Cour d’appel administrative de Paris, le 25 juin 2025, n°24PA02435

Une société exerçant une activité de formation professionnelle s’est vue notifier des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de plusieurs périodes. L’administration fiscale a en effet estimé que les prestations de formation facturées devaient être soumises à la taxe, faute pour l’organisme de détenir l’attestation administrative requise pour bénéficier d’une exonération. Saisi par la société, le tribunal administratif de Melun a, par un jugement du 4 avril 2024, rejeté sa demande de décharge des impositions. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que ses prestations entraient matériellement dans le champ de la formation professionnelle continue et que la condition formelle de détention d’une attestation était contraire au droit de l’Union européenne, notamment au principe de neutralité fiscale. Elle considérait que l’exonération devait lui être accordée sur la base de la nature réelle de son activité. Se posait ainsi la question de savoir si l’exigence pour un organisme de droit privé d’obtenir une attestation administrative pour bénéficier de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la formation professionnelle continue constitue une condition compatible avec les objectifs de la directive européenne relative au système commun de taxe. Par un arrêt du 25 juin 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête de la société. Elle a jugé que le pouvoir réglementaire avait défini de manière adéquate et proportionnée les conditions permettant de reconnaître un organisme comme ayant des fins comparables à celles d’un organisme de droit public, conformément à la directive. Par conséquent, en l’absence de cette attestation, la société ne pouvait prétendre à l’exonération.

L’arrêt confirme ainsi la primauté d’une condition formelle pour l’application d’un régime fiscal dérogatoire (I), consacrant une interprétation stricte qui renforce la sécurité juridique au détriment d’une approche purement matérielle (II).

I. L’affirmation d’une condition formelle pour l’exonération de TVA

La cour administrative d’appel valide la subordination de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée à une démarche administrative préalable (A), jugeant cette exigence conforme aux prérogatives laissées aux États membres par le droit de l’Union européenne (B).

A. La nécessaire obtention d’une attestation administrative

La décision commentée s’appuie sur une lecture rigoureuse des textes nationaux régissant le champ de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée. Elle rappelle que l’article 261 du code général des impôts distingue clairement le régime applicable aux personnes morales de droit public de celui des personnes de droit privé. Pour ces dernières, le bénéfice de l’exonération est explicitement conditionné par la détention « d’une attestation délivrée par l’autorité administrative compétente reconnaissant qu’elles remplissent les conditions fixées pour exercer leur activité dans le cadre de la formation professionnelle continue ». Les juges du fond soulignent que les dispositions réglementaires prévues aux articles 202 A et 202 B de l’annexe II au même code ne font que préciser les modalités de cette exigence, sans en altérer la nature. Le raisonnement de la cour est donc linéaire : le législateur a instauré une condition de forme, et cette condition doit être respectée pour que l’exonération soit applicable.

Cette approche formaliste exclut toute appréciation au cas par cas de la nature des prestations fournies par un organisme. Le fait que la société requérante dispense effectivement des formations pouvant être qualifiées de professionnelles continues sur le plan matériel devient inopérant dès lors que la procédure administrative n’a pas été accomplie. La cour entérine ainsi une logique où le titre prime sur l’activité. En l’espèce, il est relevé comme un fait constant que « la société CIFOPE n’a pas procédé au dépôt de sa demande d’attestation ». Cette seule constatation suffit à sceller le sort du litige sur le plan du droit interne, rendant les rappels de taxe sur la valeur ajoutée bien-fondés. La solution est sévère mais découle d’une application littérale de la loi fiscale.

B. La conformité de l’exigence formelle au droit de l’Union européenne

La société requérante contestait principalement la compatibilité de ce formalisme avec la directive du 28 novembre 2006. Elle invoquait une rupture du principe de neutralité fiscale en ce que la condition de l’attestation créerait une différence de traitement injustifiée. La cour écarte cet argument en se fondant sur la marge d’appréciation que la directive elle-même octroie aux États membres. Elle rappelle que l’article 131 de ce texte les autorise à fixer des conditions « en vue d’assurer [son] application correcte et simple (…) et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels ». L’analyse de la cour consiste alors à vérifier si la mesure nationale excède ce cadre.

