Par un arrêt en date du 21 mai 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les modalités d’application d’une convention fiscale conclue entre l’État et la Polynésie française. En l’espèce, une société par actions simplifiée disposant d’un établissement en Polynésie française a fait l’objet d’un redressement fiscal au titre de l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers. L’administration a appliqué une quote-part des revenus distribués par la société à la fiscalité polynésienne, en se fondant sur une convention signée en 1957 visant à éliminer les doubles impositions. La société a contesté ces impositions en soutenant que ladite convention n’était jamais valablement entrée en vigueur.
Saisi du litige, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté la demande de la société par un jugement du 26 septembre 2023. La société a alors interjeté appel de cette décision, reprenant son argumentation principale selon laquelle la convention de 1957, faute d’avoir été ratifiée par une loi, était dépourvue de force juridique. Elle ajoutait que l’accord n’avait pas fait l’objet de l’arrêté d’application prévu par le code des impôts polynésien. Se posait donc au juge d’appel la question de savoir si une convention fiscale conclue entre l’État et un territoire d’outre-mer, dont la ratification législative explicite n’a jamais été formellement achevée, peut néanmoins produire des effets de droit et fonder une imposition.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la procédure d’entrée en vigueur de la convention de 1957 n’était pas irrégulière au regard des textes de l’époque, et surtout, que le législateur a ultérieurement procédé à une ratification implicite de cette convention par une loi organique de 2011. La solution retenue par le juge, tout en sécurisant l’application d’un texte ancien, consacre une méthode de validation législative qui mérite une attention particulière.
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I. La confirmation de la validité d’une convention fiscale à l’entrée en vigueur contestée
La cour administrative d’appel écarte les moyens de la requérante en validant, d’une part, la régularité de la procédure initiale d’approbation de la convention (A) et en écartant, d’autre part, l’argument tiré de l’absence d’une formalité de publication devenue sans objet (B).
A. Le respect des conditions d’entrée en vigueur posées par le droit applicable en 1957
La société requérante soutenait que l’applicabilité de la convention était subordonnée à une ratification législative qui n’a jamais eu lieu. La cour analyse cependant la situation au regard des dispositions en vigueur lors de la conclusion de l’accord. Elle relève que le décret du 30 juin 1952, applicable à l’époque, se bornait à exiger que de tels accords fassent l’objet de décrets « qui sont soumis dans le délai de trois mois à la ratification législative ». Le juge constate que le décret publiant la convention a bien été soumis au Parlement par le dépôt d’un projet de loi, accomplissant ainsi la formalité requise.
Le raisonnement du juge est ici strictement légaliste et textuel. Il distingue l’obligation de soumettre un texte à ratification de l’obligation d’obtenir cette ratification. En considérant que la première seule était imposée par le droit positif de 1952, il conclut que la procédure a été respectée, rendant l’absence de vote final du Parlement inopérante. De même, la cour écarte logiquement l’invocation des articles 34 et 53 de la Constitution de 1958, en raison de leur non-rétroactivité. Cette analyse rigoureuse du droit transitoire permet de sécuriser la validité formelle de la convention dès son origine.
B. La non-rétroactivité des exigences procédurales postérieures
La requérante invoquait également l’absence d’un arrêté d’application de la convention, formalité pourtant prévue par l’article 179-3 du code des impôts de la Polynésie française. Cet article dispose en effet que l’accord fixant les modalités de répartition des revenus distribués « fait l’objet d’un arrêté ». La cour rejette cet argument par une application classique du principe de non-rétroactivité des actes administratifs.
Elle relève que la disposition imposant la publication d’un arrêté provient d’une délibération de l’assemblée territoriale de 1992. Cette exigence procédurale, parce qu’elle est postérieure de plusieurs décennies à la convention de 1957, ne pouvait donc s’appliquer à cette dernière. En refusant de faire peser sur un accord ancien des contraintes formelles nouvelles, le juge assure la stabilité des situations juridiques et préserve l’effet utile de la convention. Cette solution, bien que techniquement simple, est fondamentale pour la sécurité juridique des relations fiscales entre l’État et la collectivité.
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Après avoir ainsi validé les conditions formelles de la convention au regard des époques successives, la cour administrative d’appel va plus loin en lui reconnaissant une pleine portée normative à travers la consécration d’une ratification implicite par le législateur contemporain.
II. La consécration de la portée de la convention par la reconnaissance d’une ratification implicite
L’apport principal de l’arrêt réside dans l’identification par le juge d’une ratification législative implicite mais certaine (A), qui vient renforcer la reconnaissance de la compétence fiscale propre à la Polynésie française (B).
A. L’interprétation constructive d’une loi organique comme acte de ratification
Le point d’orgue du raisonnement de la cour est la découverte d’une ratification implicite dans la loi organique du 19 avril 2011. Ce texte, approuvant un accord de 2009 sur l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, précise que ce nouvel accord « ne limite pas l’application de la Convention » de 1957. Pour le juge, cette mention n’est pas anodine. En s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi de 2011, il constate que le législateur a explicitement reconnu que la convention de 1957 régissait toujours les relations fiscales entre l’État et la Polynésie et que ses clauses « restent en vigueur ».
La cour en déduit que « le législateur a entendu ratifier implicitement la convention dont l’accord de 2009 constitue un complément ». Cette méthode d’interprétation, qui dépasse la simple lettre du texte pour en rechercher l’intention, est audacieuse mais solidement motivée. Elle confère une légitimité démocratique renouvelée à un accord qui aurait pu apparaître comme juridiquement fragile. La décision illustre la capacité du juge administratif à donner leur plein effet à des normes en apparence désuètes mais dont la pratique et la volonté du législateur confirment la persistance. La portée de l’arrêt est ici significative, car elle admet qu’une ratification, acte juridique de haute importance, peut résulter de dispositions législatives qui ne la mentionnent pas expressément.
B. La confirmation de l’autonomie fiscale de la collectivité d’outre-mer
Enfin, la cour écarte un dernier moyen, jugé insuffisamment précis, tiré d’une prétendue non-conformité à la loi statutaire de 2004. Le juge en profite pour rappeler une évidence juridique qui sous-tend toute sa décision : la matière fiscale relève de la compétence propre de la Polynésie française, en vertu de la loi organique portant statut d’autonomie. Par conséquent, les dispositions relatives aux accords internationaux dans les domaines de compétence de l’État ne sont pas pertinentes.
Ce rappel, bien que formulé en réponse à un argument subsidiaire, n’est pas anodin. Il resitue le litige dans son contexte institutionnel et confirme que la convention de 1957, bien que signée à une époque où le statut du territoire était différent, s’intègre aujourd’hui dans le cadre d’une autonomie fiscale pleinement reconnue. L’arrêt confirme ainsi que la Polynésie française dispose des outils juridiques nécessaires pour asseoir son impôt, y compris par des conventions négociées avec l’État, et que le juge administratif est le garant de l’effectivité de ces instruments. La solution assure la pérennité des recettes fiscales de la collectivité tout en consolidant l’édifice juridique de son autonomie.