Cour d’appel administrative de Paris, le 21 mai 2025, n°24PA03992

Par un arrêt en date du 21 mai 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un ressortissant étranger, père d’un enfant français. En l’espèce, un individu de nationalité ivoirienne, entré sur le territoire national en 2018 et dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée, faisait l’objet d’un arrêté préfectoral en date du 1er mars 2024. Cet arrêté lui faisait obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçait à son encontre une interdiction de retour d’une durée d’un an. Le requérant avait reconnu son enfant, né en France, près d’un an après sa naissance et s’était séparé de la mère de celui-ci. Saisit d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande par un jugement du 13 août 2024. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant notamment une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ainsi qu’une méconnaissance de l’intérêt supérieur de son enfant. Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si une obligation de quitter le territoire français, assortie d’une interdiction de retour, porte une atteinte excessive au droit à la vie familiale d’un parent d’enfant français lorsque la réalité et l’intensité des liens avec cet enfant ne sont pas solidement établies. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la mesure d’éloignement est justifiée et proportionnée. Elle estime que, compte tenu du maintien irrégulier de l’étranger sur le territoire, de la reconnaissance tardive de son enfant et de l’absence de preuves suffisantes attestant d’un lien affectif stable et d’une participation à l’éducation, l’ingérence dans sa vie familiale n’est pas disproportionnée.

Cette décision illustre une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité exercé sur les mesures d’éloignement (I), aboutissant à une confirmation logique de la légalité des sanctions prononcées (II).

I. Une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité

La cour fonde sa décision sur une appréciation classique de la conventionnalité de l’arrêté au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (A), en accordant une importance déterminante à la matérialité des liens familiaux invoqués (B).

A. Le contrôle classique de l’atteinte à la vie familiale

Le juge administratif opère, conformément à une jurisprudence constante, une balance entre les intérêts en présence : le droit de l’État à maîtriser les flux migratoires et le droit de l’individu au respect de sa vie privée et familiale. En l’espèce, la cour relève plusieurs éléments à charge contre le requérant, tels que son entrée et son séjour irréguliers, le rejet définitif de sa demande d’asile et l’existence d’une précédente mesure d’éloignement à laquelle il s’était soustrait. Face à ces faits, le droit au séjour revendiqué en qualité de parent d’enfant français est mis en perspective. La cour conclut ainsi que l’autorité préfectorale « n’a pas porté au droit de ce dernier au respect de la vie privée et familiale en France une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise ». Ce raisonnement s’inscrit dans une démarche classique où la précarité du séjour et le comportement de l’étranger pèsent lourdement dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure d’éloignement.

B. L’appréciation déterminante de la matérialité des liens parentaux

Au-delà de l’existence d’un lien de filiation juridique, le juge s’attache à vérifier la réalité concrète de la relation entre le parent et l’enfant. La cour souligne que « Les pièces versées au dossier établissent seulement une contribution financière régulière […], sans que l’intensité des liens existant entre [le requérant] et son enfant soit démontrée par quelques photos au demeurant non datées ». La reconnaissance tardive de l’enfant, près d’un an après sa naissance, ainsi que la séparation d’avec la mère, sont également prises en compte comme des indices d’une faible implication dans la vie de l’enfant. Cette approche factuelle et matérielle est décisive : la seule parenté ne suffit pas à constituer une protection absolue contre l’éloignement. Le juge exige la preuve d’une relation affective stable et d’une participation effective à l’éducation de l’enfant, ce que le requérant n’a pas su démontrer en l’espèce. La décision confirme ainsi que la protection de la vie familiale dépend moins du statut juridique que de la réalité vécue des relations personnelles.

La validation du contrôle de proportionnalité sur le fondement de la vie familiale entraîne logiquement la confirmation de la légalité de l’ensemble des mesures contestées.

II. La confirmation justifiée de l’ensemble des mesures d’éloignement

La cour écarte l’argument tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant en le subordonnant à la réalité des liens parentaux (A), ce qui la conduit à valider les décisions accessoires aggravant la mesure principale d’éloignement (B).

A. L’intérêt supérieur de l’enfant subordonné à la réalité des liens

Le requérant invoquait également la méconnaissance de l’article 3, paragraphe 1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. Cependant, la cour applique à ce moyen un raisonnement similaire à celui tenu pour l’article 8 de la Convention européenne. Elle considère que l’étranger « qui n’établit pas participer à l’éducation et à l’entretien de sa fille, ni même entretenir une relation affective stable avec elle, n’est pas fondé à soutenir qu’en édictant une obligation de quitter le territoire français à son encontre, [l’autorité préfectorale] aurait méconnu l’intérêt supérieur de cette enfant ». L’intérêt supérieur de l’enfant, bien que devant être une considération primordiale, n’est donc pas interprété comme un obstacle intangible à l’éloignement du parent. Son appréciation est intrinsèquement liée à la consistance de la relation parent-enfant. En l’absence de preuve d’un rôle éducatif et affectif significatif, la cour estime que la décision administrative ne porte pas atteinte à cet intérêt supérieur, qui ne saurait être instrumentalisé pour faire échec à une mesure d’éloignement justifiée par ailleurs.

B. La validation logique des mesures accessoires

La légalité de l’obligation de quitter le territoire étant établie, celle des décisions l’accompagnant est confirmée par voie de conséquence. D’une part, le refus d’accorder un délai de départ volontaire est justifié par le fait que « l’étranger s’est soustrait à une précédente mesure d’éloignement », ce qui caractérise un risque de fuite au sens du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cette justification, fondée sur une présomption légale, n’est pas utilement contestée par le requérant. D’autre part, l’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d’un an n’est pas jugée disproportionnée, dès lors que l’atteinte à la vie familiale a déjà été écartée pour la mesure principale. La cour considère que le requérant ne fait valoir aucune circonstance humanitaire particulière qui justifierait de ne pas prononcer cette interdiction. Cet arrêt se présente ainsi comme une décision d’espèce, où la solution est entièrement dictée par l’analyse des faits et le manque de consistance des liens familiaux invoqués par le requérant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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