Cour d’appel administrative de Paris, le 26 septembre 2025, n°24PA01396

Par un arrêt en date du 26 septembre 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité des contributions financières réclamées par un syndicat mixte à l’une de ses communes membres, suite à la résiliation d’une convention de délégation de service public. En l’espèce, un syndicat mixte avait mis fin à la concession d’un service de véhicules électriques en libre-service. Pour faire face aux conséquences financières de cette rupture, notamment le provisionnement d’un risque contentieux avec l’ancien délégataire, le comité syndical avait voté des délibérations appelant des contributions de la part de ses membres. Une commune membre, s’estimant non redevable de ces sommes, a refusé de payer les titres de recettes émis à son encontre.

La commune a saisi le tribunal administratif, qui a annulé les titres exécutoires au motif que la clause du contrat de concession ayant mené à la résiliation était entachée de nullité. Le syndicat mixte a interjeté appel de ce jugement. Devant la cour, le syndicat soutenait la validité de la clause contractuelle et, par conséquent, des actes qui en découlaient. La commune intimée, quant à elle, a de nouveau soulevé par la voie de l’exception l’illégalité des délibérations ayant fondé les titres de recettes, arguant notamment d’une méconnaissance des règles de financement des services publics industriels et commerciaux et d’une violation des statuts du syndicat. Il était donc demandé aux juges d’appel de déterminer si un syndicat mixte peut légalement imposer à ses membres une contribution destinée à provisionner un risque contentieux né de la fin d’un service public industriel et commercial, en dehors des règles de financement de l’exploitation de ce dernier.

La cour administrative d’appel annule le jugement de première instance, considérant que les premiers juges ont fait une analyse erronée de la clause contractuelle litigieuse. Statuant par l’effet dévolutif de l’appel, elle examine ensuite l’ensemble des moyens soulevés par la commune et les rejette. Les juges estiment que la compétence du syndicat, après la fin du service, ne relevait plus de l’exploitation d’un service public industriel et commercial mais de la gestion de ses conséquences. Par conséquent, les règles restrictives de financement de ces services n’étaient pas applicables. La cour a ainsi jugé que la contribution, visant à couvrir une provision pour un risque contentieux avéré, était légalement fondée et que les titres de recettes étaient réguliers. La décision de la cour vient ainsi clarifier l’étendue des obligations financières des membres d’un syndicat après la cessation de l’une de ses compétences opérationnelles. Il convient d’analyser la manière dont le juge valide la mutation de la compétence syndicale pour légitimer les contributions financières (I), avant d’étudier la portée de cette solution qui renforce la solidarité budgétaire au sein de l’établissement public de coopération intercommunale (II).

I. La légitimation des contributions par la mutation de la compétence syndicale

La cour fonde sa décision sur une analyse renouvelée de la nature de l’intervention du syndicat, ce qui lui permet de justifier le mécanisme de financement contesté. Elle établit d’abord que le changement d’objet de la compétence syndicale écarte les règles de financement spécifiques aux services publics industriels et commerciaux (A), pour ensuite confirmer la légalité de la constitution d’une provision pour risque contentieux (B).

A. La requalification de la compétence syndicale comme fondement de la contribution

Le principal argument de la commune reposait sur la méconnaissance des dispositions de l’article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales, qui interdit en principe aux communes de prendre en charge les déficits des services publics à caractère industriel et commercial. La cour écarte ce moyen en opérant une distinction temporelle et fonctionnelle. Elle considère que la compétence exercée par le syndicat a évolué. À la suite de la résiliation de la concession, l’objet de l’intervention syndicale n’est plus l’exploitation du service, mais la gestion de ses suites juridiques et financières. La cour énonce clairement que « la compétence obligatoire du syndicat […] n’a plus pour objet la gestion d’un service public industriel et commercial de véhicules automobiles en libre-service, mais la gestion des conséquences nées de la fin de ce service ».

Cette requalification de la compétence est déterminante. En dissociant la phase d’exploitation de celle de la liquidation du service, le juge soustrait les dépenses litigieuses au régime strict du financement des services publics industriels et commerciaux. La contribution demandée ne vise pas à combler un déficit d’exploitation, ce qui serait prohibé, mais à financer les activités résiduelles et nouvelles du syndicat, qui relèvent de sa mission administrative générale. Cette analyse pragmatique permet de reconnaître la nécessité pour l’établissement public de coopération de disposer des ressources nécessaires pour faire face à ses obligations post-contractuelles, sans se heurter aux contraintes applicables à un service qui n’est plus opérationnel.

