Par un arrêt en date du 25 septembre 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, ainsi que sur les mesures d’éloignement qui en découlaient. En l’espèce, un citoyen chinois, présent en France depuis 2010 et lié par un pacte civil de solidarité à un ressortissant français depuis 2021, a sollicité la délivrance d’une carte de séjour temporaire sur le fondement de sa vie privée et familiale. Le préfet a rejeté sa demande et a émis à son encontre une obligation de quitter le territoire français sans délai, ainsi qu’une interdiction de retour, en se fondant sur une condamnation pénale prononcée trois ans auparavant et sur l’insuffisance de ses attaches en France au regard de celles conservées dans son pays d’origine. Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Paris a annulé l’interdiction de retour mais a validé le refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, contestant le raisonnement des premiers juges sur le rejet de sa demande de titre de séjour. Il revenait donc à la cour de déterminer si une condamnation pénale ancienne et unique pouvait encore caractériser une menace à l’ordre public justifiant un refus de séjour, et, dans la négative, si la décision de l’administration pouvait néanmoins être maintenue sur un autre fondement. La cour administrative d’appel, tout en écartant le motif tiré de la menace à l’ordre public, a confirmé le refus de délivrance du titre de séjour par une substitution de motifs, mais a annulé le refus d’octroi d’un délai de départ volontaire qui était exclusivement fondé sur le motif censuré.
Cette décision illustre le contrôle approfondi du juge sur l’appréciation de la menace à l’ordre public, tout en confirmant le caractère limité du droit au séjour au titre de la vie privée et familiale (I). Elle met également en lumière l’application de la technique de la substitution de motifs et ses conséquences distinctes sur les différentes mesures composant la décision préfectorale (II).
I. Une appréciation duale des fondements du refus de séjour
La cour administrative d’appel procède à une analyse scindée des deux motifs avancés par le préfet. Elle exerce un contrôle rigoureux sur la notion de menace à l’ordre public (A), tout en adoptant une approche plus restrictive quant à l’intensité des liens personnels et familiaux justifiant la délivrance d’un titre de séjour (B).
A. La censure d’une menace à l’ordre public devenue inactuelle
Le juge administratif rappelle que la légalité d’une décision s’apprécie à la date à laquelle elle a été prise. Pour écarter le motif tiré de la menace à l’ordre public, la cour ne se contente pas de constater l’existence d’une condamnation, mais en analyse la portée concrète et actuelle. Elle relève que la condamnation pour exhibition sexuelle, bien que réelle, est à la fois « unique » et ancienne, les faits remontant à « plus de trois ans avant la décision attaquée ». De plus, la cour souligne qu’aucun autre fait répréhensible n’a été reproché à l’intéressé depuis lors. Cette analyse factuelle détaillée permet de conclure que la seule présence du requérant ne constituait plus une menace effective pour la société au moment de la décision préfectorale.
En agissant ainsi, la cour exerce un contrôle normal de l’exacte application de l’article L. 432-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’administration doit se livrer à une appréciation circonstanciée et actualisée de la situation de l’étranger, une condamnation pénale n’emportant pas automatiquement qualification de menace à l’ordre public. Le passé pénal d’un individu ne peut justifier à lui seul une mesure défavorable si aucun élément récent ne vient corroborer un risque actuel de trouble. Cette solution protectrice des libertés individuelles contraint l’administration à ne pas se fonder sur des faits obsolètes pour justifier ses décisions les plus graves.
B. La confirmation d’une ingérence proportionnée dans la vie privée et familiale
Si la cour écarte le premier motif, elle valide en revanche le second, fondé sur l’appréciation des liens personnels et familiaux du requérant. L’analyse se déplace sur le terrain du bilan entre le droit au respect de la vie privée et familiale de l’étranger et les motifs du refus de séjour. La cour reconnaît l’existence d’éléments d’intégration significatifs, notamment la présence continue en France depuis 2010 et la conclusion d’un pacte civil de solidarité avec un partenaire français. Ces éléments témoignent d’une stabilité certaine de la vie personnelle de l’intéressé sur le territoire national.
