Cour d’appel administrative de Paris, le 23 septembre 2025, n°24PA02421

Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur la légalité d’une autorisation de licenciement d’un salarié protégé accordée par l’inspecteur du travail. En l’espèce, un employeur avait sollicité l’autorisation de licencier pour motif disciplinaire un salarié, délégué syndical et représentant syndical au comité social et économique, lui reprochant une agression avec arme sur un collègue. Le salarié avait constamment nié les faits. Faute de témoin visuel, l’inspecteur du travail s’était fondé sur un faisceau d’indices, dont un enregistrement audio d’une conversation entre les deux salariés, fourni par l’épouse de la victime présumée. Après avoir retiré une première décision implicite de rejet, l’inspecteur du travail avait autorisé le licenciement par une décision du 16 mars 2022. Le salarié protégé a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil, qui, par un jugement du 3 avril 2024, a annulé cette autorisation au motif d’une méconnaissance du principe du contradictoire. L’employeur a interjeté appel de ce jugement, soutenant que l’enregistrement n’avait pas un caractère déterminant et que sa communication aurait pu porter préjudice à son auteur. Il appartenait donc à la cour d’appel de déterminer si le fait pour l’inspecteur du travail de ne pas communiquer au salarié protégé un enregistrement audio qu’il a pourtant estimé être un indice important dans sa prise de décision, entache l’autorisation de licenciement d’illégalité. La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête de l’employeur, confirmant l’annulation de l’autorisation de licenciement. Elle juge que l’enregistrement audio, sur lequel l’inspecteur du travail s’est appuyé pour établir l’existence d’une dispute et corroborer un autre témoignage, constituait un élément déterminant de sa décision. Par conséquent, en ne mettant pas le salarié à même d’en prendre connaissance, l’inspecteur du travail a méconnu le caractère contradictoire de son enquête et a ainsi privé le salarié d’une garantie.

L’arrêt réaffirme avec force l’exigence du respect du principe contradictoire dans l’enquête administrative préalable au licenciement d’un salarié protégé (I), sanctionnant logiquement une autorisation fondée sur une appréciation des faits nécessairement faussée par cette irrégularité (II).

I. La réaffirmation du principe du contradictoire comme garantie fondamentale

La décision de la Cour administrative d’appel rappelle que le respect du principe du contradictoire impose une communication des éléments déterminants recueillis par l’autorité administrative (A), tout en appliquant une interprétation stricte des exceptions à cette communication (B).

A. L’obligation de communication des pièces déterminantes

L’enquête menée par l’inspecteur du travail, préalable à toute autorisation de licenciement d’un salarié protégé pour faute, est encadrée par le code du travail et doit respecter un caractère contradictoire. Cette procédure impose à l’autorité administrative de permettre à l’employeur comme au salarié de prendre connaissance de l’ensemble des pièces du dossier. La Cour administrative d’appel, se fondant sur une jurisprudence constante, précise que cette obligation vise les éléments qui présentent un caractère déterminant pour la décision à prendre. En l’espèce, l’inspecteur du travail, face à des faits contestés et en l’absence de preuves directes, a forgé sa conviction sur un faisceau d’indices. Parmi ceux-ci figurait un enregistrement audio. L’arrêt souligne que cet enregistrement a été jugé crucial par l’inspecteur lui-même, retenant que « l’écoute de l’enregistrement audio par l’inspecteur du travail a constitué pour lui un indice important de la réalité matérielle des faits reprochés », car il lui a permis « d’affirmer qu’une vive dispute avait effectivement opposé les deux salariés ce soir-là » et qu’il venait « appuyer le témoignage de l’épouse du salarié se disant victime ». Dès lors que l’administration fonde, même partiellement, son raisonnement sur une pièce, celle-ci acquiert un caractère déterminant, ce qui déclenche l’obligation de la porter à la connaissance des parties afin qu’elles puissent utilement la discuter.

