Cour d’appel administrative de Paris, le 22 janvier 2025, n°24PA00056

La Cour administrative d’appel de Paris a rendu, le 22 janvier 2025, une décision relative à la compétence juridictionnelle pour connaître des créances d’un médecin conseil.

Un praticien spécialisé a apporté son assistance à des victimes d’actes de terrorisme lors d’expertises médicales diligentées par un organisme public de garantie. Le professionnel a sollicité le paiement direct de ses honoraires auprès de cet établissement plutôt que de réclamer les sommes dues aux personnes physiques assistées. L’organisme a opposé un refus implicite à cette demande de règlement financier portant sur plusieurs factures non acquittées pour des interventions médicales réalisées. Le tribunal administratif de Melun a rejeté la demande d’annulation de ce refus par un jugement prononcé le 16 novembre 2023. La société d’exercice libéral a interjeté appel de cette décision devant la juridiction supérieure en contestant tant la régularité que le bien-fondé du jugement. La question posée au juge est de déterminer si le contentieux du paiement direct d’honoraires par un fonds public relève de l’ordre administratif ou judiciaire. La Cour retient que le litige présente une difficulté sérieuse mettant en jeu la séparation des autorités et sursoit à statuer en saisissant le Tribunal des conflits. L’analyse de cette décision suppose d’examiner l’incertitude pesant sur la répartition des compétences (I) avant d’étudier la mise en œuvre de la procédure de renvoi (II).

I. Une incertitude persistante sur la détermination du juge compétent

A. L’attraction du litige par le bloc de compétence judiciaire spécialisé

L’article L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire confère au tribunal judiciaire de Paris une compétence exclusive pour les demandes formées par les victimes d’actes de terrorisme. Le juge relève que le remboursement des honoraires du médecin conseil « est inclus dans l’indemnisation que lesdites victimes peuvent percevoir de ce fonds ». Cette inclusion directe dans le processus indemnitaire lie la créance du tiers prestataire au droit à réparation intégrale dont le juge civil reste le gardien. Le règlement effectué directement au profit du médecin impacte le montant global alloué à la victime, justifiant ainsi l’attraction vers l’ordre judiciaire de droit commun. Cette solution assure une cohérence procédurale indispensable pour éviter toute fragmentation des litiges relatifs à la liquidation des préjudices corporels subis par les victimes d’attentats.

B. Le maintien de la compétence administrative par le critère organique

L’organisme de garantie concerné doit être regardé comme un établissement de droit public selon une jurisprudence établie du Conseil d’État rendue en l’année 2019. La nature juridique de la structure semble ainsi soumettre ses actes et ses refus de paiement au contrôle de légalité exercé par le juge administratif. Le tribunal de première instance avait d’ailleurs admis sa compétence en considérant que le litige était susceptible de relever d’un régime de droit public national. L’opposition entre le statut de l’organisme et la nature de la mission d’indemnisation crée un conflit de normes complexe au sein de l’ordonnancement juridique interne. Cette dualité de critères ne permet pas de désigner avec certitude l’autorité compétente pour trancher la contestation relative aux honoraires dus au médecin conseil. La résolution de ce conflit nécessite alors l’intervention d’une instance supérieure chargée de stabiliser la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction.

II. Le recours impératif à la procédure de règlement des conflits

A. La constatation d’une difficulté sérieuse de compétence juridictionnelle

La Cour considère que l’action introduite présente à juger une question soulevant une difficulté sérieuse au sens du décret datant du 27 février 2015. L’existence de dispositions législatives attribuant une compétence exclusive au juge civil se heurte à la reconnaissance du caractère public du fonds de garantie des victimes. Le juge d’appel souligne que le différend porte sur les modalités de remboursement des honoraires en lien avec le principe de réparation intégrale des préjudices. Cette confrontation entre des principes fondamentaux justifie pleinement l’utilisation du mécanisme de renvoi prévu à l’article 35 du texte réglementaire précité par le juge. La juridiction refuse de trancher seule un litige dont l’issue dépend d’une interprétation délicate de la frontière entre les deux ordres de juridiction français.

B. La suspension de l’instance dans l’attente d’une décision souveraine

Le dispositif de l’arrêt prononce le sursis à statuer sur la requête jusqu’à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la difficulté juridique soulevée. Cette mesure de prudence garantit la sécurité juridique des parties en prévenant tout risque de cassation ultérieure pour incompétence de l’ordre de juridiction saisi. La future décision clarifiera si les prestataires tiers peuvent agir devant le juge administratif pour obtenir le paiement forcé de leurs créances indemnitaires nées. La portée de cet arrêt réside dans la reconnaissance d’un doute légitime sur l’application de l’article L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire. Cette démarche procédurale témoigne de la volonté de la Cour de respecter scrupuleusement le principe constitutionnel de séparation des autorités administratives et judiciaires.

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Hassan KOHEN
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