La décision soumise à commentaire, rendue par une cour administrative d’appel le 22 mai 2025, porte sur l’étendue des garanties procédurales offertes au contribuable lors d’un contrôle fiscal, et plus spécifiquement sur les conséquences d’un défaut de réponse de l’administration à une demande de recours hiérarchique.
En l’espèce, un contribuable a fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2013, 2014 et 2015, résultant de la réintégration de revenus réputés distribués par plusieurs sociétés dont il était l’associé gérant. Le tribunal administratif de Paris, saisi par le contribuable, a prononcé la décharge de l’ensemble de ces impositions par un jugement du 6 avril 2023. Le ministre de l’économie et des finances a alors interjeté appel de cette décision, demandant le rétablissement des impositions pour les trois années concernées. Il soutenait notamment que la garantie du recours hiérarchique n’était pas applicable à la procédure de contrôle sur pièces menée pour l’année 2015, et que pour les autres années, le contribuable n’avait pas été privé d’une garantie substantielle, contestant la réalité de sa demande et la persistance d’un désaccord. Le contribuable a, pour sa part, conclu au rejet de la requête ministérielle.
La question de droit posée à la cour était donc de déterminer si le refus de l’administration de donner suite à la demande d’entretien avec un supérieur hiérarchique, formulée par un contribuable à la suite de la réponse à ses observations, constituait une violation d’une garantie substantielle de nature à vicier la procédure d’imposition, et si cette conclusion pouvait varier en fonction de la nature du contrôle et des échanges ultérieurs entre les parties.
Par son arrêt, la cour administrative d’appel réforme partiellement le jugement de première instance. Elle confirme la décharge des impositions pour l’année 2013 au motif que le contribuable a été irrégulièrement privé de la garantie du recours hiérarchique. En revanche, elle annule le jugement en tant qu’il a prononcé la décharge pour les années 2014 et 2015 et rejette la demande du contribuable pour ces deux années, considérant que la garantie n’était pas applicable ou que sa violation n’était pas constituée. La solution retenue par la cour conduit ainsi à examiner la portée de la garantie tenant au recours hiérarchique, avant d’analyser son application différenciée aux années d’imposition concernées.
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L’arrêt rappelle avec précision le périmètre de la garantie que constitue le recours hiérarchique, en distinguant son champ d’application de ses modalités d’exercice. La cour énonce en premier lieu que ce droit, institué par la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, est opposable à l’administration en vertu de l’article L. 10 du livre des procédures fiscales. Cependant, elle en limite la portée aux seules procédures de vérification de comptabilité et d’examen contradictoire de la situation fiscale personnelle. Par conséquent, le juge écarte logiquement l’application de cette garantie pour l’année 2015, qui a fait l’objet d’un simple « contrôle sur pièces ». Cette distinction, classique en droit fiscal, confirme que toutes les procédures de contrôle n’ouvrent pas les mêmes droits au contribuable, la plénitude des garanties étant réservée aux contrôles les plus approfondis. Pour les années 2013 et 2014, le contribuable ayant fait l’objet d’un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, il pouvait utilement se prévaloir des stipulations de la charte.
En second lieu, la décision explicite les conditions temporelles de mise en œuvre de ce recours. Elle rappelle qu’il s’agit d’une « garantie substantielle ouverte à l’intéressé à deux moments distincts de la procédure de rectification ». Le second de ces moments, pertinent en l’espèce, se situe après la réponse de l’administration aux observations du contribuable sur la proposition de rectification, en cas de « persistance d’un désaccord sur le bien-fondé des rectifications envisagées ». L’arrêt se livre également à une appréciation factuelle de l’existence même de la demande de recours. Face à l’argumentation du ministre qui émettait « un doute sur son contenu », la cour accorde une force probante décisive aux éléments matériels produits par le contribuable, notamment l’avis de réception du courrier adressé à l’administration. Elle considère que la demande était suffisamment explicite et valablement adressée, neutralisant ainsi les doutes de l’administration et affirmant la réalité de la démarche initiée par le contribuable.
Une fois le principe et les conditions d’exercice de la garantie établis, la cour procède à une application concrète de ces règles, aboutissant à une solution différenciée selon l’année d’imposition.
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L’application de ces principes au cas d’espèce conduit la cour à sanctionner l’administration pour une année, tout en validant sa procédure pour une autre, sur la base d’une appréciation fine de la notion de « désaccord persistant ».
Pour l’année 2013, le raisonnement du juge est linéaire. Le contribuable a valablement sollicité un recours hiérarchique après avoir reçu la réponse à ses observations et avant la mise en recouvrement de l’imposition. L’administration n’a pas donné suite à cette demande. Dès lors, la cour conclut que le contribuable « a ainsi été privé d’une garantie substantielle, et que les impositions pour la seule année 2013 ont été établies à la suite d’une procédure irrégulière ». Cette solution réaffirme avec force le caractère impératif de cette garantie et la sanction attachée à sa méconnaissance, qui est l’annulation de la procédure et des impositions qui en découlent. Le silence de l’administration face à une demande formelle et recevable est ici jugé comme un manquement dirimant, justifiant pleinement la décharge de l’impôt.
En revanche, la solution retenue pour l’année 2014 est plus nuancée et repose sur l’interprétation d’un échange postérieur à la demande de recours hiérarchique. La cour relève que, le 2 août 2018, l’administration a adressé au contribuable un courrier l’informant d’une diminution des rehaussements initialement envisagés pour cette année. Le contribuable n’a formulé aucune observation en retour. De ce silence, la cour déduit l’absence de « persistance d’un désaccord sur le bien-fondé des rectifications envisagées », ce qui rendait caduque la demande de recours hiérarchique initiale. Cette analyse pragmatique suggère que le désaccord doit non seulement exister au moment de la demande, mais aussi perdurer jusqu’à la clôture de la procédure. Elle implique pour le contribuable une obligation de réitérer son opposition s’il n’est pas satisfait par une proposition de dégrèvement partiel. Cette interprétation, si elle peut paraître rigoureuse, souligne que les garanties procédurales s’inscrivent dans le cadre d’un dialogue contradictoire qui suppose une participation active des deux parties. Le silence du contribuable, après un geste de l’administration, a été interprété comme une acceptation tacite du nouveau montant proposé, rompant ainsi le lien qui justifiait le recours à l’échelon supérieur.