Cour d’appel administrative de Paris, le 25 mars 2025, n°25PA00380

Par un arrêt en date du 25 mars 2025, la cour administrative d’appel de Paris a eu à se prononcer sur la légalité d’un arrêté préfectoral refusant le renouvellement d’un titre de séjour et l’assortissant d’une obligation de quitter le territoire français.

En l’espèce, un ressortissant russe, entré en France en 2010 à l’âge de treize ans, a bénéficié de plusieurs titres de séjour portant la mention « vie privée et familiale » à partir de 2016. En 2022, le préfet du Val-de-Marne a refusé de renouveler sa carte de séjour pluriannuelle, en se fondant sur une menace pour l’ordre public constituée par deux condamnations pénales, dont une pour trafic de stupéfiants. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Melun a, par un jugement du 26 décembre 2024, annulé cet arrêté au motif qu’il portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et a enjoint à l’administration de lui délivrer un titre de séjour. Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement, contestant l’appréciation des premiers juges sur la balance des intérêts en présence et soulevant l’irrecevabilité de la demande de première instance pour tardiveté.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si le refus de séjour, motivé par des condamnations pénales, constituait une ingérence justifiée dans la vie privée et familiale d’un étranger présent sur le territoire national depuis son adolescence. Il lui appartenait également d’examiner la régularité de la procédure suivie par les services préfectoraux, notamment au regard de leurs obligations en matière de notification des actes administratifs. La cour a finalement rejeté la requête du préfet, confirmant l’annulation de la décision attaquée, mais en substituant au motif retenu par le tribunal administratif un nouveau motif tiré d’un vice de procédure. Elle a ainsi jugé que l’arrêté préfectoral était illégal, non pas sur le fond, mais en raison d’une irrégularité ayant privé l’intéressé d’une garantie essentielle.

La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière une dualité d’analyse classique en contentieux des étrangers. D’une part, elle valide l’appréciation de l’administration quant à la menace à l’ordre public, justifiant sur le fond la mesure d’éloignement (I). D’autre part, elle rappelle avec fermeté les exigences procédurales qui s’imposent à l’autorité préfectorale, dont la méconnaissance vicie la décision (II).

I. La validation de l’appréciation substantielle du refus de séjour

La cour administrative d’appel, réformant sur ce point le jugement de première instance, a considéré que la décision du préfet n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard du droit au respect de la vie privée et familiale. Elle a pour cela opéré une balance des intérêts en présence, en accordant un poids déterminant à la menace à l’ordre public (A) et en retenant une conception restrictive des liens privés et familiaux de l’intéressé en France (B).

A. La prise en compte rigoureuse de la menace à l’ordre public

La cour a d’abord rappelé le cadre légal applicable, notamment les dispositions de l’article L. 432-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permettent de refuser un titre de séjour si la présence de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public. En l’espèce, la décision préfectorale se fondait sur deux condamnations pénales de l’intéressé. La cour cite expressément ces faits, relevant qu’il a été sanctionné pour des faits de « violence aggravée » en 2018 et, surtout, pour « détention non autorisée de stupéfiants et d’offre ou de cession non autorisée de stupéfiants » en 2019, peine pour laquelle il a été condamné à une peine de dix mois d’emprisonnement ferme.

En jugeant que, « compte tenu de la menace que sa présence en France représente pour l’ordre public », le refus de séjour était justifié, la cour entérine l’analyse de l’administration. Elle considère que la nature et la gravité des infractions commises, en particulier le trafic de stupéfiants, sont des éléments suffisants pour caractériser une telle menace. Ce faisant, elle s’inscrit dans une jurisprudence constante qui laisse à l’administration une marge d’appréciation importante pour évaluer le comportement d’un étranger et ses conséquences sur la sécurité et la tranquillité publiques. Le raisonnement de la cour montre que même pour un résident de longue durée, le passé pénal demeure un critère prépondérant dans l’examen d’une demande de titre de séjour.

