Cour d’appel administrative de Paris, le 23 mai 2025, n°24PA02772

L’administration, confrontée à la situation d’un agent public durablement affecté dans son état de santé, doit articuler les garanties statutaires de celui-ci avec les nécessités du service. Dans un arrêt en date du 23 mai 2025, une cour administrative d’appel a précisé les contours de l’obligation de reclassement qui incombe à l’employeur public. En l’espèce, une adjointe administrative titulaire, après plusieurs congés de longue maladie, a fait l’objet d’un arrêté prolongeant son congé à demi-traitement puis la plaçant en disponibilité d’office pour raison de santé dans l’attente de sa mise à la retraite pour invalidité. Cette décision intervenait après l’annulation contentieuse d’un premier arrêté similaire pour un vice de procédure. L’agente a contesté ce nouvel arrêté devant le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande. Saisis en appel, les juges devaient donc se prononcer sur la légalité de cet arrêté, notamment au regard des obligations de l’administration préalables au placement en disponibilité d’office. La requérante soutenait principalement que l’employeur aurait dû rechercher une solution de reclassement avant de prendre une telle mesure. L’administration opposait quant à elle l’inaptitude définitive et totale de l’agente à toute fonction, la dispensant selon elle de cette obligation. Le problème de droit soulevé était donc de savoir si l’administration est tenue de mettre en œuvre une procédure de reclassement avant de placer en disponibilité d’office un fonctionnaire dont l’inaptitude définitive à l’exercice de toutes fonctions a été médicalement constatée. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, jugeant que l’obligation de rechercher un reclassement est sans objet face à une inaptitude physique définitive et absolue. En conséquence, elle a estimé que l’administration n’était pas tenue « de lui proposer un reclassement avant de prononcer son placement en disponibilité d’office pour raison de santé ».

Cette solution, si elle clarifie la procédure applicable, repose sur une application rigoureuse des constats médicaux qui vient borner les garanties offertes aux agents (I). Elle confirme ainsi la portée de l’obligation de reclassement, laquelle est conditionnée par l’existence d’une aptitude résiduelle de l’agent (II).

I. La primauté du constat d’inaptitude définitive sur les garanties procédurales

La décision de la cour administrative d’appel s’articule autour de la force probante de l’avis médical, qui devient le pivot de la solution retenue (A), entraînant une neutralisation de l’obligation de reclassement habituellement applicable (B).

A. Le constat médical comme fondement exclusif de la décision

La cour fonde son raisonnement sur les expertises médicales versées au dossier. Elle relève que l’agente a été « reconnue inapte définitivement à l’exercice de toutes fonctions par le médecin psychiatre agréé dans un rapport du 2 octobre 2019 et par le comité médical dans son avis rendu le 14 mars 2022 ». Ce faisant, le juge administratif entérine la prééminence des avis convergents de l’expert agréé par l’administration et de l’instance médicale collégiale sur les certificats produits par le médecin traitant de la requérante. Ces derniers, bien qu’attestant d’une compatibilité de son état de santé avec une reprise, sont jugés « rédigés en des termes trop imprécis pour remettre en cause le constat opéré ».

Cette hiérarchisation des avis médicaux est classique en contentieux de la fonction publique. L’avis du comité médical, bien que consultatif, revêt une importance particulière et l’administration ne peut s’en écarter que pour des motifs d’intérêt général et sous le contrôle du juge. En l’espèce, le juge considère que l’administration était non seulement en droit de suivre cet avis, mais qu’elle y était tenue, au point que toute autre solution, telle qu’une reprise d’activité, était exclue.

B. La neutralisation conséquente de l’obligation de reclassement

La conséquence directe de cette inaptitude définitive et totale est l’inapplicabilité de l’obligation de reclassement. La cour juge en effet que, face à un tel diagnostic, l’administration « n’était soumise à aucune obligation d’adaptation de poste ou de reclassement et était tenue de refuser toute reprise d’activité ». Le moyen tiré du vice de procédure pour absence de recherche de reclassement est ainsi qualifié d’inopérant.

Cette position s’explique par la finalité même du reclassement. Cette procédure vise à maintenir dans l’emploi un agent devenu inapte à ses fonctions, en lui proposant un autre poste compatible avec son état de santé et son grade. L’obligation suppose donc, pour avoir un sens, qu’une capacité de travail résiduelle existe. Lorsque les expertises concluent à une inaptitude à *toutes* fonctions, la recherche d’un poste adapté devient par définition impossible et la procédure serait vidée de sa substance. La solution de la cour est donc empreinte de pragmatisme et de logique juridique.

II. Une portée limitée de l’obligation de reclassement au détriment de l’agent

L’arrêt, en se fondant sur une interprétation stricte des textes, vient limiter la portée des garanties statutaires de l’agent (A), confirmant ainsi que le reclassement n’est pas un droit absolu mais une mesure subsidiaire face à l’inaptitude (B).

A. Une interprétation stricte des droits statutaires de l’agent

Au-delà de la question du reclassement, la cour examine les autres moyens soulevés avec une rigueur notable. Concernant la demande de placement en congé de longue durée, elle la rejette au motif que l’agente « n’établit pas avoir transmis une demande », ajoutant que l’administration n’était pas tenue à une obligation de conseil à cet égard. De même, s’agissant de la durée de la disponibilité d’office, le juge écarte l’argument d’une décision illégale car à durée indéterminée. Il précise que l’arrêté « n’a ni pour objet, ni pour effet de prendre une décision pour une durée supérieure à un an ».

Cette approche formaliste, si elle est juridiquement fondée, illustre une application restrictive des droits de l’agent. Le juge se refuse à interpréter les démarches de la requérante comme une demande implicite de congé de longue durée et sauve la légalité de l’arrêté en en limitant la portée dans le temps. La protection de l’agent cède ici le pas à une lecture littérale des procédures, renforçant la position de l’administration dès lors que celle-ci s’appuie sur des avis médicaux circonstanciés.

B. La confirmation du caractère subsidiaire du reclassement

En définitive, cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui fait du reclassement une obligation de moyen pour l’administration, mais une obligation conditionnée. Elle confirme que le droit au reclassement n’existe que si l’agent conserve une aptitude, même partielle, à l’exercice de fonctions publiques. L’inaptitude totale et définitive constitue une ligne de partage claire, au-delà de laquelle la protection de l’agent s’efface devant la constatation de son incapacité à servir.

La portée de cet arrêt est donc moins de créer un droit nouveau que de rappeler avec fermeté les limites d’une garantie fondamentale. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits médicaux. Elle rappelle que l’obligation de reclassement a pour but de concilier la protection de la santé de l’agent et les besoins du service public, et non de maintenir à tout prix en activité un fonctionnaire que son état de santé empêche définitivement d’accomplir toute mission.

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