Par une décision en date du 22 juillet 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à préciser l’étendue du contrôle du juge administratif sur l’appréciation par l’autorité préfectorale d’une suspicion de fraude à la reconnaissance de paternité, ainsi que les critères d’examen du droit au séjour au titre de la vie privée et familiale.
En l’espèce, une ressortissante étrangère, entrée en France en 2012, s’est vu refuser le renouvellement de sa carte de séjour temporaire, sollicitée en qualité de parent d’un enfant français. Elle était mère de trois enfants nés sur le territoire national, dont l’aîné, reconnu par un citoyen français, possédait la nationalité française. L’intéressée était par ailleurs mariée au père de ses deux autres enfants et justifiait d’une intégration professionnelle stable depuis plusieurs années. Le préfet, estimant que la reconnaissance de paternité de l’enfant français était frauduleuse, a assorti son refus de séjour d’une obligation de quitter le territoire français et d’une décision fixant le pays de destination. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Montreuil a, par un jugement du 27 mars 2024, rejeté la demande. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, contestant notamment la qualification de fraude retenue par l’administration et l’atteinte disproportionnée portée à sa vie privée et familiale.
Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si l’administration peut écarter un acte de reconnaissance de paternité en se fondant sur un faisceau d’indices pour caractériser une fraude, et, dans la négative, d’apprécier si le refus de séjour portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressée au regard de l’ensemble de sa situation personnelle.
La cour administrative d’appel répond par la négative sur le premier point, jugeant les éléments avancés par le préfet insuffisants pour établir l’existence d’une fraude. Elle censure en conséquence l’appréciation préfectorale. Examinant ensuite la situation de la requérante au regard de son droit à la vie privée et familiale, elle considère que le refus de séjour est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. La cour annule donc le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral contesté, et enjoint à l’administration de délivrer le titre de séjour sollicité.
La décision commentée illustre d’abord le contrôle rigoureux exercé par le juge sur la qualification de fraude opposée par l’administration (I), avant de réaffirmer la prévalence d’une appréciation globale de la situation personnelle au titre du droit à la vie privée et familiale (II).
I. Le contrôle juridictionnel renforcé de l’exception de fraude
Le juge administratif, tout en reconnaissant la faculté pour l’administration d’écarter un acte frauduleux (A), soumet l’exercice de ce pouvoir à une exigence probatoire stricte (B).
A. La confirmation du pouvoir de l’administration de faire échec à la fraude
La décision rappelle un principe bien établi selon lequel l’adage *fraus omnia corrumpit* permet à l’administration de neutraliser les effets d’un acte de droit privé obtenu par des manœuvres frauduleuses. Le considérant 4 de l’arrêt énonce clairement que « si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l’administration […], il appartient cependant à l’administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d’obtenir l’application de dispositions de droit public, d’y faire échec ». Ce pouvoir s’exerce sans qu’il soit nécessaire pour le préfet d’attendre qu’un juge judiciaire ait préalablement annulé l’acte en question, ici la reconnaissance de paternité.
Cette solution est une application classique d’une jurisprudence constante qui vise à préserver l’ordre public et à empêcher le détournement des dispositions du droit au séjour. En matière de filiation, le Conseil d’État a déjà admis que l’autorité administrative puisse refuser un titre de séjour si elle établit que la reconnaissance d’un enfant a été souscrite à seule fin d’obtenir un avantage en matière de séjour ou de nationalité. L’arrêt commenté s’inscrit dans cette lignée en confirmant que l’opposabilité de principe de la reconnaissance de paternité cède lorsque l’intention frauduleuse est démontrée, et ce, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir.
B. La censure d’une caractérisation de la fraude insuffisamment étayée
Si le principe de l’exception de fraude est réaffirmé, sa mise en œuvre est cependant encadrée. La cour administrative d’appel procède à une analyse factuelle détaillée pour vérifier que la preuve de la fraude est rapportée par l’administration. Le préfet fondait sa conviction sur deux éléments : la pluralité de reconnaissances paternelles effectuées par le même homme au bénéfice de mères étrangères et une incohérence supposée entre la date de conception de l’enfant et la date d’entrée en France de la requérante.
Or, le juge considère que ces indices ne constituent pas des preuves suffisantes. D’une part, il estime que « la seule circonstance que [l’auteur de la reconnaissance] a reconnu, entre 2014 et 2021, trois enfants de mères différentes […] ne suffit pas, à elle seule, à établir l’existence d’une fraude ». D’autre part, il réfute l’argument tiré de la date de conception, le jugeant hypothétique. En relevant enfin que le signalement au procureur de la République n’a débouché sur aucune poursuite pénale, la cour achève de démontrer la faiblesse des éléments à charge. Par ce contrôle approfondi, le juge administratif s’assure que la suspicion ne supplante pas la preuve, protégeant ainsi la sécurité juridique des actes d’état civil et la situation des administrés.
II. La protection subsidiaire de la vie privée et familiale
Une fois l’accusation de fraude écartée, la cour examine le droit au séjour de la requérante non plus sous l’angle du droit de plein droit, mais sous celui de l’appréciation générale de sa situation (A), ce qui la conduit à une application protectrice du droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. Le mécanisme d’examen subsidiaire de la situation personnelle
L’arrêt fait une application précise des dispositions de l’article L. 423-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte prévoit que, même lorsque la contribution du parent français à l’entretien et à l’éducation de l’enfant n’est pas rapportée, le droit au séjour du demandeur doit être apprécié « au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant ». La cour active ce mécanisme de secours en constatant qu’il n’était « pas établi que le père du jeune […] participerait effectivement à l’entretien et à l’éducation de ce dernier ».
Cette démarche illustre la volonté du législateur de ne pas faire de la contribution parentale une condition absolument dirimante. Elle impose à l’administration un examen au cas par cas, l’obligeant à mettre en balance l’ensemble des éléments de la situation de l’étranger avec les motifs qui pourraient justifier un refus de séjour. Le juge s’assure ainsi que le préfet ne s’est pas arrêté à la seule absence d’un critère pour rejeter la demande, mais a bien procédé à l’analyse globale requise par la loi.
B. La consécration d’une appréciation d’ensemble favorable à l’intégration
Le considérant 6 de l’arrêt détaille les éléments concrets qui fondent la censure de la décision préfectorale pour erreur manifeste d’appréciation. La cour dresse un bilan complet et positif de la situation de l’intéressée. Elle relève ainsi « l’ancienneté de son séjour », sa présence continue en France depuis plus de dix ans, son « insertion sociale et professionnelle », marquée par une formation réussie et un emploi stable en contrat à durée indéterminée dans un secteur en tension, ainsi que l’ensemble de ses attaches familiales sur le territoire. La présence de trois enfants, dont l’aîné est français et scolarisé, et la stabilité du couple qu’elle forme avec son époux, lui-même intégré professionnellement, sont mises en exergue.
En procédant à cette pesée des intérêts, la cour estime que le refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de la requérante, protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette décision, bien que d’espèce, souligne la force des critères d’intégration et la nécessité pour l’administration d’apprécier les situations dans leur globalité, en tenant compte de la stabilité des liens créés au fil des années sur le territoire national.