Cour d’appel administrative de Paris, le 23 mai 2025, n°23PA04684

Un agent de la protection judiciaire de la jeunesse, candidat à l’intégration d’un nouveau corps de cadres éducatifs, n’a pas été retenu au terme d’une sélection professionnelle. L’arrêté fixant la liste des candidats admis ne comportant pas son nom, l’agent a saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande d’annulation de cette décision. Par un jugement du 15 septembre 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La requérante a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la procédure de sélection était irrégulière. Elle arguait principalement que l’arrêté organisant cette sélection prévoyait la possibilité pour la commission de procéder à une audition orale facultative de certains candidats, à sa libre discrétion et sans notation, ce qui constituait selon elle une rupture du principe d’égalité d’accès aux emplois publics. La question de droit posée à la Cour administrative d’appel était donc de savoir si une sélection professionnelle, qui n’est pas un concours, peut légalement comporter une audition orale facultative laissée à l’appréciation du jury sans méconnaître le principe d’égalité entre les candidats. Par un arrêt du 23 mai 2025, la Cour administrative d’appel a rejeté la requête. Elle a jugé que la procédure litigieuse n’étant pas un concours mais une sélection professionnelle visant à apprécier l’aptitude des candidats, les règles strictes du droit des concours ne s’appliquaient pas. Par conséquent, l’audition facultative, destinée uniquement à éclairer la commission sur certains dossiers, ne constituait pas une épreuve et ne portait pas atteinte au principe d’égalité.

La Cour fonde sa décision sur une distinction nette entre la sélection professionnelle et le concours, ce qui justifie l’application d’un régime juridique assoupli (I). Cette solution pragmatique consacre une conception substantielle de l’égalité des candidats, tout en encadrant la souplesse accordée à l’administration (II).

I. La qualification de sélection professionnelle, clé de la validation de la procédure

Pour écarter les moyens de la requérante, la Cour s’attache d’abord à qualifier juridiquement le processus de recrutement, le distinguant d’un concours et en déduisant la légalité de ses modalités spécifiques.

A. L’exclusion du régime strict du concours

La Cour administrative d’appel énonce clairement que la procédure en cause n’est pas soumise aux principes régissant les concours de la fonction publique. Elle retient en effet que « cette sélection n’est pas assimilable à un concours dès lors qu’elle ne repose pas sur une appréciation comparative des mérites respectifs des différents candidats et ne donne ainsi pas lieu à un classement de ces derniers ». Le raisonnement du juge s’appuie sur la finalité même du processus : il ne s’agit pas de classer des lauréats en fonction de leurs mérites relatifs pour pourvoir un nombre limité de postes, mais de vérifier l’aptitude de chaque candidat à exercer les fonctions spécifiques du nouveau corps.

Cette distinction est déterminante, car elle soustrait la procédure aux exigences traditionnelles du droit des concours, telles que l’anonymat des copies ou l’identité des épreuves pour tous les candidats. Le pouvoir réglementaire, en l’occurrence le garde des sceaux, bénéficiait donc, selon la Cour, d’une « marge d’appréciation substantielle pour définir ces modalités d’organisation ». En qualifiant la procédure de sélection professionnelle, la Cour légitime ainsi un cadre procédural plus flexible, adapté à l’objectif de vérification des compétences professionnelles plutôt qu’à celui d’une compétition.

B. La légitimation de l’audition facultative comme outil d’appréciation

Découlant logiquement de cette qualification, la Cour valide la modalité la plus contestée par la requérante : l’audition orale laissée à la discrétion de la commission. Le juge considère que cette audition ne constitue pas une épreuve d’évaluation au sens d’un concours. Sa « seule finalité étant de permettre aux membres de la commission de parvenir à la meilleure appréciation possible de chaque dossier de candidature », elle n’a pas à être notée. Par conséquent, les principes corollaires de la notation, comme l’information sur les critères d’évaluation ou l’harmonisation des notes, sont jugés inapplicables.

L’audition est ainsi redéfinie comme un simple instrument d’instruction du dossier, un complément d’information pour la commission lorsque l’examen des pièces écrites ne suffit pas à forger sa conviction. En la privant du statut d’épreuve, la Cour la neutralise sur le plan du principe d’égalité formelle. Dès lors que tous les candidats sont susceptibles d’être auditionnés si la commission « l’estime nécessaire », la différence de traitement qui en résulte n’est qu’apparente, car elle répond à des situations individuelles différentes et poursuit un but légitime d’éclaircissement.

II. La portée de la solution : une appréciation pragmatique de l’égalité des candidats

Au-delà de la simple application des textes, la décision de la Cour révèle une approche pragmatique du principe d’égalité, qui en renforce la dimension substantielle tout en définissant les limites de la souplesse administrative.

A. Le contrôle de l’absence de discrimination indirecte

Bien qu’elle écarte une violation de principe, la Cour ne se dispense pas d’un contrôle concret de la mise en œuvre de la procédure. La requérante soutenait que l’audition facultative avait conduit à une éviction systématique de certains profils de candidats. Face à cette allégation, la Cour examine les données chiffrées produites par l’administration. Elle constate que des candidats n’ayant pas validé une formation spécifique ont bien été retenus, et que seule une minorité des candidats a été auditionnée.

Ce faisant, la Cour passe d’un contrôle abstrait de la légalité du texte à un contrôle concret de ses effets. Elle vérifie que la faculté laissée à la commission n’a pas été utilisée de manière arbitraire ou discriminatoire. En concluant que la requérante « n’est pas fondée à soutenir que les candidats n’ayant pas validé la formation RUE auraient été systématiquement évincés », le juge confirme que la charge de la preuve d’une rupture d’égalité substantielle pèse sur le requérant. Le principe d’égalité n’est donc pas méconnu du seul fait de la différence de traitement, mais seulement si cette dernière procède d’une intention ou d’un effet discriminatoire avéré.

B. La consécration d’une flexibilité encadrée pour l’administration

En validant ce type de procédure, l’arrêt consacre une souplesse notable pour l’administration dans l’organisation des recrutements qui ne prennent pas la forme d’un concours. Cette solution répond à un besoin de modernisation de la gestion des ressources humaines publiques, en permettant des modes de sélection plus qualitatifs et adaptés à l’évaluation de compétences professionnelles complexes. Le recours à un dossier détaillé complété, si besoin, par un entretien, peut être perçu comme plus pertinent qu’une série d’épreuves académiques pour juger de l’aptitude à des fonctions d’encadrement.

Toutefois, cette flexibilité n’est pas un blanc-seing. La Cour rappelle implicitement que le pouvoir discrétionnaire de la commission doit s’exercer en vue de la finalité qui lui a été assignée : la bonne appréciation du dossier. L’absence de notation et de classement n’autorise pas l’arbitraire. La décision demeure soumise au contrôle du juge, qui peut sanctionner un détournement de pouvoir ou une erreur manifeste d’appréciation si un candidat apporte la preuve que la décision de ne pas le retenir ou de ne pas l’auditionner repose sur des motifs étrangers à l’appréciation de son aptitude.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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