Par un arrêt en date du 21 mai 2025, la cour administrative d’appel de Paris a statué sur la légalité d’une délibération de jury universitaire et sur l’étendue du pouvoir d’injonction du juge administratif en la matière. En l’espèce, un étudiant inscrit en deuxième année de master avait été ajourné par un jury d’examen. Saisi d’un recours, le tribunal administratif avait annulé cette décision et enjoint à l’établissement de réexaminer la situation de l’étudiant. Un nouveau jury, se fondant sur des modalités de contrôle des connaissances adoptées postérieurement aux épreuves, avait de nouveau prononcé l’ajournement de l’intéressé. Le tribunal administratif, de nouveau saisi par l’étudiant, a annulé cette seconde délibération au motif qu’elle reposait sur une base légale inexistante et a ordonné à l’université de lui délivrer son diplôme. L’établissement universitaire a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant la censure de la délibération que la portée de l’injonction prononcée à son encontre. La question se posait de savoir si des modalités de contrôle des connaissances peuvent être modifiées et appliquées rétroactivement à un étudiant pour une année universitaire achevée. En outre, il convenait de déterminer si, en cas d’annulation d’une décision d’ajournement, le juge administratif peut ordonner la délivrance d’un diplôme sans porter atteinte à la souveraineté du jury. La cour administrative d’appel rejette la requête de l’université, confirmant ainsi l’analyse des premiers juges sur les deux points.
La solution retenue par la cour administrative d’appel permet de réaffirmer la censure du recours à des modalités de contrôle des connaissances rétroactives (I), tout en confirmant la possibilité pour le juge de prononcer une injonction de délivrance du diplôme en dépit du principe de souveraineté du jury (II).
I. La censure réaffirmée du recours à des modalités de contrôle des connaissances rétroactives
La cour administrative d’appel confirme l’annulation de la délibération du jury en se fondant sur l’inopposabilité d’une réglementation adoptée tardivement (A), ce qui constitue un rappel salutaire du principe de sécurité juridique au bénéfice des étudiants (B).
A. L’inopposabilité d’une réglementation adoptée tardivement
Le juge d’appel valide le raisonnement du tribunal administratif qui avait annulé la décision d’ajournement pour défaut de base légale. La délibération contestée du 19 mai 2021 se fondait en effet sur de nouvelles modalités de contrôle des connaissances adoptées par le conseil académique de l’université le 15 avril 2021. Or, ces modalités visaient à régir a posteriori la situation d’un étudiant pour des épreuves passées lors de l’année universitaire 2018-2019. La cour relève que, de toute manière, l’établissement ne pouvait valablement agir sur ce fondement. Elle souligne que « l’université ne pouvait pas modifier les modalités de contrôle des connaissances postérieurement au déroulé des épreuves passées par [l’étudiant] à l’issue de l’année universitaire 2018-2019 ». Le caractère rétroactif de l’acte réglementaire suffit à le rendre inapplicable.
De surcroît, la cour constate que ces nouvelles règles n’étaient pas même entrées en vigueur à la date de la délibération litigieuse. Leur transmission au recteur, condition de leur entrée en vigueur, n’a eu lieu que le 11 juin 2021, soit près d’un mois après leur application par le jury. Cette double illégalité, tenant à la fois à la rétroactivité et au défaut d’entrée en vigueur de la norme, prive la décision du jury de toute base légale. Le rejet de l’argument de l’université, qui prétendait pouvoir « régulariser une situation ou combler un vide juridique », est sans équivoque et réaffirme la primauté des règles de compétence et de procédure.
B. Le rappel du principe de sécurité juridique au bénéfice des étudiants
Au-delà de l’aspect purement technique, cette décision constitue une application rigoureuse du principe de sécurité juridique. Les dispositions du code de l’éducation, notamment son article L. 613-1, prévoient que les modalités de contrôle des connaissances doivent être arrêtées « au plus tard à la fin du premier mois de l’année d’enseignement » et qu’elles « ne peuvent être modifiées en cours d’année ». Ce cadre a pour objet de garantir aux étudiants une connaissance claire et stable des règles d’évaluation auxquelles ils seront soumis. En jugeant que la situation de l’étudiant était « entièrement régie par les textes en vigueur à la date à laquelle il a passé les épreuves », la cour protège les attentes légitimes des administrés.
