Par un arrêt en date du 23 mai 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a statué sur la légalité d’une mesure d’obligation de quitter sans délai le territoire français, assortie d’une interdiction de retour de trois ans, prise à l’encontre d’un ressortissant étranger.
En l’espèce, un ressortissant russe, entré irrégulièrement en France et y résidant depuis plusieurs années, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral lui enjoignant de quitter le territoire. Cette décision intervenait après son interpellation pour des faits de violences conjugales et de menaces de mort. L’intéressé soutenait avoir une compagne titulaire d’un titre de séjour et un enfant commun né en France, arguant d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Melun avait rejeté sa demande par un jugement du 16 février 2024. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens, notamment la violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Il se posait donc à la Cour la question de savoir si une mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale d’un étranger en situation irrégulière, au regard des liens qu’il alléguait entretenir avec sa famille, en dépit de l’absence de preuves suffisantes et de l’existence de poursuites pénales à son encontre. La Cour administrative d’appel de Paris a rejeté la requête, estimant que la décision préfectorale était légalement justifiée et ne constituait pas une ingérence excessive dans les droits du requérant.
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I. Une légalité de la mesure d’éloignement confortée par un contrôle rigoureux
La Cour confirme la validité de l’arrêté préfectoral en s’assurant d’abord de sa régularité formelle et de son autonomie face à la procédure pénale (A), avant de rejeter les arguments relatifs à un risque personnel en cas de retour dans le pays d’origine (B).
A. La double validation de la motivation de l’acte et de son indépendance face à l’autorité judiciaire
Le juge administratif opère un contrôle classique de la motivation de l’acte administratif, qui doit comporter les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. En l’espèce, la Cour estime que le préfet a suffisamment motivé sa décision en visant l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et en mentionnant l’entrée irrégulière du requérant. Elle précise que l’administration n’est pas tenue de répondre à chaque élément de la situation personnelle de l’intéressé, dès lors que les motifs essentiels sont énoncés. Ainsi, l’absence de mention explicite de la convention relative aux droits de l’enfant n’entache pas la décision d’un défaut de motivation, car l’arrêté ne se fondait pas sur ce texte.
Par ailleurs, la Cour réaffirme avec force le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Le requérant invoquait la présomption d’innocence garantie par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en raison d’une convocation devant le tribunal judiciaire pour des faits de violences. La Cour écarte ce moyen en rappelant que les stipulations de cet article « n’ont ni pour objet ni pour effet d’interdire qu’une mesure administrative soit prise à l’égard de personnes faisant l’objet de poursuites pénales ». La mesure d’éloignement, de nature purement administrative, est donc indépendante de l’issue de la procédure pénale.
B. L’absence de démonstration d’un risque personnel et actuel en cas de renvoi
Le requérant soulevait également un risque de violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prohibe la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Il soutenait qu’en cas de retour en Russie, il pourrait faire l’objet d’une mobilisation militaire et être envoyé dans une zone de conflit. La Cour administrative d’appel applique sur ce point sa jurisprudence constante, exigeant la preuve d’un risque à la fois personnel et actuel.
Le juge constate que l’intéressé « ne produit aucun document de nature à établir qu’à la date de la décision contestée, il serait effectivement soumis à une obligation militaire, qu’il ferait l’objet d’une mobilisation certaine en zone de conflit ». La simple allégation d’un risque général encouru par les citoyens de son pays d’origine ne suffit pas à caractériser une situation de vulnérabilité individuelle justifiant une protection contre l’éloignement. Cette approche pragmatique et exigeante en matière de preuve permet au juge de ne pas faire obstacle à l’exécution de mesures d’éloignement sur la base de suppositions.
II. Une appréciation restrictive du droit à la vie privée et familiale fondée sur la carence probatoire
La Cour procède à une analyse concrète de l’atteinte au droit à la vie privée et familiale, où le fardeau de la preuve pèse entièrement sur le requérant. L’insuffisance des éléments fournis pour établir la réalité des liens familiaux (A) conduit logiquement à écarter toute violation des conventions internationales et à justifier la mesure d’interdiction de retour (B).
A. La centralité du fardeau de la preuve dans l’établissement des liens familiaux
L’argument principal du requérant reposait sur l’atteinte disproportionnée à sa vie familiale, protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour examine les pièces versées au dossier et constate l’incapacité de l’intéressé à démontrer la réalité de ses allégations. Concernant la vie maritale, elle relève « l’absence de toute pièce justificative démontrant une adresse commune avec sa compagne ». Cette carence est aggravée par le contexte de son interpellation pour des faits de violences conjugales, qui jette un doute sérieux sur la stabilité et la réalité de la relation.
De même, s’agissant de sa contribution à l’éducation de son enfant, la Cour juge les preuves insuffisantes. Elle écarte « la production de photographies et de quelques factures d’achats de matériel de puériculture » comme étant non probantes. Les virements bancaires à la mère de l’enfant sont également jugés ambigus, car ils ont débuté avant la naissance et leur objet n’est pas précisé. La Cour conclut qu’il « n’établit pas davantage participer régulièrement à l’entretien et à l’éducation de sa fille ». Cette analyse factuelle minutieuse démontre que la seule existence d’un lien de filiation ne suffit pas à constituer une vie familiale au sens de la convention.
B. La justification conséquente des mesures d’éloignement et d’interdiction de retour
Le constat de l’absence de liens privés et familiaux suffisamment stables et anciens en France a une double conséquence. D’une part, il conduit la Cour à écarter les moyens tirés de la violation de l’article 8 de la Convention européenne et de l’article 3-1 de la convention de New York, ce dernier imposant de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant comme une considération primordiale. En l’absence de preuve d’une réelle contribution du père à la vie de l’enfant, le juge estime que l’éloignement de ce dernier ne porte pas une atteinte excessive à son intérêt.
D’autre part, cette appréciation fonde la légalité de l’interdiction de retour sur le territoire français. La Cour vérifie que l’autorité administrative a bien tenu compte des critères prévus par l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment la durée de présence en France, l’ancienneté des liens et la menace pour l’ordre public. Elle valide la décision du préfet qui a considéré que la menace à l’ordre public, matérialisée par les poursuites pénales, et la faiblesse des liens en France justifiaient une interdiction de retour de trois ans, sans que cette durée ne paraisse entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.