Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 20 décembre 2024 illustre l’application rigoureuse de l’autorité de la chose jugée comme moyen de faire échec à une action en responsabilité engagée contre l’administration. En l’espèce, un fonctionnaire avait été placé en disponibilité par un arrêté de son ministère d’origine en date du 4 janvier 2019, à la suite de sa demande de mettre fin de manière anticipée à son détachement dans un autre service. Après avoir été réintégré trois mois plus tard, l’agent a formé une demande indemnitaire préalable, estimant que cette mise en disponibilité constituait une faute de l’administration lui ayant causé divers préjudices. Cette demande a été implicitement rejetée, puis le tribunal administratif a également rejeté son recours tendant à la condamnation de l’État. Le fonctionnaire a donc interjeté appel de ce jugement. Un élément procédural essentiel réside dans le fait qu’une précédente instance, devenue définitive après le rejet d’un pourvoi en cassation, avait déjà statué sur la légalité de l’arrêté du 4 janvier 2019 et l’avait jugé parfaitement légal. La question de droit posée aux juges d’appel était donc double : d’une part, une demande indemnitaire fondée sur l’illégalité alléguée d’une décision administrative peut-elle aboutir alors que la légalité de cette même décision a été définitivement confirmée par une décision de justice antérieure ? D’autre part, le comportement d’une administration qui ne fait que transmettre des informations à une autre peut-il être constitutif d’une faute ? La cour administrative d’appel rejette la requête du fonctionnaire. Elle juge que l’autorité de la chose jugée qui s’attache à l’arrêt antérieur ayant reconnu la légalité de l’arrêté litigieux interdit de retenir une faute fondée sur la prétendue illégalité de cet acte. La cour écarte également l’existence de toute autre faute de l’administration, concluant à l’absence de fait générateur de nature à engager la responsabilité de l’État.
L’analyse de cette décision révèle une application orthodoxe des principes du contentieux administratif, où l’autorité de la chose jugée constitue un obstacle absolu à une nouvelle contestation (I), ce qui conduit logiquement au rejet de toute responsabilité en l’absence de faute avérée (II).
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I. L’autorité de la chose jugée, obstacle dirimant à l’engagement de la responsabilité de l’État
La cour fonde sa décision sur un principe procédural cardinal, en constatant d’abord l’existence d’une décision juridictionnelle définitive (A), pour en déduire ensuite l’impossibilité de retenir la faute principale invoquée par le requérant (B).
A. La reconnaissance du caractère définitif de la légalité de l’acte administratif
Le juge d’appel prend soin de relever qu’un précédent arrêt de la même cour, devenu définitif suite à une décision de non-admission du Conseil d’État, a déjà tranché la question de la légalité de l’arrêté du 4 janvier 2019. Cet arrêt antérieur, qui avait rejeté le recours pour excès de pouvoir formé contre l’acte, bénéficie par conséquent de l’autorité absolue de la chose jugée. La cour rappelle dans sa propre décision que « cet arrêt est revêtu de l’autorité de la chose jugée au regard de son dispositif et des motifs qui en sont le soutien ». Cette précision est essentielle, car elle signifie que la reconnaissance de la légalité de l’acte n’est plus susceptible d’être débattue ou remise en cause dans une nouvelle instance, y compris dans le cadre d’un contentieux de la responsabilité. La validité de la décision plaçant le fonctionnaire en disponibilité est ainsi judiciairement et définitivement établie.
B. L’anéantissement de la faute principale alléguée par le requérant
Dans le contentieux de la responsabilité administrative, il est de jurisprudence constante qu’une illégalité commise par l’administration est en principe constitutive d’une faute. Le requérant entendait précisément se fonder sur ce postulat pour obtenir réparation, en arguant que la décision de le placer en disponibilité était illégale. Cependant, en appliquant l’autorité de la chose jugée de la décision antérieure, la cour neutralise totalement ce moyen. Si l’acte n’est pas illégal, il ne peut constituer une faute. Le raisonnement du juge est implacable et se traduit par un rejet systématique de tous les arguments liés à cette prétendue illégalité, l’arrêt précisant que « les moyens soulevés à l’appui des conclusions aux fins d’indemnisation de la présente requête, à raison des fautes constituées par les illégalités soulevées de l’arrêté du 4 janvier 2019 […] ne peuvent qu’être écartés ». La principale branche du raisonnement du requérant s’effondre donc par l’effet de ce principe procédural.
II. Le rejet complémentaire des fautes subsidiaires, confirmation d’une approche classique de la responsabilité
Au-delà de l’argument principal, la cour examine les autres fautes alléguées pour s’assurer qu’aucun autre fait générateur de responsabilité n’existe, en écartant une faute dans la communication entre administrations (A) et en réaffirmant l’exigence d’une démonstration probante de la faute (B).
A. L’absence de faute dans la transmission d’informations entre administrations
Le requérant tentait subsidiairement de démontrer l’existence d’une faute commise par les ministères chargés des affaires sociales, qui auraient eu un « comportement vexatoire » en indiquant à son ministère d’origine une absence de poste vacant. La cour rejette cette argumentation en clarifiant les compétences respectives des administrations en présence. Elle rappelle que seul le ministère de rattachement du fonctionnaire avait compétence pour organiser sa réintégration. Les autres ministères n’ont fait que répondre à une sollicitation en communiquant une information sur l’état des postes vacants à un instant donné. Un tel acte de communication, relevant du fonctionnement normal des services, ne saurait être qualifié de fautif. La cour juge ainsi qu’« aucune faute ne peut être constatée à raison de l’information donnée, en réponse à la demande du ministère de rattachement ». Cette solution confirme qu’une administration agissant dans le cadre normal de ses attributions et de la coopération interministérielle ne commet pas de faute.
B. La nécessaire démonstration d’un manquement caractérisé pour fonder la responsabilité
En définitive, l’arrêt réaffirme l’un des fondements du droit de la responsabilité pour faute : la charge de la preuve incombe au demandeur. Celui-ci doit non seulement alléguer, mais surtout démontrer l’existence d’un fait fautif précis et imputable à l’administration. En l’espèce, le juge d’appel, après avoir écarté la faute tirée d’une illégalité par l’effet de l’autorité de la chose jugée, a examiné les autres agissements dénoncés et n’y a décelé aucun manquement. La conclusion s’impose alors logiquement, comme le résume parfaitement le considérant final sur le fond : « en l’absence de faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat, M. B… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions indemnitaires ». Faute de fait générateur, la responsabilité de l’État ne peut être engagée, et la demande de réparation ne peut qu’être rejetée.