Par un arrêt en date du 24 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Paris s’est prononcée sur les conditions d’appréciation de l’accès effectif à un traitement approprié dans le pays d’origine d’un étranger sollicitant le renouvellement de son titre de séjour pour raisons de santé.
En l’espèce, une ressortissante sénégalaise, titulaire d’un titre de séjour en qualité d’étranger malade, avait sollicité le renouvellement de celui-ci. Le préfet de police, par un arrêté du 8 août 2023, a opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de destination. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 30 novembre 2023, annulé cet arrêté, estimant que la requérante ne pouvait bénéficier de son traitement dans son pays d’origine. Le préfet de police a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant pour sa part que l’offre de soins au Sénégal permettait une prise en charge médicale appropriée. L’intimée a conclu au rejet de la requête, arguant principalement de l’indisponibilité de son traitement, d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale et du risque de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour.
Il revenait ainsi à la Cour administrative d’appel de déterminer si l’administration apporte la preuve de l’existence d’un traitement approprié et accessible dans le pays de renvoi en se fondant sur la seule disponibilité générale d’un médicament, nonobstant les attestations médicales produites par l’étranger faisant état d’une impossibilité de prise en charge de sa pathologie spécifique.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative en annulant le jugement de première instance. Elle juge que le préfet, en démontrant que le médicament nécessaire est disponible au Sénégal, satisfait à son obligation. Dès lors, il appartient à l’étranger de prouver qu’en dépit de cette disponibilité, il ne pourrait personnellement pas se procurer ledit médicament ou bénéficier du suivi médical requis, preuve qui n’était pas rapportée en l’espèce.
L’arrêt précise ainsi les modalités d’appréciation de la charge de la preuve en matière de séjour pour soins (I), consacrant une approche rigoureuse dont la portée pratique renforce les exigences pesant sur le demandeur (II).
I. L’appréciation de la charge de la preuve en matière de séjour pour soins
La Cour administrative d’appel, par une motivation didactique, rappelle d’abord la méthode d’appréciation des preuves partagées entre l’administration et le demandeur (A), avant d’appliquer ce raisonnement pour faire peser sur l’étranger la charge finale de la preuve de l’inaccessibilité du traitement (B).
A. La méthode d’appréciation des preuves partagées
La décision commentée s’ouvre sur un rappel des principes directeurs applicables à l’octroi d’un titre de séjour sur le fondement de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge rappelle qu’il lui appartient « au vu des pièces du dossier, d’apprécier si l’état de santé d’un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». Cette appréciation se double de la vérification de l’absence de traitement approprié dans le pays de renvoi.
L’arrêt réitère la règle selon laquelle un avis favorable du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) crée une présomption simple. Il revient alors à l’autre partie, ici le préfet, de la renverser en apportant des éléments contraires. La conviction du juge se forme au vu de ces échanges contradictoires, celui-ci conservant la faculté d’ordonner toute mesure d’instruction utile en cas de doute persistant.
Surtout, la Cour prend soin de définir ce qu’il faut entendre par « bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d’un traitement médical approprié ». Il s’agit de s’assurer de l’existence et de la disponibilité du traitement dans des conditions permettant à l’intéressé d’y avoir accès. Cette formule exclut toute comparaison sur la qualité des soins, le juge n’ayant pas à rechercher si les soins au Sénégal sont « équivalents à ceux offerts en France ». La seule accessibilité d’un traitement adapté suffit.
B. La charge finale de la preuve de l’inaccessibilité du traitement
Faisant application de ces principes, la Cour examine les éléments produits par le préfet. Ce dernier a fourni la liste nationale des médicaments essentiels du Sénégal ainsi que des données issues de la pharmacie nationale d’approvisionnement, attestant de la disponibilité du Rituximab. Pour la Cour, ces documents suffisent à démontrer que le traitement est en principe accessible.