Toutefois, la cour met en balance ces éléments avec d’autres circonstances qu’elle juge déterminantes. Elle note que l’étranger s’est maintenu en situation irrégulière après un premier refus de séjour en 2017 et qu’il conserve des attaches familiales dans son pays d’origine, où résident ses parents. En conséquence, la cour estime que « les liens personnels et familiaux en France (…) ne sont pas tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ». Cette appréciation, qui relève également d’un contrôle normal, illustre la marge d’appréciation laissée à l’administration et au juge dans l’application de l’article L. 423-23 du CESEDA et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La conclusion d’un PACS, si elle est un indice majeur d’intégration, ne confère pas un droit automatique au séjour, le juge opérant une pesée globale des intérêts en présence où le parcours de l’étranger, y compris son éventuelle irrégularité, conserve un poids notable.
II. Une application différenciée de la substitution de motifs
Après avoir validé l’un des deux motifs du refus de séjour, la cour fait usage de son pouvoir de substitution de motifs. Cet outil procédural a pour effet de maintenir la légalité de la décision de refus de titre (A), mais il ne s’étend pas à l’ensemble des mesures d’éloignement, conduisant à une annulation partielle de l’arrêté préfectoral (B).
A. La neutralisation de l’illégalité par le maintien du refus de séjour
La substitution de motifs est une technique jurisprudentielle permettant au juge de sauver une décision administrative entachée d’un motif illégal, dès lors qu’un autre motif, légal celui-là, est suffisant pour la justifier et que l’administration aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur ce dernier. En l’espèce, après avoir censuré le motif tiré de la menace à l’ordre public, la cour estime que le motif relatif à l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale justifie à lui seul le refus de séjour. Elle affirme ainsi que « le préfet de police aurait pris la même décision s’il ne s’était pas fondé sur le motif tiré de ce que la présence en France de M. A… est constitutive d’une menace à l’ordre public ».
L’application de ce mécanisme, inspirée par un principe d’économie processuelle, a pour conséquence directe de rejeter la demande d’annulation du refus de séjour et, par voie de conséquence, de l’obligation de quitter le territoire qui en découle. Pour le requérant, le succès obtenu sur la critique du premier motif devient sans portée pratique sur son droit au séjour. Cette solution démontre la force de la substitution de motifs, qui permet à l’administration de voir sa décision confortée même en cas d’erreur de droit ou d’appréciation, à condition qu’elle ait pris la précaution d’asseoir sa décision sur une base juridique multiple.
B. La portée limitée de la substitution sur les mesures accessoires
L’intérêt principal de l’arrêt réside dans la démonstration que la substitution de motifs ne produit pas ses effets sur l’ensemble des décisions contenues dans un même arrêté. La cour analyse de manière distincte la légalité du refus d’octroi d’un délai de départ volontaire. Or, cette mesure spécifique était exclusivement justifiée par le préfet sur le fondement de l’article L. 612-2 du CESEDA, qui permet de refuser un tel délai lorsque « le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public ».
Le juge en déduit logiquement que la censure du motif tiré de la menace à l’ordre public prive le refus de délai de départ volontaire de sa seule et unique base légale. La substitution de motifs ne peut ici trouver à s’appliquer, car le motif jugé légal par la cour — l’absence d’atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale — n’est pas au nombre des cas prévus par la loi pour refuser un délai de départ. Par conséquent, la cour annule cette partie de la décision préfectorale. Cette annulation ciblée, bien que ne remettant pas en cause l’obligation de quitter le territoire, accorde au requérant le bénéfice d’un délai de trente jours pour organiser son départ, ce qui constitue une garantie non négligeable. L’arrêt illustre ainsi la nécessité d’un examen analytique de chaque mesure prise par l’administration, la légalité de l’une n’impliquant pas nécessairement celle des autres, même lorsque celles-ci sont interdépendantes.