Le 21 mai 2025, la cour administrative d’appel de Paris a rendu un arrêt précisant le régime de recevabilité des recours indemnitaires formés par les agents publics. Une assistante familiale, employée par un centre départemental, a subi une sanction disciplinaire annulée par un jugement du tribunal administratif de Montreuil en juin 2022. L’agent ainsi que son époux et son fils ont déposé une demande indemnitaire préalable restée sans réponse de la part de l’administration employeur. Une requête a été portée devant le tribunal administratif de Montreuil, laquelle a été rejetée par une ordonnance du 16 août 2024 pour cause d’irrecevabilité. Les intéressés ont formé un appel tendant à l’annulation de cette ordonnance ainsi qu’à l’indemnisation des préjudices nés de l’illégalité fautive de la sanction. La juridiction devait trancher la question de savoir si le défaut d’accusé de réception d’une demande préalable rend le délai de recours inopposable aux proches de l’agent. La cour administrative d’appel de Paris distingue la situation de l’agent de celle de ses ayants droit pour apprécier la tardivité de leurs conclusions respectives. L’étude de cette décision impose d’analyser d’abord la rigueur du régime dérogatoire appliqué à l’agent avant d’examiner la protection offerte aux membres de sa famille.
I. La rigueur du régime dérogatoire applicable aux agents publics
La juridiction d’appel confirme l’irrecevabilité des conclusions de l’agent en raison de la carence de sa requête initiale et de l’expiration des délais de recours.
A. L’insuffisance procédurale de la requête sommaire initiale
Le code de justice administrative impose aux requérants d’exposer les faits et moyens au sein de leur demande sous peine d’irrecevabilité manifeste de celle-ci. En l’espèce, les magistrats parisiens relèvent que la requête de l’intéressée « ne peut être regardée comme contenant l’exposé de faits et moyens » au sens des dispositions réglementaires. Les requérants se contentaient d’évoquer l’illégalité de la sanction sans mentionner le jugement d’annulation ni préciser la nature exacte des fautes commises par l’établissement. Une telle requête sommaire ne permet pas d’interrompre le délai de recours contentieux si elle n’est pas régularisée par un mémoire complémentaire avant l’expiration du délai. La juridiction souligne que « l’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser » après que le délai de forclusion est devenu définitif. La sévérité de cette solution repose sur l’exigence de clarté des prétentions soumises au juge administratif afin de garantir le respect du principe du contradictoire.
B. L’exclusion des garanties du code des relations entre le public et l’administration
L’administration n’avait pas délivré d’accusé de réception à la suite de la demande indemnitaire préalable formée par l’agent public contre son propre employeur. Habituellement, l’article L. 112-6 du code des relations entre le public et l’administration prévoit que les délais de recours ne sont pas opposables sans ce document. Toutefois, le juge rappelle que « les dispositions de la présente sous-section ne sont pas applicables aux relations entre l’administration et ses agents ». Cette exclusion spécifique entraîne le déclenchement du délai de recours de deux mois dès la naissance de la décision implicite de rejet du silence administratif. L’agent ne peut donc utilement invoquer l’absence d’information sur les voies et délais de recours pour justifier la présentation tardive de ses moyens de droit. Cette solution consacre la spécificité du lien statutaire qui unit l’administration à ses collaborateurs, supposés connaître les règles régissant leur propre gestion administrative.
II. La protection libérale des droits des tiers à l’administration
La juridiction d’appel adopte une position protectrice pour l’époux et le fils de l’agent en leur restituant le bénéfice des dispositions de droit commun.
A. La distinction organique entre l’agent et ses proches
Le centre départemental soutenait que le litige global devait être soumis aux règles dérogatoires applicables aux agents publics en raison de l’origine de la faute. La cour administrative d’appel de Paris écarte ce raisonnement en soulignant l’autonomie juridique des préjudices subis par les membres de la famille de l’agent. Le différend relatif à la réparation de leurs dommages propres « ne saurait être regardé comme un litige entre l’administration et l’un de ses agents ». Les proches conservent ainsi leur qualité de tiers vis-à-vis de l’administration employeur, quand bien même leur action indemnitaire trouve sa source dans un lien statutaire. Cette qualification juridique est déterminante car elle conditionne l’application des garanties procédurales prévues par le code des relations entre le public et l’administration. Le juge refuse d’étendre par analogie un régime d’exception dont la lettre limite strictement le champ d’application aux seules relations de travail.
B. Le rétablissement du bénéfice de l’inopposabilité des délais
Puisque les membres de la famille sont considérés comme des administrés ordinaires, ils doivent impérativement recevoir un accusé de réception mentionnant les voies de recours. L’arrêt constate que l’établissement public a méconnu cette obligation légale en s’abstenant de répondre formellement à la demande indemnitaire conjointe déposée par les requérants. Par conséquent, « les délais de recours de droit commun ne leur étaient pas opposables » et leur régularisation ultérieure devant le tribunal n’était pas tardive. La cour annule l’ordonnance de première instance en ce qu’elle avait indûment rejeté les conclusions de l’époux et du fils pour cause de forclusion. Cette solution garantit l’effectivité du droit au recours pour les victimes indirectes qui ne sont pas soumises aux contraintes de vigilance de l’agent. Elle rappelle aux administrations la nécessité de traiter distinctement les réclamations émanant de personnes extérieures à leurs services, même dans un contexte professionnel.