments présentés par le préfet. Ce dernier invoquait une condamnation à « une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une amende de 3 000 euros, pour des faits de détention non autorisée d’arme et de munitions de catégorie B ». Or, le juge relève que ces faits présentent un « caractère isolé » et ont été commis au cours d’une « période relativement ancienne ». La nature de la sanction, une peine d’emprisonnement avec sursis, vient également minorer la gravité du comportement passé de l’intéressée.

En procédant de la sorte, le juge rappelle que la menace à l’ordre public ne saurait se déduire automatiquement d’une condamnation pénale, quelle qu’elle soit. L’administration doit démontrer que le comportement de l’individu constitue, au jour où elle statue, un danger pour la société. Le caractère ancien des faits, l’absence de réitération et la faible sévérité de la peine prononcée sont autant d’indices permettant d’écarter l’existence d’une menace actuelle, justifiant ainsi la censure de l’appréciation préfectorale.

**B. L’indifférence des faits pénalement non établis**

Le préfet se fondait également sur le fait que l’intéressée était « connue défavorablement des services de police » pour des faits graves de participation à une association de malfaiteurs et de blanchiment. Toutefois, la cour oppose un argument décisif en relevant qu’il « n’est pas non plus contesté par le préfet de police que [l’intéressée] a été relaxée par la Cour d’appel de Paris des faits pour lesquels il avait relevé qu’elle était défavorablement connue des services de police ».

Cette précision est fondamentale car elle signifie que l’autorité administrative ne peut légalement fonder une décision de refus de séjour sur des suspicions ou des mentions dans des fichiers de police lorsque l’autorité judiciaire a, par une décision devenue définitive, innocenté la personne concernée. En rappelant la prééminence de la chose jugée au pénal, la cour administrative d’appel veille au respect de la présomption d’innocence et empêche que des poursuites infructueuses ne produisent des effets négatifs dans la sphère administrative, notamment en matière de droit au séjour.

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**II. La sanction de l’erreur d’appréciation et ses implications**

En confirmant l’annulation de l’arrêté préfectoral, la cour réaffirme le rôle du juge administratif comme garant des libertés individuelles face au pouvoir de l’administration (A), bien que la solution, dictée par les circonstances de l’espèce, présente une portée jurisprudentielle limitée (B).

**A. La censure d’un pouvoir discrétionnaire insuffisamment étayé**

La décision de délivrer ou de renouveler un titre de séjour relève du pouvoir d’appréciation du préfet, mais ce pouvoir n’est pas absolu. Le juge de l’excès de pouvoir exerce ici un contrôle de l’erreur d’appréciation, en vérifiant si les faits retenus par l’administration étaient de nature à justifier légalement la décision prise. La cour souligne que le préfet « ne fait état d’aucun autre élément de fait » pour soutenir son argumentation. C’est bien cette carence probatoire qui est au cœur de la censure.

Cet arrêt illustre parfaitement que l’administration est tenue par une obligation de motivation en faits. Lorsqu’elle entend opposer une menace à l’ordre public à un étranger justifiant d’une longue durée de séjour et d’une intégration certaine, elle doit s’appuyer sur un dossier solide, composé d’éléments précis, concordants et suffisamment récents pour établir la persistance d’un danger. À défaut, sa décision encourt l’annulation pour erreur d’appréciation, le juge administratif ne se contentant pas de simples allégations.

**B. Une solution d’espèce protectrice des droits de l’administré**

Si cette décision est juridiquement bien fondée, sa portée doit être nuancée. Elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais s’inscrit dans un courant bien établi qui exige de l’administration une démonstration circonstanciée de la menace à l’ordre public. La solution est avant tout une décision d’espèce, fortement conditionnée par les faits particuliers du dossier : l’ancienneté de la présence en France de l’intéressée, son parcours d’intégration, le caractère isolé et ancien de l’unique condamnation, la relaxe prononcée pour les autres faits et sa séparation d’avec son ancien compagnon, auteur des faits criminels.

Néanmoins, la valeur pédagogique de cet arrêt est indéniable. Il rappelle aux services préfectoraux que la notion de menace à l’ordre public doit être maniée avec rigueur et ne saurait servir de prétexte pour écarter des demandes de séjour sans une analyse individualisée et approfondie de chaque situation. En ce sens, la décision contribue à renforcer la sécurité juridique des administrés et à garantir que les décisions les plus graves affectant leur droit au séjour reposent sur des motifs objectifs et matériellement vérifiables.

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