Cour d’appel administrative de Paris, le 20 mai 2025, n°24PA01790

La décision rendue par une cour administrative d’appel le 20 mai 2025 offre une illustration des conséquences procédurales du changement de situation d’un étranger en cours d’instance. En l’espèce, un ressortissant malien a fait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 11 janvier 2024 l’obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de sa destination. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une demande tendant à l’annulation de cette décision. Par un jugement du 3 avril 2024, le tribunal a rejeté sa requête. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement. Cependant, en cours de procédure d’appel, par un mémoire enregistré le 23 avril 2025, il a informé la cour de son désistement « pur et simple » de ses conclusions à fin d’annulation, au motif qu’une préfecture lui avait finalement délivré une carte de séjour temporaire le 21 juin 2024. L’appelant maintenait néanmoins ses conclusions relatives à la prise en charge des frais de l’instance par l’État. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si le désistement d’instance d’un requérant, motivé par l’obtention d’une satisfaction de la part de l’administration en cours de procédure, fait obstacle à ce que l’État soit condamné à supporter les frais exposés pour le procès. La cour administrative d’appel, après avoir donné acte du désistement qui met fin au litige principal, décide de condamner l’État à verser une somme à l’avocat du requérant au titre des frais irrépétibles. Elle considère ainsi que l’issue du litige, bien que procédurale, justifie de laisser à la charge de l’administration les frais engagés par un requérant ayant obtenu gain de cause de manière extra-juridictionnelle. Cette solution, qui distingue le sort de l’action principale de celui des frais de procès, témoigne d’une approche pragmatique du rôle du juge. Il convient d’analyser la manière dont le juge entérine la fin de l’instance par le désistement (I), avant d’étudier la portée de la condamnation de l’administration aux frais de l’instance, qui s’apparente à une reconnaissance implicite du bien-fondé de la requête initiale (II).

I. L’extinction de l’instance par l’effet du désistement

Le juge administratif prend acte du désistement du requérant, ce qui met un terme immédiat à l’instance sans que les moyens soulevés ne soient examinés. Cette approche orthodoxe du désistement (A) entraîne des conséquences claires quant à la fin du litige (B).

A. Un désistement pur et simple, expression de la volonté des parties

La cour relève dans un premier temps que « Le désistement (…) est pur et simple. Rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte ». Cette formule consacre le caractère unilatéral et inconditionnel du retrait de l’action en justice par son auteur. Le désistement d’instance est un acte de procédure par lequel le demandeur renonce à l’instance qu’il a engagée, sans pour autant renoncer au droit d’agir lui-même, qu’il pourrait exercer à nouveau si l’action n’est pas éteinte par un autre biais. En l’espèce, le requérant, ayant obtenu un titre de séjour, n’a plus d’intérêt à poursuivre l’annulation d’une obligation de quitter le territoire devenue sans objet. Son désistement est donc la conséquence logique de la satisfaction qu’il a obtenue. Le rôle du juge se limite alors à vérifier que ce désistement est bien réel, non équivoque et qu’il émane d’une volonté libre, ce qui est le cas en l’espèce. Le juge n’a pas à porter d’appréciation sur les motifs de ce désistement, il se contente de le constater pour en tirer les conséquences procédurales qui s’imposent.

B. La clôture du litige sans examen au fond

La principale conséquence de cet acte de désistement est de dessaisir la cour. En en donnant acte, le juge met fin à l’instance et n’examine aucun des moyens de légalité qui avaient été soulevés à l’encontre de l’arrêté préfectoral. Les questions relatives à l’insuffisance de motivation, au défaut d’examen de la situation personnelle du requérant, ou à la violation éventuelle des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ne sont donc pas tranchées. Le litige principal s’éteint sans qu’il soit statué sur le fond du droit, ce qui a pour effet de rendre définitif le jugement de première instance qui avait rejeté la demande. Cette solution illustre parfaitement le principe selon lequel le procès est la chose des parties, et que le juge ne peut se prononcer sur une demande que si elle est maintenue devant lui. Toutefois, cette extinction de l’instance principale n’épuise pas l’office du juge, qui demeure saisi de la question accessoire des frais.

II. La condamnation aux frais, sanction implicite d’un recours initialement fondé

En dépit du non-lieu à statuer sur le fond, le juge décide de mettre les frais de l’instance à la charge de l’État. Cette décision établit une forme d’autonomie entre la solution procédurale et l’appréciation de la responsabilité dans l’engagement du litige (A), envoyant ainsi un signal à l’administration quant à la nécessité de reconsidérer sa position avant que le juge ne tranche formellement (B).

A. La dissociation de la charge des dépens et de l’issue procédurale du litige

L’article L. 761-1 du code de justice administrative dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés. Dans le cas d’un désistement, la notion de « partie perdante » est ambiguë. En principe, le désistement pourrait être analysé comme un échec pour le requérant, qui n’obtient pas de jugement d’annulation. Cependant, la cour adopte ici une lecture plus substantielle. Elle considère que le désistement est directement causé par la délivrance d’un titre de séjour par l’administration, ce qui constitue une reconnaissance implicite que la situation du requérant méritait d’être régularisée. Dans ces conditions, l’administration, en ne régularisant la situation qu’après l’engagement d’une procédure d’appel, peut être regardée comme la partie ayant, par son comportement initial, rendu le procès nécessaire. La condamnation de l’État à verser une somme de 1 000 euros à l’avocat du requérant confirme cette interprétation, en traitant l’État comme la partie qui a succombé, non pas en droit, mais en faits.

B. La portée dissuasive de la solution à l’égard de l’administration

En condamnant l’État aux frais de justice dans de telles circonstances, la cour adresse un message clair. Elle signifie que le fait d’accorder un droit en cours d’instance pour provoquer un désistement et ainsi éviter une censure juridictionnelle ne suffit pas à exonérer l’administration des conséquences financières de son refus initial. Cette jurisprudence incite les préfectures à procéder à un examen plus approfondi des situations individuelles avant de notifier des décisions d’éloignement, et à revoir leur position plus tôt dans la procédure lorsqu’un recours contentieux apparaît manifestement fondé. La solution protège ainsi le droit à un recours effectif, en garantissant que le requérant qui est contraint d’engager des frais pour faire valoir un droit qui lui sera finalement reconnu ne soit pas pénalisé financièrement. La décision, bien que rendue dans une espèce particulière, revêt une portée qui dépasse son simple contexte factuel et contribue à un équilibre des rapports entre l’administration et les administrés dans le cadre du contentieux des étrangers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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