Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé les conditions d’établissement du lien de causalité entre une blessure de service et une infirmité tardive dans le cadre d’une demande de pension militaire d’invalidité.
En l’espèce, un ancien militaire engagé en 1957 fut blessé par balle à la cuisse gauche en 1959 au cours d’une opération en Algérie. Les constatations médicales de l’époque firent état d’une plaie avec un léger arrachement osseux, suivie d’une guérison rapide et sans séquelles apparentes. Près de soixante ans plus tard, en 2017, l’intéressé a sollicité l’octroi d’une pension militaire d’invalidité en raison de douleurs et de limitations fonctionnelles. Une expertise réalisée en 2020 a constaté une arthrose des hanches et a évalué son taux d’invalidité à 10 %, sans toutefois détailler le lien avec la blessure de 1959.
La demande de pension fut rejetée par une décision ministérielle du 28 décembre 2020. L’ancien militaire a alors saisi la commission de recours de l’invalidité, laquelle a confirmé le rejet par une décision du 7 juillet 2021. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 17 novembre 2023, rejeté sa demande d’annulation de la décision de la commission. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que l’administration avait commis une erreur d’appréciation en refusant de reconnaître l’imputabilité de son arthrose à sa blessure de service.
Il revenait ainsi à la cour de déterminer si la filiation médicale entre une blessure de service ancienne et une pathologie dégénérative apparue plusieurs décennies plus tard pouvait être établie au seul vu de la concomitance des localisations et sur la base d’attestations médicales non circonstanciées.
La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette la requête. Elle juge que les éléments versés au dossier ne permettent pas d’établir avec certitude le lien de causalité exigé par le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre entre la blessure par balle de 1959 et l’arthrose diagnostiquée. L’arrêt souligne que ni l’expertise ordonnée, ni les certificats médicaux produits ne fournissent d’explication probante sur la manière dont la blessure initiale aurait pu entraîner la pathologie articulaire constatée bien plus tard, pathologie par ailleurs bilatérale.
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I. La réaffirmation de l’exigence d’un lien de causalité direct et certain
La décision commentée s’inscrit dans une approche rigoureuse de l’appréciation du droit à pension, en appliquant de manière stricte les dispositions relatives à la preuve de l’imputabilité de l’infirmité au service. Elle confirme ainsi la nécessité d’une démonstration claire de la filiation médicale (A), tout en soulignant l’insuffisance de simples affirmations médicales non étayées (B).
A. Le principe intangible de la filiation médicale
L’octroi d’une pension militaire d’invalidité est subordonné à la démonstration d’un lien de causalité entre un fait de service et l’infirmité invoquée. La cour rappelle à ce titre les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, qui fondent le droit à réparation sur cette imputabilité. Le juge administratif se montre ici fidèle à sa jurisprudence constante, qui exige une preuve certaine de ce que l’infirmité trouve son origine directe dans la blessure ou la maladie contractée en service.
Dans le cas présent, la cour examine avec minutie les pièces du dossier pour rechercher cette filiation. Elle oppose la nature de la blessure initiale, un « discret arrachement au niveau du grand trochanter gauche », à celle de l’infirmité actuelle, une « arthrose bilatérale des hanches ». Le raisonnement du juge est clinique : il constate que « le siège de la blessure est ainsi différent de celui des lésions arthrosiques ». Cette analyse factuelle précise lui permet de mettre en doute, dès le premier examen, l’existence d’une relation de cause à effet, d’autant que l’atteinte est devenue bilatérale. La solution repose donc sur une application orthodoxe de la charge de la preuve, qui incombe au demandeur.
B. L’insuffisance probatoire d’une expertise et de certificats non circonstanciés
L’arrêt se distingue par le contrôle approfondi qu’il opère sur la valeur des preuves médicales fournies. Si un expert avait bien conclu à un taux d’invalidité de 10 %, la cour relève qu’il « n’a pas précisé dans son rapport en quoi il pourrait exister un lien entre la blessure et les infirmités » constatées. Cette carence dans la motivation de l’expertise la prive de sa force probante aux yeux du juge. Le juge administratif n’est pas lié par les conclusions d’un expert et conserve son entier pouvoir d’appréciation, surtout lorsque celles-ci s’apparentent à une simple constatation sans démonstration.
De même, la cour écarte le certificat médical produit par le requérant, bien qu’émanant d’un spécialiste. Celui-ci affirmait que « l’évolution s’est faite vers l’installation d’une coxarthrose secondaire du fait de cette blessure par balle ». La juridiction juge cependant qu’une telle pièce « ne comporte toutefois aucune précision ni explication de nature à justifier du bien-fondé de cette affirmation ». Elle en conclut qu’il ne s’agit pas d’un « commencement de preuve sérieux ». Cette approche démontre que la conviction du juge ne peut se fonder sur des assertions, même médicales, mais requiert des éléments objectifs et un raisonnement étiologique explicite.
II. La portée d’une décision d’espèce garante de l’orthodoxie juridique
Au-delà de son apparente sévérité, la décision illustre le rôle du juge administratif comme gardien d’une application rigoureuse des conditions légales d’indemnisation. Elle confirme le pouvoir souverain du juge dans l’appréciation des faits et des preuves médicales (A), tout en constituant une décision d’espèce dont la portée se limite à rappeler des principes bien établis (B).
A. Le contrôle souverain du juge sur l’appréciation de la preuve médicale
Cet arrêt est une manifestation claire du principe selon lequel le juge est le souverain appréciateur des éléments de preuve qui lui sont soumis. Face à des documents médicaux contradictoires ou lacunaires, il ne se contente pas d’acter une incertitude qui profiterait au demandeur, mais il tranche en fonction de la solidité des preuves apportées. L’absence de suivi médical entre 1959 et 2017, ainsi que la mention « rien à signaler » sur la fiche médicale de libération, ont pesé lourdement dans l’analyse de la cour.
En refusant d’ordonner une nouvelle expertise, la cour estime disposer des éléments suffisants pour statuer. Elle considère que les seules séquelles directement et certainement imputables à la blessure de 1959, à savoir « le caractère douloureux de la cicatrice », ne justifient pas un taux d’invalidité de 10 %. Cette approche pragmatique montre que le recours à l’expertise n’est pas un droit pour le justiciable dès lors que le juge s’estime suffisamment éclairé. Le juge se positionne ainsi comme l’ultime arbitre de la matérialité et de la qualification des faits médicaux au regard du droit.
B. Une solution classique limitée aux faits de la cause
La solution retenue ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni ne fixe une nouvelle ligne interprétative. Elle s’inscrit dans le courant jurisprudentiel constant qui exige une preuve rigoureuse de l’imputabilité, particulièrement lorsque la demande de pension est formulée de nombreuses années après les faits. En cela, l’arrêt peut être qualifié de décision d’espèce, sa solution étant intimement liée à la configuration factuelle du dossier : l’ancienneté de la blessure, l’absence de suivi, la nature différente des pathologies et le caractère non motivé des expertises.
La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique. Il rappelle aux justiciables et à leurs conseils l’importance de construire un dossier médical solide, capable de démontrer une chaîne de causalité ininterrompue et logique. Pour les pathologies apparaissant tardivement, la preuve d’un lien direct devient un enjeu central qui ne saurait être satisfait par de simples probabilités ou des affirmations péremptoires. La décision confirme la prééminence d’une justice fondée sur la preuve plutôt que sur l’équité ou la simple compassion, même dans un contentieux aussi humain que celui des pensions militaires.