La Cour administrative d’appel de Paris a rendu, le 19 septembre 2025, une décision relative à la notion d’acte anormal de gestion en matière d’impôt sur les sociétés. Le litige porte sur la déductibilité d’indemnités de remboursement anticipé versées par une filiale à sa société mère lors d’une restructuration de son capital. Une société spécialisée dans le financement de locomotives a remboursé par anticipation quatorze prêts à taux fixe souscrits auprès de son ancienne entité de contrôle. Cette opération, exigée par un nouvel investisseur entrant à hauteur de la moitié du capital, a généré une charge financière de plus de trente-huit millions d’euros. L’administration fiscale a contesté cette déduction en estimant que le versement avait été accompli dans l’intérêt exclusif des sociétés mères et de l’acquéreur tiers. Le tribunal administratif de Montreuil a toutefois prononcé la décharge des impositions litigieuses par un jugement dont le ministre de l’économie a régulièrement interjeté appel.
I. La validité de la déduction des indemnités de remboursement anticipé
A. La réalité de la décision de gestion prise par la filiale
L’administration soutenait que la filiale était restée étrangère aux conventions de cession et que le paiement des indemnités résultait d’une décision purement imposée par son groupe. Les juges parisiens relèvent pourtant que la société contribuable a expressément manifesté sa volonté de rembourser les prêts attachés à son activité par une délibération sociale. La Cour administrative d’appel de Paris considère que la filiale « doit être regardée comme ayant décidé de verser les indemnités de résiliation anticipée de ces prêts ». Cette reconnaissance de l’autonomie décisionnelle de la personne morale prévaut sur le constat que les accords globaux de financement ont été signés par d’autres entités. La société était tenue contractuellement au versement de ces sommes en cas de résiliation à l’initiative de l’emprunteur, conformément aux stipulations des conventions de prêt initiales.
B. La démonstration d’un intérêt propre supérieur aux avantages tiers
Pour écarter la qualification d’acte anormal de gestion, la juridiction d’appel souligne que le nouvel emprunt a permis de substituer un financement externe très avantageux aux dettes existantes. Le taux d’intérêt effectif global est passé de 5,48 % à 2,89 %, malgré l’inclusion des indemnités de remboursement et des frais de dossier dans le calcul. Ce nouveau cadre financier a autorisé « l’augmentation substantielle immédiate des investissements » de la société, laquelle a pu acquérir ou commander de nombreuses locomotives supplémentaires pour son développement. La contribuable établit ainsi qu’elle n’a pas agi « à des fins étrangères à son intérêt, mais pour accroître son activité et améliorer sa position sur le marché ». La circonstance que d’autres sociétés du groupe aient également bénéficié de l’opération est jugée dépourvue d’incidence dès lors que l’intérêt de la filiale est démontré.
II. L’échec des prétentions correctives de l’administration fiscale
A. La nature compensatoire du moyen soulevé à titre subsidiaire
Le ministre invoquait subsidiairement une renonciation à percevoir une recette en reprochant à la filiale de ne pas avoir refacturé le montant des indemnités au nouvel investisseur. L’administration demandait ainsi la taxation d’un profit non réalisé pour compenser la perte résultant de la décharge initiale de la charge indûment remise en cause. La Cour précise que cette demande constitue « une compensation, au sens et sur le fondement de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales ». Ce mécanisme permet de maintenir une imposition en substituant une insuffisance constatée à un dégrèvement reconnu justifié par le juge au cours de l’instance. La qualification de cette demande est essentielle car elle soumet l’action de l’administration à des conditions de recevabilité temporelle et matérielle particulièrement strictes devant le juge.
B. Le refus de la compensation pour carence délibérée du service
Le droit de compensation est limité aux insuffisances ou omissions « constatées au cours de l’instruction de la demande » formée par le contribuable devant la juridiction administrative. La Cour administrative d’appel de Paris relève que l’administration disposait de tous les éléments nécessaires pour taxer cette prétendue recette dès le stade de la vérification. L’absence de rehaussement initial sur ce point précis est analysée comme résultant « d’une volonté délibérée de l’administration exprimée antérieurement à la réclamation » contentieuse déposée par la société. En conséquence, l’omission ne peut être regardée comme ayant été révélée par l’instruction de la demande, ce qui interdit au ministre de s’en prévaloir tardivement. Le jugement du tribunal administratif de Montreuil est donc confirmé, emportant le rejet définitif de la requête ministérielle et le maintien de la décharge d’impôt.