Par un arrêt en date du 23 septembre 2025, la Cour administrative d’appel de Paris a eu à se prononcer sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français notifiée à une ressortissante étrangère. En l’espèce, une citoyenne camerounaise, entrée en France en juin 2023, s’était vu reconnaître le statut de réfugiée par les autorités chypriotes en mai 2022. Sa demande d’asile déposée en France fut par conséquent déclarée irrecevable par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, au motif qu’elle bénéficiait déjà d’une protection au sein d’un autre État membre de l’Union européenne. Se fondant sur cette irrecevabilité, le préfet de Seine-et-Marne a pris, le 22 février 2024, un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. La requérante, accompagnée de sa fille mineure née à Chypre, a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande d’annulation de cet arrêté. Le tribunal a rejeté sa requête par un jugement du 5 novembre 2024, la conduisant à interjeter appel. Elle soutenait notamment que l’administration n’avait pas procédé à un examen correct de sa situation personnelle, en méconnaissance de ses obligations. Le problème de droit soulevé par cette affaire était donc de savoir si une décision d’éloignement, qui omet de prendre en compte le statut de réfugié préalablement accordé par un autre État membre et qui se fonde sur une appréciation factuellement erronée de la situation familiale de l’intéressée, est entachée d’illégalité. La cour administrative d’appel répond par l’affirmative, considérant que de telles omissions caractérisent un défaut d’examen sérieux de la situation de la personne. Elle annule en conséquence le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral. Cette décision illustre l’exigence d’un examen approfondi de la situation individuelle par l’autorité administrative (I), dont le non-respect entraîne une censure juridictionnelle protectrice des droits de l’étranger (II).
I. L’exigence d’un examen complet de la situation individuelle de l’étranger protégé
La décision de la cour administrative d’appel met en lumière l’obligation pour l’administration d’apprécier l’ensemble des éléments pertinents de la situation d’un étranger avant de prononcer une mesure d’éloignement. Elle sanctionne ainsi une double défaillance de l’autorité préfectorale, qui a d’une part commis une erreur manifeste dans l’appréciation de la situation familiale de l’intéressée (A), et d’autre part, ignoré les conséquences juridiques attachées à son statut de réfugiée (B).
A. La sanction d’une appréciation factuellement erronée de la situation familiale
Le juge administratif exerce un contrôle sur l’exactitude matérielle des faits sur lesquels l’administration fonde ses décisions. En l’espèce, l’arrêté préfectoral mentionnait que la requérante était « célibataire et sans charge de famille ». Or, la cour relève que cette affirmation est en contradiction avec les pièces du dossier, qui établissent la présence à ses côtés de son enfant mineur. La décision énonce clairement que « L’arrêté ne mentionne pas non plus le fait que Mme B… se trouve en France avec sa fille, née en février 2021 à Chypre, et indique au contraire, de façon erronée, qu’elle est sans charge de famille ». Cette erreur factuelle n’est pas anodine, car la composition de la famille et l’intérêt supérieur de l’enfant constituent des éléments essentiels que l’administration doit impérativement prendre en considération, notamment au regard des stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. En ignorant la présence de l’enfant, le préfet a nécessairement faussé son appréciation de l’atteinte portée à la vie privée et familiale de l’intéressée.
B. La prise en compte impérative du statut de réfugié préexistant
Au-delà de l’erreur factuelle, la cour souligne une carence juridique déterminante dans le raisonnement préfectoral. L’administration a omis de tirer les conséquences du statut de réfugiée reconnu à l’intéressée par la République de Chypre. Cette qualité, pourtant mentionnée dans la décision de l’OFPRA sur laquelle le préfet s’est appuyé, emporte une protection absolue contre le renvoi vers le pays d’origine où sa vie ou sa liberté seraient menacées. La cour constate que « Cette circonstance, qui fait obstacle à ce que l’intéressée puisse être éloignée à destination du pays dont elle a la nationalité, n’est pas mentionnée dans l’arrêté attaqué ». En fixant le Cameroun comme pays de destination principal, l’arrêté méconnaît frontalement le principe de non-refoulement consacré par l’article 33 de la Convention de Genève. L’omission de ce statut n’est donc pas un simple oubli, mais une erreur de droit qui vicie le fondement même de la décision d’éloignement en ce qu’elle ignore une protection internationale effective et juridiquement contraignante pour l’État français.
II. La censure juridictionnelle du défaut d’examen et ses conséquences
Face à la défaillance de l’autorité administrative, la cour administrative d’appel prononce une sanction juridique claire, en caractérisant un défaut d’examen sérieux de la situation (A). Elle en tire ensuite les conséquences logiques en annulant la mesure et en ordonnant à l’administration de réévaluer le dossier dans un cadre protecteur pour la requérante (B).
A. La caractérisation d’un défaut d’examen sérieux de la situation
La cour combine l’erreur factuelle sur la situation de famille et l’omission du statut de réfugié pour forger son motif d’annulation. L’accumulation de ces manquements conduit le juge à conclure que « le préfet de Seine-et-Marne n’a pas procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle, de sorte que l’arrêté litigieux est entaché d’illégalité ». Le défaut d’examen sérieux est un vice de procédure qui sanctionne l’administration qui n’a pas accompli les diligences nécessaires pour apprécier l’ensemble des circonstances de fait et de droit pertinentes. Cette décision réaffirme que l’examen ne saurait être superficiel ou fondé sur des formules stéréotypées. Il doit être individualisé et tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance de l’administration, a fortiori lorsque ceux-ci confèrent à l’étranger un statut protecteur spécifique. La valeur de cet arrêt réside dans le rappel que l’efficacité des protections internationales dépend de leur prise en compte effective à tous les stades de la procédure administrative.
B. L’annulation de la mesure et l’injonction de réexamen
L’illégalité constatée entraîne l’annulation du jugement du tribunal administratif et de l’arrêté préfectoral. Conformément à une jurisprudence établie, l’annulation d’une obligation de quitter le territoire français pour un motif de légalité interne, tel que le défaut d’examen, n’entraîne pas automatiquement la délivrance d’un titre de séjour. Cependant, elle impose à l’autorité administrative de réexaminer la situation de l’étranger. La portée de l’arrêt est ici très concrète. En application de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le juge enjoint au préfet de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois. Surtout, il ordonne la délivrance immédiate d’une autorisation provisoire de séjour autorisant l’intéressée à travailler. Cette injonction assure que l’annulation ne laisse pas la requérante dans un vide juridique et préserve ses droits fondamentaux durant la période nécessaire à la nouvelle instruction de son dossier, démontrant ainsi la pleine effectivité du contrôle juridictionnel en matière de droit des étrangers.