Par un arrêt en date du 22 mai 2025, la cour administrative d’appel de Paris a tranché un litige relatif à la légalité d’une retenue sur traitement pour absence de service fait. En l’espèce, un agent technique titulaire affecté dans une subdivision de la direction de l’équipement des îles Sous-le-Vent s’était vu infliger une suspension de sa rémunération par un arrêté du 13 juillet 2022. L’administration lui reprochait des absences partielles au cours de cinq vendredis entre mars et avril 2022. L’agent avait saisi le tribunal administratif de la Polynésie française, qui avait annulé la décision administrative par un jugement du 14 mars 2023. L’employeur public a alors interjeté appel de ce jugement, estimant que les premiers juges avaient commis une erreur de fait et insuffisamment motivé leur décision, et soutenant avoir rapporté la preuve de l’absence de service fait de son agent. Ce dernier, en défense, concluait au rejet de la requête en affirmant que ses heures de service avaient bien été accomplies. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si la preuve de l’absence de service fait pouvait être considérée comme rapportée par l’administration, alors même que l’agent produisait des éléments probants contraires. La cour administrative d’appel a rejeté la requête de la collectivité publique, confirmant ainsi l’annulation de la sanction pécuniaire. Elle a considéré que les pièces fournies par l’agent permettaient de justifier l’accomplissement du service pour les jours contestés.
Cette décision offre l’occasion de revenir sur les modalités d’administration de la preuve en matière de service fait (I), avant d’analyser la portée d’une solution qui, bien que fondée sur une appréciation factuelle, constitue un rappel à l’ordre pour l’administration (II).
I. L’administration de la preuve du service fait
La cour rappelle d’abord le fondement de la retenue sur traitement, qui est la contrepartie de l’absence de service (A), avant de procéder à une appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoires qui lui étaient soumis (B).
A. Le principe du droit à rémunération après service fait
L’arrêt énonce avec clarté la règle fondamentale qui gouverne la rémunération des agents publics. Se fondant sur les articles 26 et 83 de la délibération portant statut général de la fonction publique de la Polynésie française, il rappelle que les fonctionnaires ont droit, « après service fait », à une rémunération. Cette règle de bon sens, au cœur du statut de la fonction publique, conditionne le versement du traitement à l’exécution effective des obligations de service par l’agent. En conséquence, l’administration est tenue de ne pas verser de rémunération pour une période non travaillée.
La décision commente également le mécanisme de la retenue, en visant l’article 5 de l’arrêté du 26 août 1997. Celui-ci précise que « l’absence de service fait […] pendant une fraction quelconque de la journée donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d’indivisibilité ». La cour en déduit logiquement qu’une telle retenue sur rémunération est conditionnée à la constatation matérielle de l’absence, « sans qu’il soit nécessaire de porter une appréciation sur le comportement de l’agent ». Le juge écarte ainsi toute notion de faute disciplinaire pour se concentrer sur l’objectivité du fait : le service a-t-il été accompli ou non ? C’est sur ce terrain purement factuel que le débat probatoire s’est engagé.
B. L’appréciation souveraine des preuves contradictoires
Face à des allégations opposées, la cour a dû peser la valeur des preuves apportées par chaque partie. L’administration produisait un « tableau de présence » établi par le chef de secteur, qui indiquait que l’agent avait quitté son poste prématurément les jours litigieux. Cependant, les juges d’appel ont relevé une faiblesse majeure dans ce dispositif, notant qu’il « n’implique aucune signature ou aucun pointage de l’agent en cause ». Ce mode de preuve, purement unilatéral, apparaissait donc fragile pour établir de manière irréfutable une absence.
À l’inverse, l’agent a réussi à « renverser cette constatation » en fournissant des éléments jugés plus convaincants. Il a produit une attestation de son chef d’équipe direct, certifiant qu’il avait travaillé toute la journée. Cette pièce maîtresse était de plus « corroborée par les notes journalières de ce chef d’équipe, indiquant des présences jusqu’à 14h00 dans un carnet ». Bien que le juge reconnaisse que ce carnet n’avait pas pour objet officiel de pointer les heures, la concordance de ces deux éléments a suffi à emporter sa conviction et à semer un doute suffisant sur la réalité des absences reprochées. Par une appréciation souveraine des faits, la cour a donc estimé que la preuve du service fait était rapportée par l’agent.
Si la solution retenue s’inscrit dans une logique probatoire classique, son examen révèle néanmoins une portée pratique significative pour les relations entre l’administration et ses agents.
II. La portée d’une solution fondée sur l’analyse factuelle
Cette décision, tout en confirmant une approche protectrice des droits de l’agent (A), doit être interprétée comme une décision d’espèce qui invite l’administration à une meilleure gestion de ses ressources humaines (B).
A. La confirmation d’une solution protectrice pour l’agent
En faisant prévaloir les attestations directes et concordantes produites par l’agent sur un relevé de présence unilatéral, la cour adopte une position pragmatique et équilibrée. Elle rappelle implicitement que si la charge de la preuve de l’absence de service fait incombe à l’administration qui opère la retenue, cette présomption peut être renversée par l’agent. La force probante des documents n’est pas absolue et dépend des garanties d’objectivité qu’ils présentent. Un système de contrôle qui ne permet pas à l’agent de contresigner ou de valider sa présence offre une fiabilité moindre qu’un témoignage direct de son supérieur hiérarchique de proximité.
Cette approche garantit à l’agent public une protection contre un constat d’absence qui pourrait relever de l’arbitraire ou de la simple erreur. En exigeant de l’administration qu’elle se dote d’outils de contrôle fiables et, si possible, contradictoires, le juge administratif renforce la sécurité juridique des agents. La solution n’est pas nouvelle, mais elle réaffirme avec force que la matérialité des faits doit être établie de manière suffisamment certaine avant qu’une mesure financière défavorable ne puisse être prise à l’encontre d’un fonctionnaire.
B. Une décision d’espèce invitant à une meilleure gestion administrative
Il convient de ne pas surinterpréter la portée de cet arrêt. Il s’agit avant tout d’une décision d’espèce, dont la solution est intimement liée aux faits particuliers du dossier : la nature du système de pointage utilisé par l’employeur face à la force des attestations produites par l’agent. La décision ne fixe pas une hiérarchie absolue des modes de preuve et une autre juridiction aurait pu, dans des circonstances différentes, aboutir à une conclusion inverse. L’issue du litige aurait sans doute été différente si l’administration avait utilisé un système de pointage électronique ou des fiches d’heures signées par les agents.
Néanmoins, cette décision constitue une incitation claire pour les employeurs publics à moderniser et fiabiliser leurs méthodes de suivi du temps de travail. Elle souligne les risques contentieux liés à l’utilisation de systèmes de contrôle unilatéraux et potentiellement contestables. En creux, l’arrêt suggère que la mise en place de procédures transparentes et contradictoires est le meilleur moyen pour l’administration de sécuriser ses décisions en matière de retenue sur traitement. La portée de cet arrêt est donc moins normative que pédagogique : elle guide l’administration vers une gestion plus rigoureuse et préventive des litiges.