Cour d’appel administrative de Paris, le 23 mai 2025, n°23PA00133

Par un arrêt en date du 23 mai 2025, la Cour administrative d’appel a tranché une question relative aux modalités d’imputation d’une charge fiscale et au mécanisme de compensation en matière d’impôt sur les sociétés. En l’espèce, une société filiale d’un groupe fiscalement intégré, relevant du secteur de l’assurance, avait constaté au titre de l’exercice clos en 2014 un excédent de provisions. Cet excédent a donné lieu au paiement, en 2015, d’une taxe spécifique. Lors d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a constaté que la société avait déduit cette taxe de son résultat imposable de l’exercice 2015, année de son paiement. Estimant cette déduction irrégulière, l’administration a procédé à une réintégration, conduisant à une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés pour la société mère du groupe.

Saisi d’une demande en décharge de ces impositions, le tribunal administratif de Montreuil, par un jugement du 7 novembre 2022, a rejeté la requête de la société. Cette dernière a alors interjeté appel, soutenant à titre principal que la charge avait été correctement traitée et, à titre subsidiaire, qu’il s’agissait d’une erreur commise de bonne foi justifiant une compensation. L’administration fiscale a conclu au rejet de la requête, arguant du bien-fondé de la rectification opérée. Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si un contribuable ayant déduit à tort une charge au titre d’un exercice non prescrit, à la suite d’une erreur comptable trouvant son origine dans un exercice prescrit, pouvait se prévaloir du mécanisme de la compensation pour neutraliser l’imposition en résultant. La Cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance et accordé la décharge des impositions contestées. Elle a, pour ce faire, précisé le régime de déductibilité de la taxe litigieuse avant de faire application du mécanisme de compensation.

I. La détermination du rattachement de la charge déductible

La Cour a d’abord rappelé les conditions de déductibilité de la taxe sur les excédents de provisions avant de préciser l’exercice fiscal auquel cette charge devait être rattachée, confirmant ainsi son caractère déductible sur le fond pour un exercice antérieur à la modification législative.

A. La confirmation de la déductibilité de principe de la taxe

La solution de l’arrêt repose en premier lieu sur une analyse rigoureuse des textes applicables à l’époque des faits. La Cour prend soin de viser les articles 39 et 235 ter X du code général des impôts, dans leur rédaction antérieure à la loi de finances rectificative pour 2014. Cette loi a en effet supprimé la déductibilité de cette taxe, mais pour l’avenir. Il ressortait de l’économie de ces dispositions que les impôts à la charge de l’entreprise étaient en principe déductibles de son résultat fiscal. La taxe sur les excédents de provisions, bien que spécifique aux entreprises d’assurance, entrait dans cette catégorie générale des impôts déductibles.

En se fondant sur la version du droit positif applicable à l’exercice de constatation de l’excédent, soit 2014, la Cour confirme que la charge fiscale en cause était bien déductible. Elle écarte ainsi implicitement toute application rétroactive de la loi nouvelle, conformément aux principes de sécurité juridique. Cette première étape du raisonnement permet de poser comme acquis que la société était en droit de déduire cette taxe. La question n’était donc pas celle de la nature de la charge, mais celle de son imputation temporelle, qui conditionnait la légalité du rehaussement opéré par l’administration sur l’exercice 2015.

B. La fixation du fait générateur comme critère d’imputation de la charge

La Cour opère une distinction essentielle entre l’année du paiement de la taxe et l’année de son fait générateur pour déterminer l’exercice de déduction. Elle énonce que pour une taxe ne faisant pas l’objet d’un avis de mise en recouvrement, « l’exercice d’imputation est celui au cours duquel cette taxe revêt pour l’entreprise le caractère d’une dette certaine dans son principe et déterminée quant à son montant ». Or, ce moment survient dès la constatation de l’excédent de provisions.

Le fait générateur de la taxe est donc « la réintégration au résultat imposable d’un exercice de l’excédent des provisions ». Dans le cas présent, cette réintégration ayant eu lieu au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2014, c’est à cet exercice que la taxe devait être rattachée et déduite. En conséquence, sa déduction opérée en 2015, exercice de son paiement, était bien irrégulière. Mais, de manière symétrique, le droit à déduction existait bel et bien, seulement sur un exercice antérieur qui se trouvait prescrit au moment du contrôle. Cette analyse fine permettait d’établir le bien-fondé juridique de la position de l’administration sur l’irrégularité de l’écriture en 2015, tout en ouvrant la voie à la seconde partie du raisonnement.

Dès lors que la déductibilité de la charge était acquise sur l’exercice 2014, l’imposition pratiquée en 2015 par l’administration fiscale trouvait bien son origine dans une erreur. Il restait à la Cour à statuer sur les conséquences à tirer de cette erreur, ce qu’elle a fait en mobilisant les dispositions relatives à la compensation.

II. La neutralisation des effets d’une erreur comptable par la compensation

La Cour admet que la société requérante a commis une erreur comptable, mais elle en tire les conséquences au travers du mécanisme de compensation prévu par le livre des procédures fiscales, ce qui aboutit à la décharge des impositions.

A. L’admission de la compensation au profit du contribuable

La Cour se fonde sur l’article L. 205 du livre des procédures fiscales, qui permet à un contribuable faisant l’objet d’une rectification d’invoquer une surtaxe commise à son préjudice. La société requérante a soutenu avoir commis des erreurs involontaires, ce qui n’a pas été contesté par l’administration. D’une part, elle a déduit à tort une provision en 2014, exercice prescrit. D’autre part, au titre de l’exercice 2015, elle a repris cette provision, ce qui a majoré son résultat imposable, et a déduit la charge fiscale correspondante, ce qui l’a minoré.

L’administration fiscale n’a retenu que ce dernier point pour fonder son rehaussement, en réintégrant la charge déduite à tort. La société a alors demandé à ce que l’erreur soit traitée dans sa globalité. La Cour a accueilli favorablement cette demande. Elle juge que la société « est fondée à demander, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 205 du livre des procédures fiscales, le bénéfice de la compensation entre la réintégration de la somme de 19 388 000 euros (…) au titre de l’exercice clos en 2015 et la surtaxe résultant de la reprise de la provision correspondante au titre de cet exercice ». La compensation permet ainsi de corriger l’omission de l’administration, qui n’avait pas tenu compte de la surtaxe issue de la reprise de provision.

B. Une application équitable de la théorie du bilan

Cette décision illustre la fonction correctrice de la compensation en cas d’erreurs comptables en chaîne. Bien que l’origine de l’erreur se situe dans un exercice prescrit (2014), la Cour accepte de neutraliser ses conséquences sur l’exercice non prescrit (2015). Le rehaussement de l’administration, bien que formellement juste, devenait matériellement inéquitable car il isolait un seul élément d’une opération comptable globale qui était, par ailleurs, neutre pour l’entreprise sur l’exercice 2015. La reprise de la provision augmentait le résultat, tandis que la déduction de la charge le diminuait d’un montant identique.

En acceptant la compensation, la Cour fait une application pragmatique de la théorie du bilan. Elle reconnaît qu’une erreur de comptabilisation ne doit pas conduire à une double peine pour le contribuable de bonne foi. L’annulation de la provision en 2015 a créé un produit imposable qui n’aurait pas dû exister si la charge avait été correctement imputée en 2014. La compensation demandée vient donc logiquement annuler l’effet de ce produit, en contrepartie de l’annulation de la déduction de la charge par l’administration. Cette solution garantit le respect du principe de cohérence de l’imposition des résultats de l’entreprise et constitue une juste appréciation de la situation du contribuable.

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Hassan KOHEN
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