B. L’interprétation stricte des dérogations au principe

Le principe de communication contradictoire des pièces connaît une exception, elle-même rappelée par la cour : lorsque la communication de certains éléments serait « de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués », l’inspecteur du travail peut se borner à informer les parties de leur teneur. L’employeur tentait en l’espèce de se prévaloir de cette exception pour justifier la non-communication de l’enregistrement au salarié protégé. La cour écarte cependant cet argument de manière péremptoire, relevant que l’employeur n’étaye aucunement ses dires. Elle considère que « la communication de cet enregistrement n’était pas de nature à porter gravement préjudice au salarié se disant victime ou à l’épouse de celui-ci ». Cette position illustre que l’exception au principe du contradictoire est d’interprétation stricte. La seule allégation d’un risque de préjudice ne suffit pas à justifier la rétention d’une pièce déterminante ; la partie qui invoque cette exception doit démontrer le caractère grave et certain du préjudice encouru. En l’absence d’une telle démonstration, le principe de la contradiction retrouve toute sa force, la protection des droits de la défense du salarié primant sur une crainte hypothétique.

La violation du caractère contradictoire de l’enquête, ainsi caractérisée par la non-communication d’un élément de preuve essentiel, conduit inévitablement à vicier l’appréciation des faits par l’inspecteur du travail.

II. La sanction d’une appréciation des faits viciée

En confirmant l’annulation prononcée par les premiers juges, la Cour administrative d’appel sanctionne une autorisation de licenciement qui reposait sur un faisceau d’indices fragilisé (A), dont l’appréciation a été faussée, ce qui conduit à faire prévaloir le doute en faveur du salarié protégé (B).

A. La fragilité d’un faisceau d’indices indirects

Pour autoriser le licenciement, l’inspecteur du travail doit acquérir la conviction que les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante. En l’absence de témoin direct de l’agression alléguée, sa décision reposait entièrement sur des preuves indirectes. La cour prend soin d’énumérer ces éléments constitutifs du faisceau d’indices : le témoignage de l’épouse, l’enregistrement audio, des certificats médicaux, une attestation d’une psychologue et le témoignage d’un supérieur hiérarchique. Or, l’arrêt met en lumière la prudence de l’inspecteur lui-même quant à la force probante de certains de ces éléments. Il avait ainsi noté que « le lien marital (…) impose à l’autorité administrative la prudence de ne pas faire reposer l’essentiel de sa démonstration sur [le témoignage de l’épouse] » et que l’enregistrement était « confus et ne permet[tait] pas d’accréditer avec certitude que les faits [s’étaient] déroulés tels qu’ils sont décrits par la victime ». En retenant ces propres réserves de l’administration, la cour souligne la faiblesse intrinsèque des preuves sur lesquelles l’autorisation de licenciement a été fondée. L’enregistrement audio, bien que confus, devenait donc une pièce maîtresse pour consolider un dossier fragile, ce qui rendait sa communication d’autant plus indispensable.

B. La prévalence du doute en faveur du salarié protégé

L’autorisation de licencier un salarié protégé est une mesure exceptionnelle qui déroge au droit commun, justifiée par la nécessité d’assurer l’indépendance des représentants du personnel. Il en découle une exigence probatoire renforcée pour l’employeur et un contrôle rigoureux de l’administration, puis du juge. En cas de doute sérieux sur la matérialité ou l’imputabilité des faits, l’autorisation doit être refusée. Dans cette affaire, la cour ne se prononce pas directement sur la matérialité des faits. Elle sanctionne une irrégularité procédurale, mais une irrégularité qui a eu une incidence directe sur l’appréciation de ces faits. En privant le salarié de la possibilité de contester l’enregistrement, l’inspecteur du travail l’a privé « d’une garantie ». Ce faisant, il a consolidé artificiellement un indice qui était pourtant crucial pour pallier les insuffisances des autres éléments. La conjonction d’un faisceau d’indices ténu et de la violation du principe du contradictoire sur une pièce présentée comme un « indice important » ne pouvait que conduire à l’annulation. En confirmant le jugement, la cour rappelle implicitement que le doute qui subsiste, accentué par le vice de procédure, doit nécessairement bénéficier au salarié qui bénéficie d’une protection exceptionnelle dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs.

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Hassan KOHEN
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