La cour administrative d’appel de Paris, par un arrêt du 24 janvier 2025, précise les conditions d’engagement de la responsabilité d’une institution publique. Le litige porte sur la mise en œuvre de la procédure de droit au compte prévue par le code monétaire et financier. Plusieurs sociétés ont vu leurs comptes clôturés par leur banque habituelle après un préavis contractuel de deux mois. Elles ont sollicité la désignation d’un nouvel établissement de crédit auprès de l’institution compétente en matière bancaire. L’administration a procédé à la désignation le jour même de la saisine complète mais a commis une erreur matérielle d’adressage du courrier de notification. L’ouverture effective des nouveaux comptes a été retardée de trois semaines par cette seule imprécision géographique. Les sociétés ont recherché la responsabilité de la banque centrale devant le tribunal administratif de Paris pour obtenir réparation de leurs préjudices. Les premiers juges ont accueilli partiellement la demande indemnitaire par un jugement du 7 février 2023 après avoir retenu une faute de service. Les requérantes ont interjeté appel pour obtenir une indemnisation intégrale tandis que l’institution a formé un appel incident pour contester sa responsabilité. La juridiction d’appel doit déterminer si une erreur matérielle dans l’envoi d’un courrier constitue une faute engageant la puissance publique. L’analyse portera sur la reconnaissance de cette faute administrative puis sur l’application restrictive du régime de réparation des dommages.
I. La caractérisation d’une faute administrative dans la gestion du droit au compte
A. L’identification d’une erreur matérielle d’adressage comme source de responsabilité
Le juge administratif retient que l’envoi des lettres de désignation à une adresse erronée est « constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité ». L’institution avait adressé les documents au boulevard Saint-Germain au lieu du boulevard Saint-Michel, provoquant ainsi un retard d’acheminement postal. Cette imprécision a directement empêché l’ouverture des comptes bancaires entre le 13 septembre et le 9 octobre 2018. La cour écarte l’argument selon lequel l’absence de méconnaissance des dispositions législatives ferait obstacle à la reconnaissance d’une telle faute. Une simple négligence matérielle suffit ici à engager la responsabilité pour faute simple de la personne publique concernée. Cette solution protège l’effectivité du droit au compte en sanctionnant les défaillances opérationnelles de l’autorité de désignation.
B. L’absence de manquement aux obligations de célérité et d’information
Les requérantes invoquaient également une méconnaissance des délais légaux de désignation ainsi qu’un manquement général à l’obligation d’information. La cour rejette ces griefs en soulignant que la désignation est intervenue dès la réception du dossier complet des sociétés. Le juge précise qu’aucune disposition n’impose de vérifier la réception effective du courrier ou de doubler l’envoi par un moyen électronique. L’institution n’est pas non plus tenue de conseiller les usagers sur les services bancaires avant le début effectif de la procédure. Le droit au compte n’implique pas une assistance administrative allant au-delà de la stricte désignation d’un établissement de crédit. Seule l’erreur matérielle d’adressage demeure ainsi le fondement unique de la responsabilité engagée dans cette espèce.
II. Une appréciation rigoureuse du lien de causalité et de la preuve des préjudices
A. L’exclusion des dommages financiers dépourvus de lien direct avec la faute
La cour limite l’indemnisation aux « seuls préjudices résultant de manière directe et certaine de cette absence de détention de comptes bancaires ». Elle refuse d’indemniser le manque à gagner ou les difficultés de trésorerie allégués de façon imprécise par les sociétés requérantes. Le juge estime que les factures impayées n’ont pas pour cause exclusive l’absence momentanée de compte bancaire professionnel. Les démissions de salariés invoquées ne présentent pas non plus de lien direct avec le retard d’ouverture de trois semaines. La juridiction souligne que certaines démissions sont intervenues avant même l’expiration du délai de clôture des comptes initiaux. Cette approche rigoureuse évite une extension démesurée de la responsabilité publique à des aléas économiques propres à la vie des affaires.
B. La nécessité d’établir un préjudice personnel et certain pour obtenir réparation
L’arrêt rejette la demande de remboursement d’honoraires d’avocat car la dépense a été supportée par une société tierce au litige. Le préjudice doit présenter un caractère personnel et les requérantes ne justifient pas avoir elles-mêmes acquitté les sommes réclamées. Concernant le préjudice moral lié à une assignation en justice, la cour note qu’il résulte d’un refus de paiement délibéré de cotisations. La faute de l’administration ne dispense pas les sociétés de prouver la réalité et l’étendue de leurs dommages financiers respectifs. Seule une pénalité fiscale de cent trente-neuf euros est finalement retenue au profit d’une unique société du groupe. Cette décision illustre la difficulté pour les opérateurs économiques d’obtenir une réparation substantielle sans preuves comptables irréfutables.