Face à ces éléments, la charge de la preuve est de nouveau transférée à la requérante. C’est à elle qu’il incombe de démontrer que, malgré cette disponibilité théorique, elle ne pourrait concrètement pas se soigner. Or, la Cour estime cette preuve non rapportée. L’argument selon lequel le Rituximab ne serait pas spécifiquement administré pour les pathologies dont elle souffre est jugé insuffisant. Le juge souligne qu’elle « ne démontre pas ce faisant, notamment qu’en disposant d’une ordonnance du médecin la suivant en France, elle ne pourrait pas se procurer le médicament précité ».
Ce même raisonnement est appliqué à la pathologie psychiatrique. Bien qu’un certificat médical indique qu’une molécule spécifique est « absolument indispensable », la Cour relève qu’un traitement de substitution, le Nozinan, est commercialisé au Sénégal. Le médecin n’établissant pas que ce substitut entraînerait une aggravation de son état, le moyen est écarté. Le juge se refuse ainsi à opérer un contrôle sur le choix thérapeutique du médecin, se limitant à vérifier l’existence d’une solution de soin appropriée.
II. La portée d’une solution rigoureuse pour le demandeur
Cette décision, si elle s’inscrit dans une logique juridique orthodoxe (A), n’en demeure pas moins porteuse de conséquences pratiques significatives en ce qu’elle impose à l’étranger une exigence probatoire accrue (B).
A. Une solution orthodoxe consacrant le plein contrôle du juge
La solution retenue par la Cour administrative d’appel de Paris est empreinte d’un certain classicisme. Elle réaffirme la plénitude du contrôle du juge administratif, qui ne saurait être lié par les seules affirmations d’un praticien, fût-il le médecin traitant de l’étranger. En se fondant sur des documents officiels produits par l’administration, le juge exerce son office et apprécie souverainement la valeur des pièces qui lui sont soumises.
Cette approche garantit un équilibre dans l’administration de la preuve. Elle évite que la décision administrative ne dépende exclusivement des attestations produites par le demandeur, lesquelles peuvent parfois être rédigées en des termes très généraux. En exigeant de l’administration qu’elle mène des investigations sur l’offre de soins locale, et en validant sa démarche lorsqu’elle est étayée, le juge renforce la position du préfet et l’incite à motiver précisément ses décisions de refus.
Par ailleurs, le refus d’entrer dans un débat sur l’équivalence des protocoles de soins ou le choix entre plusieurs molécules disponibles témoigne d’une retenue conforme à l’office du juge. Ce dernier n’est pas un expert médical et ne contrôle que l’absence de traitement approprié, et non la disponibilité du traitement jugé optimal par le médecin en France. Cette position est constante et vise à ne pas faire du système de santé français une référence absolue à laquelle tous les autres devraient être comparés.
B. Une exigence probatoire accrue pesant sur l’étranger
Sur le plan pratique, la portée de cet arrêt est importante pour les demandeurs. Il en ressort qu’une attestation médicale, même précise, décrivant l’absence de prise en charge ou de compétence reconnue dans le pays d’origine, peut être jugée insuffisante si l’administration produit des éléments factuels contraires, même généraux.
La décision fait peser sur les épaules de l’étranger une charge probatoire qui peut s’avérer difficile à satisfaire. Il ne lui suffit plus d’obtenir un certificat de son médecin ; il doit anticiper la contradiction de l’administration et, le cas échéant, apporter la contre-preuve. Démontrer une indisponibilité *effective* et *personnelle* d’un médicament pourtant listé comme disponible au niveau national relève d’une grande complexité, surtout depuis la France. Cela pourrait impliquer de produire des attestations de pharmaciens ou de médecins dans le pays d’origine, ou encore des documents officiels de l’autorité sanitaire locale.
En définitive, bien qu’il ne s’agisse pas d’un revirement de jurisprudence, cet arrêt constitue une décision d’espèce qui illustre une application très stricte des règles de preuve. Il envoie un signal clair : face à une administration qui documente ses décisions, l’étranger doit fournir une argumentation particulièrement solide et détaillée pour espérer obtenir la protection que lui offre l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.