Par un arrêt en date du 27 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut refuser la délivrance d’un titre d’identité en se fondant sur un doute relatif à la nationalité française du demandeur. En l’espèce, la mère d’un enfant mineur, né d’un père de nationalité française, avait sollicité la délivrance d’une carte nationale d’identité pour son fils. Le préfet de police a rejeté cette demande et a ordonné la restitution du passeport français dont l’enfant était déjà titulaire. Cette décision administrative était motivée par l’existence d’un doute sur la nationalité française de l’enfant, doute lui-même fondé sur une précédente décision du pôle de la nationalité française du tribunal judiciaire, laquelle avait refusé de délivrer un certificat de nationalité française en raison d’incohérences documentaires relatives à la conservation de la nationalité française par le grand-père paternel de l’enfant lors de l’indépendance du Mali. Saisi par la mère, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de la décision préfectorale par un jugement du 10 novembre 2023. La requérante a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que le préfet avait commis une erreur de droit en se fondant sur le seul refus de délivrance du certificat de nationalité pour justifier sa propre décision, sans procéder à une analyse contradictoire de la situation. Il était ainsi demandé à la Cour administrative d’appel de déterminer si l’autorité administrative est liée par un refus de délivrance de certificat de nationalité émanant de l’autorité judiciaire et, dans la négative, dans quelles conditions elle peut légalement fonder un refus de titre d’identité sur un doute quant à la nationalité. La Cour rejette la requête, considérant que si l’administration n’est pas en situation de compétence liée, elle peut néanmoins refuser le titre sollicité dès lors qu’elle justifie d’un doute suffisant sur la nationalité, lequel était en l’espèce caractérisé par un ensemble d’éléments concordants non contredits par la requérante.
La décision de la Cour administrative d’appel permet de réaffirmer l’autonomie d’appréciation de l’autorité administrative face à un refus judiciaire de reconnaissance de la nationalité (I), tout en validant, dans ce cas précis, une application rigoureuse de la notion de doute suffisant qui emporte le rejet de la requête (II).
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I. La réaffirmation de l’autonomie d’appréciation de l’autorité administrative face au refus judiciaire de nationalité
La Cour clarifie la portée d’un refus de certificat de nationalité française sur la compétence de l’administration, en rejetant l’idée d’une automaticité (A) pour lui substituer une exigence de motivation propre soumise au contrôle du juge (B).
A. Le rejet d’une compétence liée de l’administration
L’arrêt énonce de manière explicite que « l’administration ne se trouve pas en situation de compétence liée pour exiger la restitution des documents d’identité d’une personne dont la demande de certificat de nationalité française a été rejetée ». Cette formule de principe est essentielle car elle consacre la séparation des prérogatives entre l’autorité judiciaire, gardienne de l’état des personnes et de la nationalité, et l’autorité administrative, chargée de la police des titres d’identité. Le refus de délivrer un certificat de nationalité, bien que constituant un indice sérieux, ne s’impose donc pas de plein droit au préfet. Ce dernier ne peut se borner à prendre acte de la décision judiciaire pour fonder la sienne. Une telle position préserve la compétence propre de l’administration qui, pour délivrer un passeport ou une carte d’identité, doit s’assurer elle-même que le demandeur remplit les conditions légales, notamment celle de posséder la nationalité française. En conséquence, le moyen de la requérante tiré d’une erreur de droit liée à une prétendue absence de procédure contradictoire est implicitement mais nécessairement écarté sur le fond. L’administration n’était pas tenue de suivre une procédure spécifique découlant du refus judiciaire, mais devait mener sa propre instruction.
B. L’exigence d’un doute suffisant soumise au contrôle normal du juge
Si l’administration n’est pas liée, son pouvoir n’est pas pour autant discrétionnaire. La Cour rappelle qu’il lui « appartient d’apprécier si, au vu des justificatifs éventuellement présentés par l’intéressé, il existait un doute suffisant sur sa nationalité ». Le refus de titre n’est donc légal que si ce doute est matériellement établi et suffisamment sérieux. La charge de la preuve de la nationalité pèse sur celui qui s’en prévaut, conformément à l’article 30 du code civil, mais il revient à l’administration de démontrer l’existence d’un doute légitime pour refuser un titre. La Cour précise également que le juge de l’excès de pouvoir exerce un « contrôle normal » sur cette appréciation. Ce niveau de contrôle implique que le juge administratif ne se contente pas de vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, mais examine concrètement si les éléments du dossier justifiaient, à la date de la décision, de faire peser un tel doute sur la qualité de Français du demandeur. L’autonomie de l’administration est donc encadrée par une double obligation de motivation et de justification factuelle, sous la censure approfondie du juge.
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II. La justification factuelle du doute suffisant emportant rejet de la requête
Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour estime que les conditions du doute suffisant étaient remplies (A), ce qui a conduit à valider le refus opposé par le préfet en l’absence de production d’éléments probants contraires par la requérante (B).
A. La caractérisation du doute par un faisceau d’indices concordants
Pour considérer le doute comme suffisant, le juge ne se fonde pas sur le seul refus de certificat de nationalité mais sur un ensemble de faits. La Cour relève que la décision préfectorale attaquée se référait à une demande antérieure de preuves adressée au père de l’enfant, qui était restée sans réponse satisfaisante. Elle note également que les parents n’ont pas contesté le refus de délivrance du certificat de nationalité devant le juge judiciaire compétent, ce qui peut être interprété comme une forme d’acquiescement ou à tout le moins une absence de réfutation de ses motifs. Surtout, la Cour analyse le fondement même de ce refus judiciaire, à savoir les « incohérences constatées dans les documents fournis », tenant à la situation du grand-père paternel qui « n’aurait pas conservé la nationalité française lors de l’indépendance de son pays d’origine ». Cet élément factuel précis, touchant directement à la chaîne de transmission de la nationalité par filiation, constitue le cœur du doute. La convergence de ces différents éléments, procéduraux et factuels, permet à la Cour de conclure que le préfet disposait bien d’un faisceau d’indices suffisant pour remettre en cause la nationalité de l’enfant.
B. La confirmation du refus administratif en l’absence d’éléments probants contraires
Face au doute légitimement soulevé par l’administration, il incombait à la requérante d’apporter des preuves de nature à le lever. Or, la Cour constate que les pièces produites en appel, notamment une carte d’affiliation à la sécurité sociale et un récapitulatif de carrière, n’étaient pas concluantes. Au contraire, l’un des documents mentionnait une absence d’activité en France du grand-père pendant une période cruciale encadrant la proclamation de l’indépendance du Mali en 1960. Loin de dissiper le doute, cet élément tendait plutôt à le conforter. L’appréciation de la Cour est donc sévère mais juridiquement fondée : en l’absence de production d’un acte de naissance français, d’un certificat de nationalité valide ou de toute autre pièce établissant de manière certaine la nationalité, le préfet était en droit de prendre sa décision. L’arrêt illustre ainsi qu’une fois le doute raisonnablement établi par l’administration, la charge probatoire qui pèse sur le demandeur est particulièrement lourde. Le rejet de la requête apparaît dès lors comme la conséquence logique de l’incapacité de la requérante à renverser la présomption de doute créée par les pièces du dossier.