B. La validation de la provision pour risque contentieux

Une fois la compétence syndicale redéfinie, la cour examine la nature même de la dépense que la contribution vise à financer. La commune soutenait que la constitution d’une provision s’analysait en une libéralité interdite. L’arrêt rejette fermement cette argumentation en s’appuyant sur les règles de la comptabilité publique. Il rappelle que la constitution de provisions pour risques, notamment contentieux, constitue une dépense obligatoire pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, en application des articles L. 2321-2 et R. 2321-2 du code général des collectivités territoriales.

La cour vérifie ensuite que les conditions de constitution d’une telle provision étaient réunies. Elle constate qu’« un risque financier avéré existait en raison de la demande d’indemnisation […] introduite par la société […] à l’encontre du [syndicat] ». L’existence d’un contentieux déjà engagé devant le tribunal administratif suffisait à caractériser le risque et à justifier la prudence budgétaire du syndicat. La provision n’est donc pas une subvention déguisée mais un outil de bonne gestion financière, destiné à anticiper une charge future probable. En précisant que cette provision donnerait lieu à une reprise si le risque ne se réalisait pas, la cour achève de démontrer que la mesure ne constitue en rien un abandon de créance ou un avantage injustifié.

II. La consécration d’une solidarité financière renforcée au sein du syndicat

Au-delà de la validation du mécanisme financier, la décision de la cour réaffirme avec force le principe de solidarité qui unit les membres d’un établissement public de coopération intercommunale. Ce faisant, elle écarte les tentatives de la commune de se délier de ses obligations statutaires (A) et adopte une approche pragmatique du formalisme applicable aux actes de recouvrement (B).

A. Le rejet des moyens visant à l’exonération de l’obligation statutaire

La commune membre cherchait à s’exonérer de sa contribution en invoquant une violation du principe d’exclusivité ainsi que des statuts du syndicat. La cour balaie ces arguments en rappelant les principes fondamentaux de la coopération intercommunale. Le transfert d’une compétence emporte pour la commune l’obligation de participer à son financement, dans les conditions fixées par les organes délibérants de l’établissement public. Les statuts du syndicat, loin d’interdire la contribution, la prévoyaient explicitement en cas de fin du service. Les juges soulignent également que les éventuelles fautes de gestion passées du syndicat, à les supposer même établies, n’étaient pas de nature à rompre le lien d’obligation entre le syndicat et ses membres s’agissant du financement de ses compétences actuelles.

En refusant d’examiner l’opportunité des choix de gouvernance antérieurs, la cour se concentre sur la légalité de la décision de financement contestée. Elle confirme ainsi que l’appartenance à une structure intercommunale implique une solidarité de droit, qui ne saurait être remise en cause unilatéralement par un membre au motif d’un désaccord avec la gestion de l’établissement. Cette position renforce la sécurité juridique des décisions prises par les syndicats mixtes et garantit leur capacité à faire face à leurs engagements financiers.

B. Une approche pragmatique du formalisme des titres de recettes

Enfin, la cour se penche sur la régularité en la forme des titres de recettes, contestée par la commune au motif d’une motivation insuffisante. Sur ce point, l’arrêt adopte une posture réaliste et peu formaliste. Pour chaque titre, le juge vérifie si les mentions qu’il comporte, notamment la référence aux délibérations du comité syndical, permettaient à la commune de comprendre l’origine et les bases de calcul de la créance. Il estime que la commune, en sa qualité de membre du syndicat et destinataire des délibérations, ne pouvait ignorer les modalités de calcul de sa contribution, basées sur le nombre de stations implantées sur son territoire.

La cour considère ainsi que « le libellé du titre de recettes lui a permis de comprendre les modalités de calcul de la somme […] dont le paiement lui est demandé ». Cette solution, empreinte de bon sens, évite qu’un débiteur, surtout lorsqu’il s’agit d’une personne publique informée, ne puisse se prévaloir d’un vice de forme mineur pour échapper à une dette dont le fondement est par ailleurs jugé légal. Elle témoigne d’une volonté de ne pas paralyser l’action de recouvrement des créances publiques par un excès de formalisme, tout en s’assurant que le droit à l’information du débiteur a été substantiellement respecté.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture