Par un arrêt en date du 21 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur le rejet d’une demande de titre de séjour pour raisons médicales, assorti de plusieurs mesures d’éloignement. En l’espèce, un ressortissant étranger, présent sur le territoire français depuis plusieurs années, avait sollicité la régularisation de sa situation au regard de son état de santé. Il souffrait d’une pathologie psychiatrique sévère, attestée par des documents médicaux qui faisaient état d’un risque suicidaire et de la nécessité d’un traitement médicamenteux spécifique. L’autorité administrative, se fondant sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), avait estimé que, malgré la gravité de son état, l’intéressé pouvait bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine. Le préfet avait en outre retenu l’existence d’une menace à l’ordre public, en raison de plusieurs condamnations pénales. En conséquence, il avait rejeté la demande de titre de séjour, obligé le requérant à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de trente-six mois. Saisi du litige, le tribunal administratif de Paris avait rejeté le recours formé contre cet arrêté. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant tant l’appréciation de l’accès aux soins dans son pays d’origine que la caractérisation d’une menace à l’ordre public. La question posée à la cour était donc de déterminer si les éléments produits par le requérant suffisaient à renverser l’avis du collège de médecins de l’OFII quant à la disponibilité d’un traitement et, subsidiairement, si son passé pénal pouvait légalement justifier l’ensemble des décisions prises à son encontre. La Cour administrative d’appel a rejeté la requête, validant ainsi l’analyse des premiers juges et la position de l’administration. Elle a considéré d’une part que la preuve de l’indisponibilité du traitement n’était pas suffisamment rapportée par le requérant, et d’autre part que les faits reprochés à ce dernier constituaient bien une menace pour l’ordre public.
Cette décision, qui s’inscrit dans un contentieux abondant, illustre la double exigence probatoire qui pèse sur l’étranger sollicitant une protection au titre de son état de santé, tout en réaffirmant l’autonomie de la notion de menace à l’ordre public. Il convient ainsi d’examiner la confirmation par le juge d’une appréciation rigoureuse de la condition d’accès aux soins (I), avant d’étudier la validation de la menace à l’ordre public comme fondement autonome du refus de séjour et des mesures d’éloignement (II).
I. Une appréciation rigoureuse de la condition d’accès aux soins
La solution retenue par la Cour administrative d’appel repose sur une analyse stricte des conditions posées par l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle met en lumière la place prépondérante de l’avis médical émis par l’OFII dans la prise de décision administrative (A) et, par conséquent, le niveau de preuve élevé exigé du requérant qui entend le contester (B).
A. Le rôle central de l’avis du collège de médecins de l’OFII
La procédure de délivrance d’un titre de séjour pour soins est subordonnée à l’avis d’un collège de médecins du service médical de l’OFII. Cet avis technique a pour objet d’évaluer trois critères cumulatifs : la résidence habituelle en France, la nécessité d’une prise en charge médicale dont le défaut aurait des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et l’absence d’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine. Dans la présente affaire, le préfet s’est approprié l’avis du collège de médecins, lequel, tout en reconnaissant l’existence d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité, avait conclu à la possibilité pour le requérant de bénéficier d’un traitement dans son pays. Le juge administratif, sans substituer sa propre appréciation médicale, exerce un contrôle sur l’erreur manifeste d’appréciation que l’autorité administrative aurait pu commettre. En confirmant la décision préfectorale, la cour réaffirme que l’avis de l’OFII, émanant d’une instance spécialisée, constitue l’élément d’appréciation principal. Sauf à démontrer une carence ou une contradiction flagrante dans cet avis, le juge tend à le considérer comme une base solide pour la décision administrative, plaçant ainsi une charge probatoire considérable sur les épaules du demandeur.
B. L’insuffisance des éléments de preuve apportés par le requérant
Face à l’avis défavorable de l’OFII, il appartient au requérant de produire des éléments circonstanciés susceptibles de le remettre en cause. La cour se livre ici à un examen méticuleux des preuves fournies en appel. Elle écarte successivement un certificat médical ancien, des données issues d’un site internet non datées, et des courriels de laboratoires pharmaceutiques. Concernant un médicament spécifique, elle estime que la preuve de sa non-commercialisation par un laboratoire est insuffisante, relevant que « ces éléments sont toutefois insuffisants pour établir qu’un seul laboratoire commercialiserait ce médicament ». De même, pour une autre molécule, elle juge qu’un courriel « n’est cependant pas de nature à établir l’absence totale de commercialisation de ce médicament en Côte d’Ivoire ». Ce faisant, la cour précise les contours de la preuve attendue : elle ne doit pas seulement suggérer une difficulté d’accès, mais établir une indisponibilité quasi certaine du traitement approprié sur l’ensemble du territoire du pays de renvoi. Cette exigence de preuve quasi diabolique rend particulièrement difficile pour un requérant, depuis la France et avec des moyens limités, de contester efficacement l’expertise de l’OFII.
II. La caractérisation autonome de la menace à l’ordre public
La décision du préfet reposait sur un second motif, tiré de la menace à l’ordre public, que le juge administratif valide également. Cette motivation, qui vient consolider le refus de séjour (A), produit également des effets en cascade sur les mesures d’éloignement qui l’accompagnent (B).
A. La justification du refus de séjour par le passé pénal
En se fondant sur les articles L. 412-5 et L. 432-1 du CESEDA, le préfet a opposé au requérant son passé délictueux pour motiver son refus. La cour valide ce raisonnement en s’appuyant sur les faits versés au dossier : « l’intéressé a été condamné à quatre reprises » et « est connu défavorablement par les services de police pour des faits de vol avec violence ». Le juge considère que « au regard tant de leur nature, de leur réitération que de leur caractère récent à la date de la décision attaquée, ces faits étaient de nature à faire regarder la présence de [l’intéressé] sur le territoire français comme une menace pour l’ordre public ». Cette appréciation souveraine des faits montre que la menace à l’ordre public constitue un fondement autonome et suffisant pour justifier un refus de séjour, y compris lorsque la demande est fondée sur des considérations humanitaires. Même si le requérant avait réussi à prouver l’indisponibilité des soins, la menace à l’ordre public aurait pu, à elle seule, faire obstacle à la délivrance du titre. Cette dualité de motifs renforce considérablement la sécurité juridique de la décision administrative.
B. La portée de la menace à l’ordre public sur les mesures d’éloignement
La reconnaissance d’une menace à l’ordre public ne se limite pas à justifier le refus de séjour ; elle conditionne également le régime de l’éloignement. En vertu de l’article L. 612-2 du CESEDA, l’autorité administrative peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire lorsque le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public. La cour, ayant déjà validé cette qualification, en déduit logiquement que le préfet n’a commis aucune erreur en assortissant l’obligation de quitter le territoire français d’une exécution sans délai. Le juge opère un simple contrôle de qualification juridique des faits, sans se livrer à une nouvelle appréciation. Cette approche confirme que la menace à l’ordre public agit comme un pivot juridique dont la reconnaissance entraîne des conséquences automatiques sur l’ensemble des mesures prononcées. Le raisonnement par voie de conséquence s’applique enfin à l’interdiction de retour sur le territoire français, dont la légalité est confirmée dès lors que les décisions qu’elle accompagne sont elles-mêmes jugées légales.