Cour d’appel administrative de Paris, le 22 juillet 2025, n°24PA04135

Un ressortissant algérien, entré en France en 2021 alors qu’il était mineur et y séjournant depuis de manière irrégulière, a fait l’objet, peu après sa majorité, de plusieurs arrêtés du préfet de police en date du 2 juillet 2024. Ces décisions lui enjoignaient de quitter le territoire français sans délai, fixaient son pays de renvoi, prononçaient une interdiction de retour de vingt-quatre mois et ordonnaient son signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen. L’intéressé, qui présentait un parcours marqué par une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, des troubles de santé et plusieurs condamnations pénales, a saisi le tribunal administratif de B… d’une demande d’annulation de ces mesures. Par un jugement du 6 septembre 2024, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant de nombreux moyens tenant tant à la régularité du jugement de première instance qu’à la légalité des décisions préfectorales. Il invoquait notamment une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, une méconnaissance de l’examen de sa situation personnelle et un risque de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine. Il appartenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si la situation de vulnérabilité d’un jeune majeur, caractérisée par son état de santé et son passé sous protection de l’enfance, était de nature à faire obstacle à des mesures d’éloignement motivées par l’irrégularité de son séjour et par une menace pour l’ordre public. Par un arrêt en date du 22 juillet 2025, la cour administrative d’appel de B… rejette la requête, considérant que ni la situation personnelle et familiale de l’intéressé, ni son état de santé ne justifiaient l’annulation des décisions contestées, eu égard notamment à la faiblesse de son intégration et à son parcours délinquant. L’appréciation de la légalité de ces mesures d’éloignement par le juge administratif repose ainsi sur une application rigoureuse des critères légaux, où la menace à l’ordre public constitue un élément déterminant (I), conduisant à une portée restreinte des facteurs de vulnérabilité personnelle dans l’exercice du contrôle de proportionnalité (II).

I. La validation d’une appréciation stricte du droit au séjour

La cour administrative d’appel confirme la position du préfet en validant une approche restrictive du droit au séjour de l’étranger, que ce soit au regard de son droit à une vie privée et familiale (A) ou de son état de santé (B).

A. Le rejet d’une protection au titre de la vie privée et familiale

La décision commentée applique avec rigueur les critères d’appréciation du droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Face à un requérant entré en France depuis moins de trois ans, le juge relève d’emblée le « caractère relativement récent de sa présence sur le territoire français ». Cette faible ancienneté du séjour constitue un élément essentiel dans la balance des intérêts en présence. De plus, la cour souligne que l’intéressé est « célibataire et sans charge de famille en France », ce qui limite la consistance de ses liens familiaux sur le territoire national. Si un accompagnement par l’aide sociale à l’enfance et la signature d’un contrat jeune majeur témoignaient d’une volonté d’intégration, le juge oppose à ces éléments l’échec des formations entreprises et l’absence de « projet professionnel sérieux ». L’analyse de l’insertion sociale et professionnelle est donc sévère, neutralisant les efforts de prise en charge institutionnelle. Surtout, la cour met en exergue le parcours judiciaire du requérant, marqué par deux condamnations pénales et de multiples signalisations pour des faits de vol. Ces éléments factuels, qui caractérisent une menace pour l’ordre public, pèsent lourdement dans l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence dans sa vie privée et familiale.

B. L’indifférence de l’état de santé en l’absence de carence avérée du pays d’origine

Le requérant invoquait également son état de santé, faisant valoir un suivi pour diverses addictions et des troubles psychologiques, pour s’opposer à son éloignement. Sur ce point, la cour examine les moyens au regard des stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du 7e alinéa de l’article 6 de l’accord franco-algérien. La jurisprudence en la matière exige, pour faire obstacle à une mesure d’éloignement, que l’étranger démontre qu’il ne pourrait pas « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans son pays d’origine. La charge de la preuve repose donc entièrement sur le requérant. En l’espèce, bien que la réalité du suivi médical et de la polymédication en France soit établie par de nombreuses pièces, le juge estime que la production d’un simple article de presse sur les intentions des autorités sanitaires algériennes est insuffisante pour prouver l’indisponibilité des soins requis en Algérie. Le raisonnement de la cour est constant et rappelle l’exigence d’une preuve de carence avérée du système de santé du pays de renvoi. Faute de cette démonstration, l’état de santé, aussi préoccupant soit-il, ne saurait à lui seul justifier un droit au séjour et faire échec à la mesure d’éloignement.

II. La portée limitée des éléments de vulnérabilité dans le contrôle de proportionnalité

L’analyse de la cour révèle que les facteurs de vulnérabilité du requérant sont relégués au second plan face aux impératifs d’ordre public. Cette approche se manifeste d’abord dans la manière dont la menace à l’ordre public est employée de façon différenciée selon les décisions contestées (A), pour ensuite justifier la sévérité des mesures accessoires à l’obligation de quitter le territoire (B).

A. La neutralisation du critère de la menace à l’ordre public pour la légalité de l’OQTF

De manière très technique, le juge écarte comme inopérants les moyens du requérant contestant les erreurs de fait relatives à sa dangerosité pour fonder l’obligation de quitter le territoire. En effet, la cour relève que le préfet a fondé cette mesure principale sur le seul fondement du 1° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à savoir le maintien sur le territoire sans titre de séjour après une entrée irrégulière. Le préfet n’ayant pas explicitement invoqué la menace à l’ordre public pour cette décision précise, les arguments visant à contester cette menace sont sans effet sur sa légalité. Ce faisant, le juge administratif opère une distinction subtile mais fondamentale entre les différents actes de la procédure d’éloignement. Cette dissociation permet de consolider la légalité de l’obligation de quitter le territoire français sur une base factuelle incontestée, l’irrégularité du séjour, tout en réservant l’examen de la dangerosité de l’individu aux autres mesures qui en découlent, pour lesquelles ce critère est explicitement prévu par la loi. La vulnérabilité ou la situation personnelle de l’étranger ne peuvent donc être utilement opposées qu’au travers du contrôle de proportionnalité, et non pour contester le fondement même de la mesure d’éloignement.

B. La justification de la sévérité des mesures accessoires par le parcours délinquant

Si la menace à l’ordre public était inopérante pour l’obligation de quitter le territoire, elle devient en revanche un motif central et opérant pour justifier le refus d’un délai de départ volontaire et le prononcé d’une interdiction de retour. Pour la première mesure, la cour estime que le préfet a « exactement apprécié son comportement en considérant qu’il était constitutif d’une menace pour l’ordre public », se fondant sur la récidive et le nombre de signalisations. De même, pour fixer la durée de l’interdiction de retour à vingt-quatre mois, le juge prend en compte non seulement la faible intégration de l’intéressé, mais aussi et surtout « la circonstance que son comportement est constitutif d’une menace pour l’ordre public ». Le parcours délinquant devient ainsi la pierre angulaire justifiant la rigueur de l’ensemble du dispositif d’éloignement. Les éléments de vulnérabilité, tels que le jeune âge, le suivi médical ou le passé en foyer, bien que mentionnés, ne suffisent pas à emporter la conviction du juge pour atténuer la portée de ces mesures. L’arrêt illustre ainsi une hiérarchisation claire des intérêts en présence, où la protection de la société l’emporte sur les considérations humanitaires individuelles lorsque le comportement de l’étranger est jugé menaçant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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