Par un arrêt en date du 22 juillet 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur le refus d’octroi d’un titre de séjour sollicité par une ressortissante étrangère pour raisons médicales. En l’espèce, une ressortissante ivoirienne, entrée sur le territoire français en 2019, souffre de multiples pathologies, notamment une infection par le virus de l’immunodéficience humaine, un glaucome et une hypertension artérielle, nécessitant un suivi médical lourd et constant. Elle a sollicité la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté du 4 décembre 2023, le préfet de police a rejeté sa demande, assortissant sa décision d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, de la fixation du pays de destination et d’une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. La requérante a saisi le tribunal administratif de Paris, qui, par un jugement du 12 juin 2024, a rejeté sa demande. Elle a interjeté appel de ce jugement, et la cour, constatant que les premiers juges avaient omis de répondre à certains moyens, a annulé leur décision puis a évoqué l’affaire pour statuer directement sur le fond du litige. Il s’agissait donc pour la cour de déterminer si l’existence d’un traitement approprié dans le pays d’origine, s’entendant de traitements thérapeutiquement équivalents mais non strictement identiques à ceux prescrits en France, fait obstacle à la délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative et rejette la requête, considérant que la disponibilité de molécules de substitution et d’un suivi médical adapté dans le pays d’origine justifiait légalement le refus de séjour opposé par l’administration. La solution retenue, si elle s’inscrit dans une jurisprudence établie, mérite une analyse approfondie quant à l’interprétation du critère de l’accès effectif aux soins (I), tout en interrogeant sur le rôle précis du juge dans l’appréciation de situations humaines complexes (II).
I. Une interprétation stricte de la condition d’accès effectif au traitement
La cour administrative d’appel, pour rejeter la demande de la requérante, confirme une appréciation concrète de l’accès au traitement dans le pays d’origine (A), ce qui justifie par voie de conséquence la légalité des mesures d’éloignement (B).
A. La disponibilité d’un traitement approprié mais non identique
La décision commentée s’appuie sur une lecture rigoureuse de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte subordonne la délivrance d’un titre de séjour pour un étranger malade à une double condition : que son état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut aurait des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il ne puisse bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine. La cour rappelle la fonction du juge administratif en la matière, qui est de « s’assurer, eu égard à la pathologie de l’intéressé, de l’existence d’un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d’y avoir accès, et non rechercher si les soins dans le pays d’origine sont équivalents à ceux offerts en France ». En l’espèce, la requérante soutenait que plusieurs médicaments essentiels à son traitement, notamment des antirétroviraux, des antihypertenseurs et des collyres spécifiques, n’étaient pas disponibles en Côte d’Ivoire.
Toutefois, la cour ne se contente pas de cette allégation. Elle procède à une analyse détaillée et comparative, relevant que si les molécules exactes prescrites en France ne sont pas toutes commercialisées en Côte d’Ivoire, « d’autres inhibiteurs d’intégrase et de l’angiotensine II ainsi que d’autres diurétiques, antidépresseurs et collyres destinés à diminuer la tension intraoculaire figurent sur la liste des médicaments essentiels en Côte d’Ivoire (…) et présentent la même portée thérapeutique ». Cette approche consacre la notion d’équivalence thérapeutique plutôt que d’identité médicamenteuse. Le juge administratif considère ainsi que la condition d’absence de traitement approprié n’est pas remplie dès lors qu’existent des alternatives médicalement pertinentes et accessibles. Cette interprétation place une charge probatoire significative sur le requérant, qui doit alors démontrer en quoi les traitements de substitution ne seraient pas adaptés aux « particularités des pathologies pour lesquelles elle doit suivre ces traitements ».
B. La validation consécutive des mesures d’éloignement
La légalité du refus de titre de séjour étant établie, la cour en tire logiquement les conséquences sur les autres décisions contestées. La décision portant obligation de quitter le territoire français, prise en application de ce refus, est jugée légale par exception d’illégalité écartée. De plus, la cour examine si cette obligation est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de la situation personnelle de la requérante. Elle conclut par la négative en relevant que l’intéressée, célibataire sans charge de famille en France et n’établissant pas une absence d’attaches dans son pays d’origine, ne justifie pas d’une intégration telle que la mesure porterait une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.