B. Une conception restrictive des liens privés et familiaux

Pour annuler la décision préfectorale, le tribunal administratif s’était appuyé sur plusieurs éléments d’intégration : l’arrivée en France durant la minorité, la scolarisation, le décès de sa mère, et un début d’insertion professionnelle. La cour administrative d’appel, tout en reconnaissant ces faits, choisit de les relativiser en adoptant une lecture plus stricte de la situation personnelle et familiale de l’intéressé. Elle souligne qu’il est « célibataire, sans charge de famille, et ne justifie pas avoir conservé des liens avec sa sœur et avec sa cousine ».

Cette approche démontre que ni la durée de présence sur le territoire, ni l’arrivée à un jeune âge ne sont des éléments en soi dirimants. La cour recherche l’existence de liens actuels, intenses et stables, conformément aux critères de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En l’absence de preuve de liens familiaux effectifs et d’un noyau familial constitué en France, elle estime que le centre des intérêts privés et familiaux de l’étranger n’est pas établi avec une force suffisante pour faire obstacle à une mesure d’éloignement justifiée par l’ordre public. Ainsi, la cour opère une mise en balance où la gravité de la menace l’emporte sur des attaches personnelles et familiales jugées trop ténues.

Toutefois, si la cour valide le raisonnement de l’administration sur le fond, elle censure sa décision pour des motifs purement procéduraux, rappelant ainsi l’importance du respect des garanties offertes à l’administré.

II. La sanction d’une procédure administrative défaillante

L’annulation de l’arrêté préfectoral est finalement confirmée par la cour, mais sur un fondement entièrement différent de celui retenu en première instance. La cour identifie deux manquements successifs de l’administration dans la conduite de la procédure, qui constituent une violation des droits de l’administré. Elle rappelle d’abord l’obligation de notifier les actes à la dernière adresse connue (A), avant de sanctionner la méconnaissance de cette règle pour avoir privé l’intéressé d’une garantie substantielle (B).

A. Le rappel de l’obligation de notification à l’adresse connue de l’administré

Le préfet soulevait une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours de première instance. Il soutenait que l’arrêté litigieux, présenté au domicile antérieur de l’intéressé et retourné à l’expéditeur, avait fait courir le délai de recours. La cour écarte fermement cet argument. Elle constate que l’administration avait connaissance de la nouvelle adresse de l’étranger, puisque celle-ci figurait sur le récépissé de sa demande de titre de séjour. Dès lors, elle affirme qu’il « appartenait aux services de la préfecture d’adresser l’arrêté en litige à cette dernière adresse dont ils avaient connaissance ».

En conséquence, le délai de recours contentieux n’a pu commencer à courir qu’à compter de la date où l’étranger a eu effectivement connaissance de la décision, soit lors de sa remise en main propre au guichet de la préfecture. Cette solution est une application rigoureuse de la théorie de la connaissance acquise en droit administratif. Elle souligne que l’administration ne peut se prévaloir de sa propre négligence pour opposer la tardiveté d’un recours. L’obligation de diligence pèse sur les services préfectoraux, qui doivent utiliser toutes les informations dont ils disposent pour assurer la bonne information de l’administré.

B. La privation d’une garantie comme vice de procédure substantiel

C’est sur la base de ce même manquement que la cour fonde l’annulation de l’arrêté. Elle relève que la convocation de l’intéressé devant la commission du titre de séjour, formalité préalable et obligatoire en cas de refus de titre fondé sur la menace à l’ordre public, a été envoyée à son ancienne adresse. Or, cette commission représente une garantie essentielle pour l’étranger, lui permettant de présenter ses observations oralement avant que la décision ne soit prise. En ne convoquant pas l’intéressé à la bonne adresse, l’administration l’a de fait empêché de se défendre utilement.

La cour en déduit que l’arrêté « est entaché d’un vice de procédure qui l’a privé d’une garantie ». La qualification de ce vice comme substantiel justifie l’annulation de l’acte, sans qu’il soit besoin de rechercher si l’intéressé aurait pu avoir une chance d’infléchir la décision. La simple privation de cette garantie suffit. La conséquence de cette annulation est toutefois limitée : la cour enjoint simplement au préfet de réexaminer la situation de l’étranger, et non plus de lui délivrer un titre. L’administration devra donc reprendre la procédure, cette fois en respectant les formes, mais pourra, in fine, prendre une nouvelle décision de refus identique sur le fond.

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Hassan KOHEN
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