Elle estime que le dispositif de l’attestation constitue une mesure « adéquate, pertinente et proportionnée » à l’objectif poursuivi. Ce mécanisme permet en effet à l’administration de vérifier que l’organisme de droit privé poursuit bien des « fins comparables » à celles d’un organisme de droit public, comme l’exige l’article 132 de la directive. Les pièces requises pour l’obtention de l’attestation, telles que le bilan pédagogique et financier, sont présentées comme des outils de contrôle légitimes. Loin d’être une formalité arbitraire, l’attestation est ainsi érigée en instrument de transposition correcte de la directive. La cour conclut que cette procédure prévient les abus sans violer le principe de neutralité, car elle s’applique à tous les organismes de droit privé souhaitant bénéficier de l’exonération.

II. La portée d’une interprétation stricte des conditions d’exonération

Cette décision illustre la prévalence de la sécurité juridique dans l’application de la loi fiscale (A), tout en réaffirmant le principe selon lequel les régimes dérogatoires ne sauraient faire l’objet d’une interprétation extensive (B).

A. La consécration d’un critère objectif au service de la sécurité juridique

En validant l’exigence de l’attestation, la cour administrative d’appel privilégie un critère simple et objectif sur une analyse subjective et potentiellement fluctuante de l’activité de l’assujetti. Cette solution présente une valeur pratique considérable pour l’administration fiscale comme pour les contribuables. Elle évite que les services vérificateurs ou le juge de l’impôt ne soient contraints d’examiner la substance de chaque programme de formation pour déterminer son éligibilité à l’exonération. Le débat est déplacé du terrain qualitatif, toujours sujet à discussion, vers un terrain purement procédural : la demande d’attestation a-t-elle été déposée et acceptée ?

Cette approche renforce la prévisibilité du droit fiscal. Les organismes de formation savent précisément à quelle démarche se soumettre pour sécuriser leur régime de taxe sur la valeur ajoutée. La décision commentée, bien que défavorable à la société requérante, a ainsi une portée pédagogique. Elle rappelle aux acteurs économiques que la gestion fiscale impose une rigueur administrative et que l’anticipation des formalités est essentielle. La solution peut paraître sévère pour une entité qui, sur le fond, remplissait peut-être les conditions matérielles de l’exonération, mais elle est le prix d’un système qui se veut clair et non arbitraire pour l’ensemble des opérateurs.

B. Le rappel du principe d’interprétation stricte des exonérations fiscales

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle les exonérations fiscales, en tant que dérogations au principe général d’imposition, doivent être interprétées strictement. Il ne s’agit pas d’un arrêt de principe qui renverserait l’état du droit, mais d’une application rigoureuse de règles établies. La portée de la décision est de confirmer que le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée ne permet pas à un assujetti de s’affranchir des conditions formelles posées par le législateur pour l’octroi d’un avantage fiscal. L’argument selon lequel l’imposition de la société créerait une distorsion de concurrence avec les organismes publics ou les organismes privés en règle est jugé inopérant, car la différence de traitement résulte du propre manquement de la société à ses obligations déclaratives.

La décision circonscrit donc la portée du principe de neutralité. Ce dernier vise à garantir qu’une même opération économique soit traitée de manière identique, mais il ne saurait être invoqué pour contourner les règles de procédure qui encadrent un régime d’exonération. L’arrêt constitue un avertissement clair : l’inaction ou la négligence d’un opérateur économique dans l’accomplissement des formalités administratives le prive définitivement du droit à un régime fiscal favorable, sans qu’il puisse utilement se prévaloir de la finalité de la loi ou de l’esprit du droit européen. La solution, par sa fermeté, limite le contentieux fiscal à une vérification objective des faits et du respect des procédures.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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