Un militaire, après avoir accompli des services effectifs, a été placé en position de détachement auprès d’organismes civils. Au moment de la liquidation de ses droits à une solde de réserve, l’administration militaire a calculé le montant de cette dernière sans inclure, pour le calcul d’une bonification, les périodes de service accomplies en détachement. Le militaire estimait pourtant que ces périodes devaient être prises en compte, se fondant sur des informations qui lui avaient été communiquées antérieurement par l’administration. Il a donc formé une demande indemnitaire préalable visant à réparer le préjudice matériel et moral qu’il estimait avoir subi. Cette demande ayant été implicitement rejetée, il a saisi le tribunal administratif de Paris, qui a rejeté ses conclusions. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt du 2 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement de première instance pour un vice de procédure. Statuant par la voie de l’évocation, elle a ensuite jugé l’affaire au fond. Elle a considéré que l’administration avait commis une faute en transmettant des renseignements erronés au militaire, mais que cette faute n’avait engendré qu’un préjudice moral, excluant toute réparation du préjudice matériel allégué. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si la communication d’informations inexactes sur les droits à pension d’un agent public constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’État, et, dans l’affirmative, d’établir la nature et l’étendue du préjudice indemnisable qui en découle directement. La Cour a répondu que la délivrance d’informations erronées est bien une faute, mais que le préjudice matériel n’est pas constitué dès lors que l’agent ne pouvait légalement prétendre au bénéfice sur lequel portaient ces informations.
Cette décision illustre la dualité du contrôle du juge administratif, qui distingue la légalité d’un calcul de pension du comportement de l’administration dans ses relations avec les administrés. Ainsi, la Cour consacre une responsabilité pour faute de l’administration fondée sur la communication d’informations erronées (I), tout en procédant à une appréciation restrictive du préjudice indemnisable qui en résulte (II).
I. La consécration d’une responsabilité pour faute fondée sur des renseignements erronés
La Cour administrative d’appel retient la responsabilité de l’administration en opérant une distinction claire entre la stricte application, par ailleurs correcte, des textes régissant la pension (A) et la communication d’informations trompeuses ayant pu induire l’agent en erreur (B).
A. La confirmation du bien-fondé juridique du calcul de la solde
La Cour commence par exposer avec rigueur le cadre juridique applicable au calcul de la solde de réserve, et plus spécifiquement à la bonification dite « du cinquième ». Elle cite l’article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, qui prévoit cette bonification. Le juge précise qu’il « ressort des dispositions précitées (…) que le ‘temps de service accompli’ qu’elles retiennent pour fixer la valeur de la bonification du cinquième qu’elles prévoient est ‘le temps de services militaires effectifs' ». Par cette interprétation, la Cour confirme que la bonification ne peut être calculée qu’en fonction des seuls services militaires, à l’exclusion des services civils accomplis en détachement.
En conséquence, le calcul opéré par l’administration sur le titre de solde de réserve du requérant, qui n’a pris en compte que les services militaires, est jugé parfaitement légal. Cette première étape du raisonnement est essentielle, car elle établit que le requérant n’avait, en droit, aucunement vocation à bénéficier d’une bonification plus élevée. Ce faisant, la Cour écarte toute idée de responsabilité fondée sur une illégalité dans la décision finale de liquidation. La faute, si elle existe, doit donc être recherchée ailleurs, non pas dans le résultat, mais dans le processus qui y a mené.
B. La caractérisation de la faute dans la communication administrative
C’est sur le terrain de l’information de l’agent que la Cour identifie la faute de l’administration. Le requérant invoquait plusieurs documents pour prouver qu’il avait été induit en erreur. La Cour écarte d’abord certains éléments, comme une instruction ancienne ou un fascicule informatif, au motif qu’ils n’étaient pas de nature à fonder une « espérance légitime ». Elle relève que ce dernier précisait d’ailleurs en préambule qu’il ne dispensait pas « d’un examen approfondi et précis adapté à chaque cas personnel ».
Toutefois, le juge s’arrête sur des documents plus spécifiques et personnalisés. Il est en effet établi qu’avant de faire un choix de carrière important en 2015, le requérant s’est vu remettre « un état général de ses services prenant en compte, à tort, cinq annuités au titre de la bonification » ainsi que « cinq estimations de sa pension militaire mentionnant également cette bonification de cinq annuités ». La Cour estime que par ces actes, « l’administration a commis une faute en lui délivrant ces renseignements erronés, qui ont pu l’induire en erreur ». La faute est donc caractérisée, non par une interprétation erronée de la loi par l’administration, mais par la délivrance d’informations personnalisées et inexactes à un moment où l’agent devait prendre une décision aux conséquences importantes.
II. Une appréciation restrictive du préjudice indemnisable
Bien que la faute soit établie, la Cour se montre particulièrement rigoureuse dans l’appréciation du lien de causalité entre cette faute et les préjudices allégués par le requérant. Elle rejette ainsi l’existence d’un préjudice matériel (A) pour ne retenir finalement que la seule indemnisation d’un préjudice moral (B).
A. Le rejet du préjudice matériel en l’absence de droit lésé
Le requérant évaluait son préjudice matériel à une somme importante, correspondant aux cotisations de retraite qu’il aurait évitées s’il avait pu liquider sa solde plus tôt, sur la base des informations erronées qui lui avaient été fournies. La Cour rejette cette argumentation de manière catégorique. Elle souligne que le calcul du préjudice de l’intéressé repose sur la prémisse qu’il aurait dû bénéficier de la bonification maximale à une date antérieure. Or, comme la Cour l’a préalablement démontré, il n’avait aucun droit à cette bonification.
Le lien de causalité entre la faute et le préjudice matériel est donc rompu. La faute de l’administration n’a pas privé le requérant d’un droit qu’il aurait dû avoir, mais lui a simplement donné l’illusion d’un droit qu’il n’avait pas. Par conséquent, il « ne démontre pas l’existence du préjudice matériel dont il fait état ». Le juge écarte également la possibilité d’indemniser une perte de chance de racheter des trimestres, qualifiant ce préjudice de « purement éventuel ». Cette position réaffirme l’exigence d’un préjudice direct et certain, qui ne saurait consister dans la perte d’un avantage auquel l’agent ne pouvait légalement prétendre.
B. La reconnaissance d’un préjudice moral certain
En revanche, la Cour admet que l’erreur commise par l’administration a causé un préjudice au requérant. Ce préjudice ne réside pas dans une perte financière, mais dans les désagréments et la déception nés de la confiance légitimement placée dans des documents administratifs officiels qui se sont révélés trompeurs. La faute a créé une attente qui a été déçue, causant un tort moral distinct de toute considération matérielle.
La Cour juge ainsi que « l’erreur commise a causé au requérant un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en l’évaluant à la somme de 5 000 euros ». Cette solution, classique dans son principe, permet de sanctionner le comportement fautif de l’administration et de dédommager la victime pour le trouble réel subi, sans pour autant lui accorder le bénéfice financier d’une situation à laquelle elle n’avait pas droit. L’arrêt distingue ainsi nettement la réparation d’un tort moral de la compensation d’un avantage matériel illusoire, maintenant une application cohérente et stricte des principes de la responsabilité administrative.