Cour d’appel administrative de Paris, le 26 septembre 2025, n°24PA01069

Par un arrêt en date du 26 septembre 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les conséquences indemnitaires d’une décision administrative illégale. En l’espèce, un praticien hospitalier, dont le poste avait été supprimé, fut placé en position de recherche d’affectation pour une durée déterminée. À l’issue de cette période, l’administration compétente décida de le placer en disponibilité d’office, au motif que les revenus tirés de son activité libérale parallèle démontraient un désintérêt pour la poursuite de ses fonctions publiques. Saisi par le praticien, le tribunal administratif de Paris annula cette décision pour défaut de base légale. Fort de cette annulation, l’agent engagea une nouvelle action devant la même juridiction, cette fois en responsabilité, afin d’obtenir réparation des préjudices matériel et moral qu’il estimait avoir subis. Le tribunal administratif rejeta sa demande, jugeant que le lien de causalité entre l’illégalité fautive et les préjudices allégués n’était pas établi. C’est dans ce contexte que le praticien a interjeté appel de ce second jugement, maintenant ses prétentions indemnitaires.

La question de droit soumise à la cour était donc de déterminer si l’illégalité fautive d’une décision plaçant un agent en disponibilité d’office ouvre nécessairement droit à réparation pour ce dernier, notamment au titre de la perte du traitement qu’il aurait perçu dans sa position statutaire antérieure.

La cour administrative d’appel rejette la requête. Après avoir confirmé le caractère fautif de la décision initiale de mise en disponibilité, elle considère néanmoins que les préjudices invoqués par le requérant sont dépourvus de lien de causalité direct avec cette illégalité. Elle juge que l’annulation de la décision n’emportait pas pour l’agent un droit au maintien en position de recherche d’affectation, et que par conséquent, la perte de traitement correspondante ne pouvait être imputée à la faute de l’administration.

Si la cour confirme sans ambiguïté l’existence d’une illégalité fautive commise par l’administration (I), elle en neutralise la portée indemnitaire en consacrant une application rigoureuse de l’exigence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice (II).

I. La reconnaissance d’une illégalité fautive caractérisée

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse en deux temps. Elle rappelle d’abord que le placement en disponibilité d’office est une mesure dont les conditions de mise en œuvre sont strictement encadrées (A), avant de constater qu’en l’espèce, l’administration ne pouvait se prévaloir d’aucune base légale pour justifier sa décision (B).

A. Le caractère limitatif des motifs de placement en disponibilité d’office

L’arrêt prend soin de rappeler le cadre juridique applicable aux praticiens hospitaliers à temps partiel, en citant les dispositions pertinentes du code de la santé publique. Il ressort de ces textes que la mise en disponibilité d’office ne peut intervenir que dans des cas précisément énumérés. La cour souligne ainsi que la décision administrative ne peut reposer sur des motifs d’opportunité, mais doit s’inscrire dans les hypothèses prévues par la loi. En l’espèce, la décision contestée se fondait sur le fait que les revenus libéraux du praticien démontraient « qu’il consacrait pleinement son activité professionnelle à cette activité libérale ».

La cour administrative d’appel confirme la position des premiers juges en affirmant que « ce motif ne figure pas au nombre de ceux que l’administration pouvait légalement retenir pour placer un praticien hospitalier à temps partiel en disponibilité d’office ». Ce faisant, elle réaffirme le principe selon lequel l’administration ne peut se faire juge des choix professionnels d’un agent en dehors des cas prévus par les textes, même lorsque ces choix pourraient paraître en contradiction avec le maintien dans la fonction publique. La solution est une application classique du principe de légalité, qui contraint l’action administrative au respect des normes qui l’encadrent.

B. L’absence de toute base légale alternative

Après avoir écarté le motif expressément invoqué par l’administration, la cour procède à une recherche des autres fondements qui auraient pu, le cas échéant, justifier la mesure. Cet examen méthodique permet de renforcer la conclusion d’une illégalité fautive. La cour constate ainsi qu’il n’est « ni établi, ni même allégué d’ailleurs, que M. A… aurait refusé successivement trois offres d’emploi », seule circonstance qui aurait permis un placement en disponibilité d’office sur le fondement de l’article R. 6152-236-5 du code de la santé publique. De même, elle écarte l’application d’autres dispositions relatives à la transformation de postes, qui ne correspondaient pas à la situation de l’espèce.

