Cour d’appel administrative de Paris, le 2 avril 2025, n°22PA05293

Une candidate à un concours réservé pour l’accès au corps de l’inspection du travail s’est vu notifier son échec à l’épreuve orale d’admission, ayant obtenu une note de 13/20. Contestant la régularité du processus et la validité de cette décision, elle a saisi le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir l’annulation de la délibération du jury, de la décision de non-admission et du rejet de son recours gracieux, ainsi qu’une indemnisation. Le tribunal administratif a rejeté l’ensemble de ses prétentions par un jugement en date du 13 octobre 2022. La requérante a interjeté appel de ce jugement, arguant notamment d’un vice de procédure, d’une incompétence du jury, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une rupture du principe d’égalité entre les candidats. Le problème de droit soumis à la Cour administrative d’appel de Paris dans sa décision du 2 avril 2025 consistait donc à déterminer l’étendue du contrôle exercé par le juge administratif sur les décisions prises par un jury de concours, particulièrement en ce qui concerne la fixation du nombre d’admis et l’appréciation des mérites des candidats. La Cour a rejeté la requête, confirmant la solution des premiers juges. Elle a estimé, d’une part, que la procédure d’ouverture du concours était régulière et, d’autre part, que le jury n’avait ni excédé ses compétences ni manqué à son obligation d’impartialité. Ce faisant, la juridiction d’appel réaffirme le principe de la souveraineté du jury, dont le corollaire est un contrôle juridictionnel nécessairement restreint.

L’arrêt met ainsi en lumière la confirmation du pouvoir discrétionnaire du jury dans l’évaluation des candidats (I), ce qui justifie en conséquence une limitation stricte de l’office du juge administratif dans son contrôle des délibérations (II).

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I. La consécration du pouvoir souverain du jury de concours

La décision de la Cour administrative d’appel de Paris réaffirme avec force la latitude dont dispose le jury, tant dans sa prérogative de déterminer le niveau d’exigence du concours (A) que dans son appréciation des prestations des candidats (B).

A. La faculté de fixer le seuil d’admission

La requérante soutenait que le jury avait commis une erreur de droit en n’admettant que cinquante-deux candidats alors que quatre-vingt-douze places étaient offertes. La Cour écarte ce moyen en adoptant les motifs du tribunal administratif, validant ainsi la pratique consistant à ne pas pourvoir l’ensemble des postes ouverts au concours. Cette position consacre le principe selon lequel un jury n’est pas tenu d’établir une liste d’admission correspondant au nombre de places disponibles. Son rôle est en effet de sélectionner les candidats jugés aptes à exercer les fonctions auxquelles le concours donne accès, et non de pourvoir numériquement des postes vacants. En décidant implicitement qu’une note de 14/20 constituait le seuil minimal d’admission, le jury a exercé son pouvoir souverain d’appréciation pour définir le niveau de compétence requis. Il ne commet donc aucune illégalité en arrêtant la liste des lauréats à un effectif inférieur au nombre de places initialement prévues, dès lors qu’il estime que les autres candidats n’ont pas démontré les qualités attendues pour être admis. Cette solution est classique et essentielle à la garantie de la valeur des concours de la fonction publique.

B. L’appréciation souveraine de la prestation des candidats

L’arrêt illustre également l’étendue de la souveraineté du jury quant aux modalités de l’épreuve orale et à l’évaluation des candidats. La requérante faisait valoir plusieurs éléments pour tenter de démontrer une rupture d’égalité et un défaut d’impartialité, tels qu’un nombre de questions plus élevé, leur caractère imprécis, des interruptions ou l’absence d’interrogation sur son dossier de reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle. La Cour juge que « les seules circonstances, à les supposer établies, (…) ne sont, en tout état de cause, pas de nature à établir que le jury aurait manqué à son obligation d’impartialité ou au principe d’égalité entre les candidats ». Par cette formule, elle signifie que la conduite de l’entretien relève de la libre appréciation des membres du jury. Ceux-ci peuvent adapter leur questionnement pour sonder au mieux les aptitudes et la motivation de chaque candidat, sans être contraints de suivre un schéma rigide ou de poser des questions identiques à tous. La charge de la preuve d’un traitement partial ou discriminatoire pèse sur le candidat et s’avère particulièrement difficile à rapporter, le juge se refusant à déduire une illégalité de simples variations dans le déroulement des oraux.

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Cette souveraineté reconnue au jury détermine logiquement les limites dans lesquelles le juge administratif accepte d’exercer son contrôle, celui-ci se cantonnant à la légalité externe et aux illégalités les plus flagrantes.

II. Le corollaire d’un contrôle juridictionnel restreint

Le pouvoir souverain du jury a pour conséquence directe de circonscrire l’office du juge à un contrôle de la régularité formelle de la procédure (A) et de l’exclure, sauf exception, du champ de l’appréciation des mérites (B).

A. Un contrôle effectif de la légalité externe

Si le juge se montre déférent à l’égard des appréciations du jury, il n’en exerce pas moins un contrôle entier sur la légalité externe des actes administratifs liés au concours. La requérante contestait la régularité de l’arrêté d’ouverture au motif qu’il n’aurait pas été précédé de l’avis conforme du ministre chargé de la fonction publique. La Cour procède à un examen factuel et minutieux pour vérifier le respect de cette formalité substantielle. Elle relève qu’ « il ressort des pièces du dossier que l’avis conforme du ministre chargé de la fonction publique (…) a été reçu par les services du ministre du travail le 20 décembre 2019, soit avant l’intervention de l’arrêté du 23 décembre 2019 ». Le moyen est donc écarté car il « manque en fait ». Cet examen démontre que le juge administratif vérifie scrupuleusement le respect des règles de compétence et de procédure qui encadrent l’organisation des concours. Le contrôle, s’il est restreint sur le fond, demeure entier sur la forme, garantissant ainsi que le pouvoir discrétionnaire du jury ne s’exerce que dans un cadre légal et réglementaire strictement respecté.

B. Un refus de principe du contrôle de l’opportunité

L’apport principal de l’arrêt réside dans la confirmation du refus du juge de s’immiscer dans l’appréciation portée par le jury sur la valeur des candidats. Face au moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, la Cour se retranche derrière la position du tribunal en jugeant qu’ « il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation affectant la délibération du jury en ce qu’elle n’a retenu que les cinquante-deux candidats ayant obtenu une note au moins égale à 14/20 ». Cette affirmation péremptoire rappelle que le juge ne peut substituer sa propre évaluation à celle du jury. Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, qui constitue pourtant une limite au pouvoir discrétionnaire de l’administration, est ici appliqué avec une particulière réserve. Pour qu’une telle erreur soit reconnue, il faudrait que la note attribuée soit en contradiction flagrante et grossière avec la prestation du candidat, ce qui est rarement admis en pratique. En l’absence d’illégalité fautive avérée, les conclusions indemnitaires de la requérante sont logiquement rejetées, l’arrêt confirmant qu’une décision de non-admission, même si elle est source de déception, n’ouvre pas droit à réparation dès lors qu’elle est légale.

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Hassan KOHEN
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