Cette solution réaffirme qu’un établissement d’enseignement supérieur ne saurait, pour pallier ses propres carences réglementaires antérieures, imposer rétroactivement des règles nouvelles et défavorables à un étudiant. L’arrêt rappelle ainsi que la prévisibilité du droit est une composante essentielle de l’État de droit, y compris dans le cadre du service public de l’enseignement supérieur. La censure de l’acte du jury n’est donc pas seulement la conséquence d’un vice de forme, mais bien la sanction d’une atteinte aux droits fondamentaux de l’étudiant. Une fois l’illégalité de la délibération du jury établie, la cour devait se prononcer sur les conséquences à en tirer, et plus particulièrement sur le pouvoir du juge d’ordonner la délivrance du diplôme.
II. La confirmation d’une injonction de délivrance du diplôme en dépit de la souveraineté du jury
La cour administrative d’appel confirme également l’injonction prononcée par les premiers juges, estimant qu’il s’agit d’une mesure d’exécution nécessaire (A), traçant ainsi une limite claire à la portée du principe de souveraineté du jury d’examen (B).
A. L’appréciation du caractère nécessaire de la mesure d’exécution
En vertu de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, le juge peut prescrire une mesure d’exécution dans un sens déterminé lorsque sa décision l’implique nécessairement. L’université soutenait que l’annulation de la délibération du jury ne devait conduire qu’à un réexamen de la situation de l’étudiant. Cependant, la cour adopte une approche pragmatique et concrète pour déterminer les suites de l’annulation. Elle constate que l’ajournement de l’étudiant résultait exclusivement de l’application d’une note éliminatoire, prévue par les seules modalités de contrôle des connaissances de 2021, jugées inopposables.
Le juge en déduit logiquement que « sans la note éliminatoire à l’origine de son ajournement, [l’étudiant] aurait dû, sa moyenne de notes étant supérieure à 10, valider le master ». Dès lors que l’annulation de l’acte illégal ne laisse place à aucune appréciation nouvelle et que le succès de l’étudiant découle d’un simple calcul arithmétique sur la base des notes valablement obtenues, la délivrance du diplôme devient la seule conséquence possible. L’injonction n’est donc pas une faculté laissée au juge mais une obligation découlant de la nécessité de donner un effet utile à sa décision d’annulation et de mettre un terme définitif au litige.
B. Une limite à la souveraineté du jury d’examen
L’argument principal de l’université reposait sur le principe de la souveraineté du jury, selon lequel le juge administratif ne contrôle pas l’appréciation portée par celui-ci sur la valeur des prestations des candidats. Ce principe fondamental vise à protéger la liberté d’évaluation académique et à empêcher que le juge ne se substitue au jury pour noter un candidat. Toutefois, la cour administrative d’appel rappelle, par cette décision, que cette souveraineté n’est pas absolue. Elle ne saurait faire échec au respect du principe de légalité.
L’arrêt démontre que le juge ne méconnaît pas la souveraineté du jury lorsqu’il ne se livre à aucune appréciation sur le mérite des épreuves de l’étudiant. En l’espèce, le juge n’a pas réévalué les copies ; il a simplement tiré les conséquences de l’illégalité de la règle de la note éliminatoire. La souveraineté du jury s’exerce dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Lorsqu’un jury fonde sa décision sur une règle illégale, il sort de son champ de compétence souveraine. En ordonnant la délivrance du diplôme, le juge ne fait qu’exécuter le résultat qui aurait dû être proclamé si le droit avait été correctement appliqué, restaurant ainsi l’étudiant dans ses droits.