Cette démarche démontre que l’administration était dans une situation de compétence liée inversée : non seulement le motif utilisé était illégal, mais aucun autre motif légal n’était applicable. Dès lors, la décision était insusceptible d’être régularisée ou justifiée a posteriori. Dans ces conditions, la cour conclut logiquement que le requérant « est fondé à soutenir qu’en le plaçant en disponibilité d’office, l’administration a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité ». La reconnaissance de la faute semble ouvrir la voie à une indemnisation, mais c’est sans compter sur l’analyse subséquente du lien de causalité.

II. Le rejet de la réparation par la rupture du lien de causalité

Bien qu’ayant reconnu la faute de l’administration, la cour administrative d’appel va pourtant rejeter la demande d’indemnisation. Elle opère pour cela une dissociation stricte entre l’annulation de la décision et le droit au maintien dans la position statutaire antérieure (A), ce qui la conduit à une interprétation restrictive des préjudices matériel et moral (B).

A. La dissociation entre l’annulation de la décision et le statut de l’agent

L’argument central du requérant consistait à dire que l’illégalité de sa mise en disponibilité aurait dû conduire à son maintien en position de recherche d’affectation, et donc au versement du traitement correspondant. La cour rejette ce raisonnement en s’appuyant sur l’autorité de la chose jugée du premier jugement d’annulation. Elle rappelle que ce jugement, s’il a bien annulé la décision, « a rejeté les conclusions de M. A… tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration de le placer en position de recherche d’affectation ». L’annulation pour excès de pouvoir a pour seul effet de faire disparaître rétroactivement l’acte illégal, mais elle n’entraîne pas nécessairement la reconstitution d’une situation juridique antérieure.

L’arrêt en tire une conséquence déterminante en matière de responsabilité : « ce jugement d’annulation impliquait seulement que l’administration prenne une nouvelle décision plaçant l’intéressé dans une position statutaire régulière ». Le praticien « n’avait aucun droit au maintien en position de recherche d’affectation ». Par cette formule, la cour brise le lien de causalité entre la faute et le préjudice financier. La perte de traitement n’est pas la conséquence directe de la décision illégale, mais de l’absence de droit à percevoir ce traitement. Le préjudice matériel est donc jugé « dépourvu de tout lien de causalité avec l’illégalité fautive ». Cette solution, rigoureuse, rappelle que la responsabilité administrative exige la preuve d’un préjudice direct et certain, lequel fait défaut lorsque le demandeur se prévaut d’une situation à laquelle il ne pouvait légalement prétendre.

B. Une appréciation restrictive des préjudices matériel et moral

La cour étend son raisonnement à l’ensemble des chefs de préjudice. Concernant la perte de chance de retrouver une affectation, elle la rejette en relevant que « le placement en disponibilité d’office ne faisait pas obstacle à ce qu’il fasse utilement œuvre de candidature », ce que l’intéressé s’était abstenu de faire. La causalité est ici rompue par le comportement du requérant lui-même, qui n’a pas usé des possibilités qui lui restaient ouvertes.

Quant au préjudice moral, la cour le décompose pour mieux en rejeter l’indemnisation. La part du préjudice liée à la suppression du poste est jugée sans lien avec l’illégalité de la décision de mise en disponibilité. L’autre part, liée à la perte de traitement, est écartée car il n’est pas établi qu’elle serait « en elle-même à l’origine d’un préjudice moral » distinct du préjudice matériel déjà rejeté. Cette motivation témoigne d’une volonté de ne pas indemniser les conséquences d’une situation statutaire incertaine. En définitive, cet arrêt illustre de manière claire les trois conditions cumulatives de la responsabilité administrative : une faute, un préjudice, et un lien de causalité direct et certain. En l’absence de ce dernier, même une faute avérée et caractérisée de l’administration reste sans conséquence indemnitaire pour l’agent qui en est la victime.

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Hassan KOHEN
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