Par un arrêt en date du 23 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé le régime juridique applicable à une sélection professionnelle organisée pour la constitution initiale d’un corps de la fonction publique. Un agent public, chef de service éducatif, s’était porté candidat à une sélection professionnelle visant à intégrer le nouveau corps des cadres éducatifs de la protection judiciaire de la jeunesse. Sa candidature n’ayant pas été retenue, il a saisi la juridiction administrative afin d’obtenir l’annulation de l’arrêté fixant la liste des candidats admis, dont son nom était absent. Le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande par un jugement du 15 septembre 2023. L’agent a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que les modalités de la sélection, fixées par un arrêté du 12 février 2020, méconnaissaient le principe d’égalité d’accès aux emplois publics. Il arguait que la procédure, assimilable selon lui à un concours, prévoyait une audition orale facultative laissée à l’entière discrétion du jury, sans notation ni critères d’admission connus, ce qui créait une rupture d’égalité entre les candidats. Le problème de droit soumis à la cour était donc de déterminer si une sélection professionnelle, fondée sur l’appréciation de l’aptitude des candidats sans établissement d’une liste de classement, doit se conformer aux garanties procédurales strictes des concours, en particulier au principe d’égalité de traitement dans le déroulement des épreuves. La Cour administrative d’appel de Paris a répondu par la négative, jugeant qu’une telle procédure ne constitue pas un concours et que l’autorité administrative dispose par conséquent d’une marge d’appréciation substantielle pour en définir les modalités. Elle a ainsi estimé que la faculté pour le jury d’auditionner certains candidats, si nécessaire à la bonne appréciation de leur dossier, ne violait pas le principe d’égalité. Cette décision clarifie la nature juridique de la sélection professionnelle par rapport au concours, validant une souplesse organisationnelle tout en contrôlant l’absence de discrimination.
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I. La distinction confirmée entre sélection professionnelle et concours
La Cour fonde son raisonnement sur une qualification juridique précise de la procédure de recrutement, ce qui conditionne entièrement le régime de droit applicable. Elle établit une nette séparation entre la sélection professionnelle d’aptitude et le concours, reconnaissant à l’administration une latitude significative dans l’organisation de la première.
A. La qualification de la procédure comme critère déterminant du régime applicable
La juridiction administrative rappelle que la nature d’une procédure de recrutement détermine les principes qui la gouvernent. En l’espèce, la Cour prend soin de distinguer la sélection professionnelle litigieuse d’un concours au sens traditionnel du droit de la fonction publique. Elle relève que la procédure « ne repose pas sur une appréciation comparative des mérites respectifs des différents candidats et ne donne ainsi pas lieu à un classement de ces derniers ». Son objet unique est de « vérifier les compétences professionnelles des candidats, à savoir leur aptitude à exercer les fonctions nouvellement dévolues ». Cette analyse permet d’écarter le corpus de règles rigoureuses qui encadre les concours, dont l’objectif est de classer des candidats en vue d’attribuer un nombre limité de places. La démarche du juge est ici essentielle, car c’est de cette qualification que découle l’ensemble de la solution. En refusant d’assimiler les deux notions, la Cour administrative d’appel ancre sa décision dans une logique fonctionnelle : le régime juridique doit s’adapter à la finalité de la procédure.
B. La validation d’une marge d’appréciation substantielle pour l’autorité organisatrice
Découlant de cette qualification, la Cour reconnaît que le pouvoir réglementaire disposait d’une « marge d’appréciation substantielle pour définir ces modalités d’organisation ». Cette liberté inclut la possibilité de prévoir une audition orale pour certains candidats et non pour d’autres. L’arrêté ministériel organisant la sélection précisait en effet que la commission « peut auditionner, pendant une durée de 25 minutes, tout ou partie des candidats si elle l’estime nécessaire, pour la bonne appréciation du dossier de candidature ». La Cour valide ce mécanisme en soulignant qu’il ne s’agit pas d’une épreuve d’évaluation comparative, mais d’un simple outil destiné à éclairer la commission. L’absence de notation de cette audition est d’ailleurs un indice de sa nature non sélective. En conséquence, les principes de l’harmonisation des notes ou de la communication préalable d’un coefficient ne trouvent pas à s’appliquer, privant les moyens du requérant de leur pertinence.
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II. La portée de la solution au regard du principe d’égal accès aux emplois publics
Après avoir posé la distinction fondamentale entre sélection et concours, la Cour en tire les conséquences au regard du principe d’égalité, offrant une interprétation pragmatique de ce dernier. La solution retenue a des implications notables pour les futures procédures de recrutement qui dérogent au modèle classique du concours.
A. Une application pragmatique du principe d’égalité
La Cour ne se contente pas d’écarter le principe d’égalité au motif que la procédure n’est pas un concours ; elle en contrôle l’application d’une manière adaptée au contexte. Le principe n’est pas méconnu dès lors que l’audition facultative « concerne indistinctement tous les candidats » et que sa finalité est uniquement de « permettre aux membres de la commission de parvenir à la meilleure appréciation possible de chaque dossier de candidature ». L’égalité de traitement ne signifie donc pas une identité absolue des modalités d’examen pour chaque candidat, mais plutôt que tous soient soumis aux mêmes règles et que toute différence de traitement soit justifiée par les besoins de l’évaluation. Par ailleurs, la Cour s’appuie sur des éléments factuels pour écarter l’accusation de discrimination indirecte. Elle relève, sur la base des « données chiffrées produites par le garde des sceaux », que des candidats n’ayant pas validé une formation spécifique ont bien été admis, ce qui contredit l’allégation d’une éviction systématique. Cette approche factuelle démontre que le contrôle du juge ne se limite pas à une analyse abstraite des textes mais s’étend à leur mise en œuvre concrète.
B. Les implications pour l’avenir des procédures de recrutement dérogatoires
Cet arrêt offre une sécurité juridique aux administrations souhaitant mettre en place des voies d’accès ou de promotion fondées sur la reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle. Il valide un mode de sélection plus souple, adapté à des situations particulières comme la constitution initiale d’un corps, où il s’agit moins de départager des candidats que de vérifier une aptitude. La solution n’ouvre cependant pas la voie à l’arbitraire. Le juge administratif conserve un pouvoir de contrôle sur ces procédures. Il pourrait sanctionner une différence de traitement qui ne serait pas justifiée par la nécessité d’apprécier un dossier ou qui reposerait sur des critères étrangers à l’aptitude professionnelle. La décision, bien que s’inscrivant dans le cadre d’une espèce particulière, renforce ainsi une tendance à la diversification des modes de recrutement dans la fonction publique. Elle dessine les contours d’un droit de la sélection professionnelle qui, tout en étant moins formel que celui des concours, n’en demeure pas moins soumis au respect des principes fondamentaux du droit public.