De même, la décision fixant le pays de renvoi est validée au regard de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ayant préalablement établi que la requérante pouvait bénéficier d’un traitement approprié, le juge écarte le risque d’un traitement inhumain ou dégradant qui résulterait d’une interruption des soins. Enfin, l’interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois est également jugée proportionnée. La cour note que l’administration a bien tenu compte des critères légaux, notamment la durée de présence, les liens en France, mais aussi le fait que la requérante « s’est soustraite à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement prononcée à son encontre le 8 février 2022 ». Cette rigueur dans l’enchaînement des raisonnements illustre le caractère systémique du contentieux du droit des étrangers, où la légalité d’une décision initiale conditionne souvent celle des mesures qui en découlent.
Cette application stricte des textes révèle l’étendue du contrôle opéré par le juge, dont l’office se trouve au cœur de l’équilibre entre la protection de l’étranger et les prérogatives de l’administration.
II. La portée du contrôle juridictionnel en matière de contentieux médical des étrangers
L’arrêt illustre le rôle central du juge administratif dans l’appréciation des situations médicales complexes (A), tout en confirmant le caractère factuel d’une décision dont la portée reste limitée à l’espèce (B).
A. L’office du juge face à l’avis médical de l’OFII
La décision commentée met en lumière l’intensité du contrôle exercé par le juge administratif sur l’avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Bien que cet avis constitue un élément central de la décision du préfet, il ne lie pas le juge, qui doit se forger sa propre conviction. La cour précise que si le demandeur conteste cet avis, « il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l’ensemble des éléments pertinents ». Dans cette affaire, la cour ne s’est pas limitée à entériner l’avis négatif de l’OFII. Elle a examiné en détail les certificats médicaux produits par la requérante, la liste des pathologies, les traitements prescrits, et les a confrontés aux informations disponibles sur l’offre de soins en Côte d’Ivoire.
Cet examen approfondi montre que le juge ne se cantonne pas à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, mais effectue un véritable contrôle normal de la qualification juridique des faits. Il vérifie de manière concrète et précise si l’administration, en se fondant sur l’avis de l’OFII, a correctement appliqué les critères de la loi. La cour va jusqu’à refuser d’ordonner la production de documents supplémentaires, estimant qu’au vu des pièces versées au débat contradictoire, elle disposait des éléments suffisants pour statuer. Cette démarche fait du juge administratif le garant d’un équilibre délicat entre la souveraineté de l’État en matière de maîtrise de ses frontières et l’impératif de protection des droits fondamentaux de l’étranger, notamment son droit à la santé et à la vie.
B. Une décision d’espèce réaffirmant les exigences probatoires
Si l’analyse menée par la cour est approfondie, la solution retenue n’en demeure pas moins une décision d’espèce, fortement conditionnée par les faits qui lui étaient soumis. L’arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni ne pose un principe nouveau. Il s’inscrit dans le courant jurisprudentiel bien établi qui exige de l’étranger qui sollicite une protection pour raison de santé qu’il apporte des éléments précis et circonstanciés pour contester l’avis de l’OFII et démontrer l’impossibilité d’un accès effectif au soin. La cour souligne à plusieurs reprises les défaillances probatoires de la requérante, qui « n’apporte pas d’éléments relatifs aux particularités des pathologies (…) propres à établir que ces molécules ne seraient pas substituables » ou qui se prévaut d’« éléments d’ordre général » sur la situation sanitaire de son pays.
La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique. Il rappelle aux justiciables et à leurs conseils l’exigence de précision et de documentation des requêtes dans ce type de contentieux. Les allégations générales, même relatives à des situations humaines difficiles, sont jugées insuffisantes pour renverser la présomption de régularité qui s’attache à l’avis des experts médicaux de l’OFII et à la décision préfectorale qui s’ensuit. Par conséquent, loin de modifier l’état du droit, cette décision en constitue une illustration rigoureuse, confirmant que le droit au séjour pour raisons de santé, s’il est une protection essentielle, demeure subordonné à des conditions strictes dont le respect est minutieusement contrôlé par le juge administratif.